Shirley MacLean, la commissaire prise entre l’arbre et l’écorce d’un tourbillon linguistique

Shirley MacLean
Shirley MacLean, commissaire aux langues officielles de la province. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

FREDERICTON – Depuis près de deux semaines, le Nouveau-Brunswick et son premier ministre Blaine Higgs se trouvent pris dans une tourmente linguistique après la nomination de Kris Austin à un comité sur les langues officielles et sa volonté de changer le programme d’immersion française. Mais il y a aussi un nom qui se retrouve associé à cette crise : celui de la commissaire aux langues officielles de la province, Shirley MacLean, dont le bureau a été critiqué par M. Higgs, le qualifiant de « bureau très négatif ». Rencontre avec la première commissaire anglophone de la province, dont l’amour de ses parents pour les langues officielles l’aura amenée à Québec pour parfaire sa langue de Molière.

« On entend beaucoup parler du Nouveau-Brunswick dans les dernières semaines. Vous avez été vous-même impliquée indirectement. Nourrissez-vous des craintes pour l’avenir de votre poste?

J’entends les discours, mais moi j’ai un travail à faire selon la Loi sur les langues officielles. Mon mandat est clair. Je suis une agence indépendante de l’Assemblée législative. En tant que commissaire, je dois faire des recommandations, enquêter sur les plaintes que l’on reçoit et j’ai aussi un mandat promotionnel. On attend toujours la réponse du gouvernement suite à la révision de la Loi sur les langues officielles. Donc dans mon rôle, je pourrais réagir une fois qu’un projet de loi sera déposé.

En quoi cette révision de la Loi sur les langues officielles est-elle importante?

Il n’y a pas quelque chose qui nous touche plus que notre langue. La question de la langue nous touche tous les jours. C’est notre vitalité. C’est culturel. Selon moi, il n’y a pas plus important pour nos deux communautés linguistiques que l’importance de la langue et de la culture.

Mais pour un citoyen néo-brunswickois, quel impact la révision de cette Loi peut-elle avoir comme impact?

Sur la santé par exemple! Si on va à l’hôpital, on reçoit des services et on aimerait en avoir dans notre langue, mais ça n’arrive pas. Il faut avoir un recours. Où est-ce qu’on va pour trouver une solution si ça arrive? Selon la Loi sur les langues officielles, ça serait au Commissariat. Donc, pour les questions linguistiques, il faut toujours s’assurer qu’il y ait une progression vers la vitalité de nos deux communautés.

Comment jugez-vous l’importance de l’éducation en immersion française au Nouveau-Brunswick?

Apprendre en immersion représente une ouverture à une culture. J’ai moi-même fait l’immersion, pas dans une école d’immersion, mais c’est très important pour que les gens puissent atteindre un niveau de bilinguisme réel. J’ai souvent travaillé avec des gens qui ont commencé tardivement l’immersion, mais qui sont très compétents (en français). On a fait un sondage dans lequel les gens du Nouveau-Brunswick, anglophones et francophones, pensent que leurs enfants devraient avoir accès à une éducation dans leur seconde langue. Donc, c’est très important.

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La commissaire a essuyé les critiques du premier ministre Higgs qui considère son bureau comme « très négatif ». Gracieuseté

Le débat autour de l’immersion française dépasse les frontières du domaine éducatif. Est-ce que le fait que ce soit un dossier chaud au niveau politique vous inquiète?

Je suis du même avis qu’avec la révision de la Loi sur les langues officielles, mais il faut savoir ce que le gouvernement a l’intention de faire et on ne le sait pas encore. On sait qu’il y aura quelque chose en vigueur en septembre 2023. Mais il ne faut pas oublier ce qu’on a fait dans le passé. Je veux rentrer dans les questions politiques, mais il faut en être conscient. C’est extraordinaire ce que ça nous a donné comme province et si le gouvernement a l’intention de faire les changements et modifications qu’il semble vouloir faire, il ne faut pas oublier le bon travail et résultat obtenu jusqu’à présent.

Vous dites que votre poste vous impose d’être neutre, mais parvenez-vous à comprendre la colère de la population acadienne après la nomination de Kris Austin à un comité des langues officielles?

Je ne veux pas rentrer dans le discours politique, mais c’est sûr que j’entends les discours. D’un côté, c’est bien, car on parle de langues officielles, mais ça démontre l’importance de la langue et de la culture pour nous comme Néo-Brunswickois et Néo-Brunswickoises (…) Je pense que les gens au Nouveau-Brunswick sont fiers d’être bilingues et je crois fermement qu’il y a une approbation pour le bilinguisme. Je pense que c’est très important de dire qu’il faut essayer de se comprendre (entre les deux communautés).

Vous dites avoir vous-mêmes appris le français de façon immersive en allant à l’Université Laval dans votre vingtaine? Qu’est-ce qui vous a poussé à apprendre le français de façon quand même tardive?

C’était une chose qui m’avait toujours intéressée, mais j’avais un baccalauréat en sciences politiques et on (dans la famille) écoutait toujours les nouvelles chez nous. On a vécu la période où ils ont eu les discussions constitutionnelles, lorsqu’ils ont fait son rapatriement et il était beaucoup question de bilinguisme avec la place du Québec au Canada. Alors je trouvais ça important, comme pays bilingue, d’accueillir l’autre communauté linguistique et je voulais apprendre la langue pour être une bonne citoyenne.

Shirley MacLean
Apprendre en immersion représente une ouverture à une culture, estime Shirley MacLean. Gracieuseté

Est-ce que cela a été difficile pour vous d’apprendre le français?

Oui, au début c’était presque impossible (Rires). J’ai eu un cours de français à l’école secondaire et des cours à l’université, mais c’était des cours de base. J’étais en situation minoritaire. Aujourd’hui, ça fait du bien, car je peux comprendre ce que c’est au juste d’être dans une telle situation. Mais j’ai aussi appris (à ce moment-là) que le monde était prêt à m’aider.

Vous avez était la première personne anglophone au poste de commissaire. Cela fait-il une différence selon vous?

Je ne connais pas la réponse, mais probablement pas. Je suis aussi avocate. Alors, pour moi, il y a un côté juridique et linguistique dans ce travail (… ). En tant qu’ anglophone, c’est sûr que tu veux penser que tu peux faire les ponts entre les deux communautés linguistiques, mais je ne sais pas si j’arrive à le faire. Ce n’est pas à moi de juger. »


LES DATES-CLÉS DE SHIRLEY MACLEAN :

1963 : Naissance au Cape-Breton

1990 : Obtention de son diplôme en droit de l’Université du Nouveau-Brunswick

2003 : Devient directrice générale adjointe du Barreau et registraire des plaintes

2013 : Obtient la distinction de conseiller du Roi (de la reine à l’époque)

2019 : Nommée commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick

Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.