Santé en français : l’état d’urgence dans le nord

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[DOSSIER]

SUDBURY – Faire 100, voire 200 kilomètres pour être servi en français. Une réalité parfois vécue par les 135 000 francophones du nord de l’Ontario confrontés à un véritable parcours du combattant pour trouver un médecin dans leur langue.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

Et les chiffres sont formels : sur les 4 000 médecins incluant les spécialistes capables de « tenir une conversation en français » que possède la province, à peine 300 se situent dans le nord de la province. Une anomalie en somme pour ce territoire où sont pourtant logés plus de 20% des Franco-Ontariens.

Plus encore, la proportion de médecins francophones serait quatre fois plus élevée dans le reste de la province. Les conclusions de travaux menés par le Centre de recherche en santé dans les milieux ruraux et du nord de l’Université Laurentienne.

La pénurie de médecins touche en réalité aussi bien les anglophones que les francophones. Sauf que pour ces derniers, l’impact est beaucoup plus pernicieux, et trouver un médecin de famille ou une infirmière praticienne n’est souvent pas une mince affaire.

« Les francophones ont donc plus de difficultés à trouver quelqu’un », partage à #ONfr, Diane Quintas, directrice générale du Réseau du mieux-être francophone du Nord de l’Ontario (RMEFNO). « Ensuite, les distances pour eux peuvent être le double ou le triple. Sans compter qu’être servi en anglais n’est parfois pas sécuritaire, du fait de la compréhension de l’ordonnance et des médicaments à utiliser. »

La présidente de cette Entité, laquelle conseille depuis 2010 les deux autorités régionales de la santé (RLISS) du nord, va même plus loin : « On voit même parfois des situations avec des enfants ou des concierges qui sont obligés de traduire pour certains patients. »

Tout n’est pas noir pour les services de santé en français. Principal foyer franco-ontarien du nord, Sudbury possède deux centres de santé communautaire (CHC) en français. Kapuskasing et North Bay possèdent aussi le leur. Mais ce privilège n’est pas possible pour un bon nombre de communautés. À commencer par Timmins.

« La demande est en cours depuis longtemps (…) Cela contraint bien souvent les francophones à être servi en anglais, ou bien à se déplacer pour un rendez-vous », déplore Sylvin Lacroix, le directeur général de l’Alliance de Timmins, l’organisme porte-parole des francophones de l’endroit.

Selon lui, le Programme de subventions accordées aux résidents du Nord de l’Ontario pour frais de transport à des fins médicales – Assurance-santé de l’Ontario, censé rembourser les déplacements au-delà de 100 kilomètres pour consulter un médecin spécialiste ou aller dans un établissement de soins de santé non disponible dans la localité du patient, comporte des lacunes : « Les remboursements sont souvent très tardifs entre autres. »

La situation n’est guère plus reluisante pour les hôpitaux et agences. Bien qu’une quarantaine d’entre eux dans le nord soient désignés en vertu de la Loi sur les services en français (Loi 8 de 1986), la langue de Molière n’y est pas toujours au rendez-vous. C’est le cas par exemple à Sudbury.

« Il nous manque une continuité de service. Être servi de A à Z en français à l’hôpital de Sudbury, c’est impossible, ça n’existe pas », déplore Joanne Gervais de l’ACFO locale. « Il n y a pas de méthode à l’hôpital pour jumeler les infirmières francophones aux patients francophones. »

Pistes

Même si les « choses s’améliorent » dixit le ministre de la Santé, Éric Hoskins, en entrevue pour #ONfr, l’obligation de se retrousser les manches est aujourd’hui immense pour les francophones. À tel point que le RMEFNO s’apprête à déposer aux deux RLISS du nord une série de recommandations au mois de décembre.

Première idée : la télémédecine. Un projet-pilote vient d’ailleurs d’être lancé récemment à Thunder Bay. Avec l’idée de permettre au patient et au médecin de langue différente de se comprendre par l’intermédiaire d’un interprète à distance.

« La télémédecine fonctionne bien. On l’utilise beaucoup dans le nord. Comment se fait-il alors qu’on ne soit pas capable de trouver un médecin à distance qui parle français? Personne ne va me faire croire qu’il n’y a pas un seul médecin spécialiste qui fait de la télémédecine et qui parle français dans la province », dénonce à #ONfr la néo-démocrate France Gélinas, également critique en matière d’Affaires francophones pour son parti.

« Des innovations technologiques comme la télémédecine ne remplacent pas complètement les interactions face à face entre les patients et leurs médecins, mais donnent tout de même un meilleur accès à des spécialistes de la santé aux gens du Nord ontarien », assure le Dr Hoskins. « Nous devons par contre régler les problèmes spécifiques à l’accès des francophones à des services (de télémédecine) dans leur langue », concède-t-il.

Autre solution envisagée par le RMEFNO : une offre de services en français plus efficace. « Certains médecins ne sont pas identifiés comme francophones », déplore Patrick Timony, professeur à l’Université Laurentienne. « Il n’est donc pas possible de relier facilement les médecins aux patients. »

Le développement de l’École de médecine du nord de l’Ontario censée former des médecins francophones représente une réponse possible. Créée en 2005, elle possède deux campus, l’un rattaché à l’Université Laurentienne à Sudbury, et l’autre, à l’Université Lakehead, à Thunder Bay.

« La majorité des étudiants à cette école viennent du nord. Plusieurs d’entre eux sont francophones aussi », rappelle le Dr Hoskins à #ONfr. « Le meilleur indicateur de l’endroit où un médecin va pratiquer est l’endroit où il est allé à l’école ou, encore mieux, si cette école est située près d’où ce médecin a grandi. »

Solution politique

Reste que la solution pourrait être aussi politique. Mme Gélinas croit que l’amélioration des services de santé en français dans le Nord ontarien passera par « un plus grand contrôle » de la minorité sur le plus important ministère provincial. L’élue de Nickel Belt relance l’idée d’un sous-ministre de la Santé et des Soins de longue durée responsable des services en français, présentement à l’étude par le gouvernement.​

Un meilleur accès à des soins en français dans le Nord ontarien passerait aussi par un plus grand nombre de désignations d’établissements et de services de santé en vertu de la Loi sur les services en français de l’Ontario, conclut le Dr Hoskins.