Souvenirs mitigés de la « Ford Nation » pour des Franco-Torontois

Le nouveau chef du Parti progressiste de l'Ontario, Doug Ford. Archives #ONfr

TORONTO – De 2010 à 2014, la « Ford Nation » a régné sur la Ville de Toronto. D’abord avec Rob Ford, maire controversé de la Ville reine, mais aussi avec son frère, Doug, conseiller municipal. Ce dernier, dont le fil twitter n’est autre que « Ford Nation », est aujourd’hui favori pour devenir le prochain premier ministre de l’Ontario. Tour d’horizon des espoirs et craintes que suscite Doug Ford pour les Franco-Ontariens, au regard de ses quatre années de conseiller municipal.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Différents, les deux frères n’en possédaient pas moins de nombreux points communs. À commencer par l’anti-élitisme, la réduction des dépenses publiques… et peu de communication avec les Franco-Torontois. L’ancien président de l’Association des communautés francophones de l’Ontario-Toronto (ACFO-Toronto) durant cette période, Gilles Machildon est formel. « C’était de l’indifférence plutôt que de l’hostilité. » Principal fait d’arme dont se souvient le responsable : la suppression du comité sur les services en français, une fois Rob Ford au pouvoir. Le groupe avait pourtant pour mission de conseiller les élus sur les dossiers francophones.

« On ne sentait pas que Rob et Doug Ford comprenaient la communauté. Pour eux, les francophones étaient un groupe ethnique parmi d’autres. » Une nuance tout de même pour M. Marchildon : « Le maire avait décidé de manière générale de ne pas rétablir les comité-citoyens, comme le comité francophone. Il trouvait que les divers comité-citoyens n’étaient pas nécessaires parce que les conseillers municipaux suffisaient pour représenter les opinions de la population. »

L’ancien président de l’ACFO se souvient par ailleurs de la mauvaise surprise lors de la campagne des élections municipales de 2014. Le candidat à la mairie Doug Ford avait ignoré un questionnaire sur les enjeux francophones envoyé par l’organisme. Huit candidats au poste de premier magistrat, et 35 conseillers, s’étaient pourtant pliés à l’exercice. « Nous n’avons pas cherché pendant quatre ans à les (Rob et Doug Ford) rencontrer directement. »

« Pas de remise en cause » pour la Maison de la francophonie

Du côté des instigateurs de la Maison de la francophonie à Toronto, le départ définitif de Rob Ford en 2014 a été un soulagement. Pour Richard Kempler, l’un des artisans du projet, l’arrivée du maire John Tory aurait tout changé.

« À partir de l’arrivée de M. Tory au pouvoir, nous avons eu un intérêt de principe pour la Maison de la francophonie, de l’aide pour la recherche du bâtiment avec une identification potentielle et enfin, d’une manière générale, une déclaration de principe sur des allégements de taxe pour les organismes caritatifs dont fait partie la Maison de la francophonie de Toronto. »

Et d’enfoncer le clou : « De 2010 à 2014, nous n’avions aucun contact avec la mairie de Toronto. Mais il faut comprendre que je ne jette pas la pierre à Rob Ford. Nous avions alors besoin d’un financement provincial. »

Pressenti pour partager les locaux avec l’Université de l’Ontario français, la future Maison de la francophonie ne serait pas en danger pour M. Kempler. « Les trois partis principaux, dont le Parti progressiste-conservateur, ont déclaré leur appui. Il n’y a pas eu de remise en cause qui puisse changer la mise en œuvre. »

Interrogés sur la suppression très récente par la Ville de Toronto d’une politique obligeant le français à se trouver dans les documents de la Ville chaque fois qu’une autre langue que l’anglais s’y trouve, MM. Marchildon et Kempler accordent leur violon : celle-ci aurait été effectuée à l’insu de M. Tory.

« Se présenter à Doug Ford »

Le Franco-Torontois, Paul Demers, lui, restera silencieux sur la période 2010-2014. « Je ne vivais même pas à Toronto à ce moment-là. Tout ce que je peux dire est que M. Ford a définitivement une courbe d’apprentissage, du fait qu’il est nouveau sur la scène politique provinciale. Il a besoin de connaître d’abord les enjeux francophones. »

De retour dans la Ville reine en 2015, Paul Demers apporte un autre son de cloche, n’hésitant pas à fustiger ceux qui craignent une éventuelle élection de M. Ford. « Il faut alléger notre élite franco-ontarienne. Il faut penser à se présenter à M. Ford au lieu de le critiquer. Demandez-leur, aux francophones, sur quoi reposent leurs craintes? Ils n’ont aucune réponse à cela. »

M. Demers est même catégorique : « Il faudrait penser la francophonie de manière plus entrepreneuriale que de toujours voir cela comme des organismes qui vont chercher des subventions. (…) Il y a trop longtemps qu’on laisse notre chance au Parti libéral, que les francophones jettent leur support derrière eux. »


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