Sylvia Bernard, le combat et la vie avant tout

La directrice générale de La Clé d'la Baie en Huronie, Sylvia Bernard. Montage ONFR+

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

PENETANGUISHENE – Un anniversaire assez spécial se prépare du côté de Pentanguishene. Celui du 40e anniversaire de l’ouveture de l’École de la résistance ce mardi. Aux commandes en partie de l’événement : Sylvia Bernard. La directrice générale de La Clé d’la Baie en Huronie – les locaux de l’ancienne école – a bel et bien conscience de la valeur des célébrations surtout dans le climat des compressions de Doug Ford. Autre conscience : celle de la valeur de la vie après les soucis de santé de ces derniers mois.

« Mardi, on célébrera le 40e anniversaire de l’ouverture de l’École de la résistance avec l’inaguration d’une exposition permanente. On se souvient de cette ouverture en 1979, après que le Conseil scolaire de Simcoe eut resté sourd aux demandes des francophones quant à la création d’une école. Qu’est-ce que représente ce musée?

Une lutte importante pour la communauté! C’est drôle car nous sommes dans le dernier droit de l’exposition, et on a fait des retrouvailles avec les anciens de l’école. Les beaux et mauvais moments étaient remémorés. Les deux salles d’exposition étaient ouvertes exceptionnellement. C’était un moment magique, avec des étoiles dans les yeux! On attend beaucoup de personnes pour les célébrations ce mardi. Une vingtaine d’élèves de cette époque sont encore dans la région.

Depuis combien de temps travaillez-vous pour cet événement?

On y travaille depuis un an. On avait fait une demande de subvention l’an passé sachant que le 40e anniversaire s’en venait. On a reçu des fonds du programme Nouveaux Horizons pour permettre le départ du musée. De là, on a exploré les bas-fonds du bâtiment pour explorer nos archives, où l’on avait plusieurs boites du temps de la résistance. On a interpellé Daniel Marchildon et Micheline Marchand, des élèves de l’époque, pour faire ressortir les éléments importants.

On voulait une exposition permanente, sachant qu’un jour ces gens-là ne pourraient plus nous raconter cette histoire. Nous n’avions pas la prétention d’être un musée à gros budget, mais ces événements, peu de gens savent que ce n’est pas seulement l’année 1979, mais que ça a duré dix ans, le temps du jugement et de l’octroi de fonds [L’École Le Carron a ouvert en 1982, en 1986, la Cour supérieure de l’Ontario demandait à la province d’investir 5,7 millions de dollars pour agrandir l’école].

En 1979, de nombreux enfants et parents francophones ont manifesté pour obtenir une école de langue française à Penetanguishene. Ils ont ultimement eu gain de cause. Gracieuseté.

Avez-vous senti de l’engouement pour le projet?

On n’avait pas escompté ce succès! Le mouvement a porté le nom de la Résistance, et beaucoup de gens ont fait le rapprochement avec la crise linguistique de l’automne, ce qui a suscité beaucoup d’intérêt. On a retrouvé aussi les chansons de l’École de résistance, dont celle d’un élève, Victor Dupuis, qui avait créé un poème, avec Yves Marchand. Tous les élèves se rassemblaient le matin pour démarrer en chanson. On a retrouvé ces fichiers-là, et on a demandé aux auteurs la permission de réenregistrer la chanson. On va demander aux gens de chanter les refrains avec nous. Ce sera dévoilé le 3 septembre sur les ondes de la radio francophone CFRH-FM.

A partir de l’été prochain, on aura aussi des projections sur l’édifice de l’école pendant la période touristique. Les gens seront invités à apporter leur chaise de camping, et voir défiler l’histoire de la francophonie en juillet et août.

Aujourd’hui, est-ce que les gens de Penetanguishene connaissent bien cette crise?

La grande majorité, oui! On a arrêté à une période d’en parler, mais je peux voir maintenant le plaisir de se rappeler de cette époque. Les gens connaissent assez bien, peut-être pas toutes les détails. Quelque 54 étudiants, l’équivalent de 38 familles, étaient présents dans cette école.

Comment on qualifierait la francophonie aujourd’hui dans la Huronie, c’est-à-dire à Pentanguishene, mais aussi Midland et Lafontaine?

Je dirais qu’elle est bien vivante. À cause de la crise linguistique, il y a quelque chose qui est venu nous secouer et nous ébranler, nous dire que tout n’est pas acquis et gagné. Il faut donc être fier de participer aux activités en français!

Sur notre territoire, nous avons une base militaire, alors on a souvent des francophones qui arrivent d’ailleurs. Souvent, ils ne connaissant pas qu’il y a une francophonie. En 2012, je suis arrivée dans cette région du fait que mon conjoint militaire venait d’y être muté. J’étais loin de me douter que la francophonie était bien vivante et vibrante. Cela en fait une francophonie diversifiée, avec de plus en plus d’immigrants.

En 2016, l’Hôpital général de la baie Géorgienne annonçait la fermeture de son site à Penetanguishene. Il a fallu plusieurs mois pour que les programmes transférés vers le site de Midland soient protégés de nouveau par la Loi sur les services en français. Est-ce que le dossier est aujourd’hui totalement réglé?

Ça dépend! La Clé a une perspective d’aide, on s’est joint à la communauté. On a des initiatives comme les Cafés de Paris pour faire des espèces de café-causeries avec des employés ayant des capacités en français dans les hôpitaux. Les hôpitaux ont beaucoup plus de personnel francophone que ce qu’ils pensent, mais il faut identifier ces personnes! Une fois qu’on les identifie, on remarque une certaine insécurité linguistique. Le but vraiment de cette initiative, c’est de permettre aux employés identifiés francophones de sécuriser leur niveau linguistique par une formation chaque semaine. Au début, on y va par la conversation, mais très vite, on sert de support pour l’apprentissage écrit.

Nous menons actuellement un projet-pilote au Centre de santé régional Royal Victoria de Barrie. En septembre, nous commencerons cette initiative au Orillia Soldiers’ Memorial Hospital. Le Centre de santé communautaire CHIGAMIK Community Health Centre est aussi intéressé.

L'Hôpital général de la Baie georgienne à Penetanguishene
L’Hôpital général de la Baie georgienne à Penetanguishene. Archives ONFR+

Et ce projet provincial Bonjour/Welcome? Cette initiative lancée par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) visait à encourager les commerces à offrir des services en français et les francophones à les demander. Où cela en est à Penetanguishene?

On continue actuellement nous-mêmes, notamment par le projet de création d’un annuaire avec les différentes entreprises qui offrent des services en français. C’est la suite de Bonjour/Welcome! On va poursuivre cela avec fonds, ou sans fonds! On a décidé de continuer le projet par nous-mêmes.

En octobre 2018, Pentanguishene élisait un maire francophone, Douglas Leroux. Comment jugez-vous son bilan après quelques mois?

C’est sûr que c’est encore récent, mais il a toujours été présent sur la scène municipale, et on l’a vu s’impliquer dans les consultations pour le Festival historique [La Clé d’la Baie en Huronie étudie la possibilité de créer un tout nouveau festival francophone à caractère historique dans le comté de Simcoe]. Dès le début, il nous a affirmé qu’il était derrière nous. Il a des chroniques régulières à la radio après chaque conseil municipal pour parler. On le sent très connecté à cette communauté francophone.

Parlez-nous un peu de votre parcours. Vous êtes donc arrivée à Penetanguishene en 2012, mais qu’est-ce qui vous a conduit ici?

Je suis originaire de Montréal, où j’ai vécu jusqu’à l’âge de cinq ans, puis ma famille s’est installée à Saint-Mélanie dans la région de Lanaudière à une trentaine de minutes de Joliette. J’ai quitté le nid familial pour aller à Québec poursuivre des études en petite enfance et psychoéducation, et finalement je suis restée à Québec jusqu’en 2012. J’ai travaillé à Québec dans les centres de la petite enfance.

Comment s’est passé votre arrivée à Penetanguishene?

Ce fut un choc car je n’étais pas à l’aise avec la seconde langue. Pour l’anglais, j’avais toujours compté sur mon conjoint, un bilingue du Nouveau-Brunswick. La Clé a été une bouée de sauvetage pour moi, ma famille d’adoption! J’y suis arrivée en 2013, d’abord comme coordinatrice de secteurs, et en septembre, j’ai eu le poste de directrice des programmes et services, et puis en avril 2017, j’ai pris l’intérim de la direction générale après le départ de Pierre Casault. L’année suivante, je suis devenue la directrice générale permanente.

En vivant à Québec, on se doute que vous étiez sensible à la francophonie…

Pas tellement. Au Québec, je n’étais pas sensible à cela. Mais ici, je me suis retrouvée perdue dans la mer anglophone. Il n’était pas question de vivre en anglais. A la maison, on parle français! Notre langue, il faut la faire rayonner!

Sur les médias sociaux, vous sensibilisez beaucoup les gens au cancer du sein, pourquoi?

Quand je suis arrivée à la direction générale de La Clé, j’ai appris que j’avais un cancer du sein métastasé au poumon. C’est une récidive d’un cancer du sein que j’avais eu à 38 ans. J’ai aussi un cancer du poumon à petites cellules. C’est une maladie incurable, mais j’ai refusé le protocole de chimiothérapie. Quand on pense l’incurable, on pense que la mort arrive demain matin, mais j’ai encore pleins de projets dans la tête, et il n’est pas question que j’abandonne et que je me laisse aller.

Avec mon oncologue, on privilégie une alimentation sans sucre où l’on s’alimente plus au gras. Mes tumeurs ne s’opèrent pas donc on essaye juste de les contrôler. Les tumeurs sont en sécrétion, et je suis une personne positive. Je suis là encore longtemps, il faudra m’endurer!

Est-ce que cette annonce a changé votre perception de la vie?

J’ai toujours eu une perception de la vie positive, mais savoir que la fin est proche fait que certains rêves sont devancés. Par exemple, j’ai participé dernièrement au défi des 24 heures du Lac-Beauport, ayant perdu une amie d’un cancer du poumon. J’ai aussi pris la décision de faire le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle en juin 2020 pour faire le bilan de mes dernières années. »


LES DATES-CLÉS DE SYLVIA BERNARD

1971 : Naissance à Montréal

1988 : Arrivée dans la ville de Québec, y réside pendant 24 ans.

2012 : Déménage à Penetanguishene

2017 : Devient directrice générale par intérim de La Clé d’la Baie en Huronie, puis l’année suivante DG de manière permanente.

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.