Temps difficile pour les centres culturels francophones

Crédit image: Centre culturel Frontenac

TORONTO – De nombreux centres culturels francophones, lieux d’importance pour la diffusion de la culture en français dans la province, sont en danger. Plusieurs acteurs du milieu espèrent que le gouvernement donnera finalement suite aux recommandations du Livre blanc sur la culture dévoilé il y a plusieurs mois.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« Notre mal, c’est l’argent. Il y a toujours des moments où on se demande, est-ce qu’on devrait continuer. Est-ce qu’on devrait exister? La flamme qui nous habite nous pousse à continuer, mais ce n’est sûrement pas à cause de l’aide de nos gouvernements », confie Diane Jean, directrice du Centre culturel Louis-Hémon, à Chapleau. « C’est de plus en plus difficile, on s’épuise. Pourtant, la culture et les spectacles en français, si on les perdait, on perdrait notre francophonie à Chapleau. C’est une manière essentielle de briser l’isolement entre francophones », complète-t-elle.

Son récit est loin d’être unique. L’ensemble des responsables de centres culturels francophones hors des grands centres contactés par #ONfr fait face aux mêmes difficultés.

« On met des efforts gigantesques pour seulement boucler notre budget », confie Chantal Prud’homme, directrice générale du Centre culturel Frontenac à Kingston. « Et nous sommes forcés d’avoir les tarifs les plus bas possibles, si on veut que les gens viennent. Oui, il y a eu une certaine augmentation de l’aide du Conseil des arts de l’Ontario, mais on en aurait besoin de plus », dit-elle.

Même son de cloche d’Élaine Legault, directrice du Conseil des organismes francophones de la région de Durham, dont l’organisme gère également une programmation culturelle.


« Notre financement n’augmente pas, malgré l’augmentation de nos clientèles. Il y a de inquiétude dans notre industrie actuellement. Si on perd notre culture francophone, on perd tout et la nouvelle génération ne parlera pas le français » – Élaine Legault


Leurs témoignages rejoignent les conclusions du Livre blanc sur la culture dévoilée il y a quelques mois par l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO). « Des centres à Ottawa, Clarence-Rockland, Chatham, Sainte-Catharines et ailleurs ont fermé leurs portes, nettement réduit leurs activités ou mis fin à leurs projets culturels. Dans le cadre des consultations communautaires, plusieurs centres ont rapporté une fragilité financière inquiétante et un essoufflement généralisé de la main d’œuvre importante. Ces facteurs pourraient faire en sorte que même des centres dans des collectivités à majorité francophone doivent cesser leurs activités d’ici les trois à cinq prochaines années », pouvait-on lire dans le document. L’auteur du rapport, Éric Dubeau, qualifiait de « critique » la situation des centres culturels, lors d’une entrevue accordée à #ONfr, en juin dernier.

Le consultant et artiste Éric Dubeau. Archives #ONfr

« La situation est telle que, à moins d’intervention immédiate, les occasions de se rassembler autour des arts et de la culture francophones en Ontario existeront uniquement dans les grands centres. Il est urgent que la province intervienne afin de mettre fin à cette dégringolade qui ferait reculer le développement culturel francophone en Ontario de plusieurs décennies », pouvait-on également lire dans le rapport.

#ONfr a interpellé le ministère de du Tourisme, de la Culture et du Sport à ce sujet, mais il n’était pas en mesure de fournir une réponse sur son plan d’action à l’intention des centres culturels francophones au moment de publier cet article.

Des difficultés à la grandeur de la province

Réseau Ontario, qui regroupe plusieurs organismes qui présentent des arts de la scène en Ontario français, confirme les défis actuels. « On a perdu des centres culturels ont au cours des dernières années, c’est très triste. Il y a des régions de l’Ontario qui n’ont plus d’offres culturelles francophones soutenues », confie son directeur, Martin Arsenault.


« La scène culture franco-ontarienne est très fragile, tant du côté des artistes que des centres culturels » – Martin Arsenault


Et ce n’est pas seulement une question de régions éloignées. « Même à Toronto, il est difficile de rassembler le public, car les gens sont dispersés », dit M. Arsenault. Dans la Ville reine et ailleurs, les organismes qui gèrent l’offre culturelle en français sont aussi actifs dans d’autres sphères. Mais dans la plupart des cas, le secteur culturel souffre. « Le secteur culturel est souvent déficitaire. Si année après année on a un département qui cumule des déficits, on peut en venir à la conclusion qu’on ne peut plus le supporter », s’inquiète-t-il.

Sur les 800 spectacles présentés de pair avec Réseau Ontario, la majorité sont aujourd’hui dans les écoles de la province. « Mais l’important, c’est ce qui se passe une fois qu’ils ont terminé l’école. S’il n’y a pas d’offres de spectacles francophones, on va les perdre dans la culture anglophone. Il faut une continuité pour conserver une identité francophone », souligne M. Arseneault. Pour lui, la voie que le gouvernement doit suivre est claire. « On a le Livre blanc sur la culture. Il faut s’attaquer une à une à chaque recommandation et trouver des solutions. Madame la ministre de la culture, allez-vous y donner suite? », lance-t-il à la ministre Eleanor McMahon.

L’importance d’aller rejoindre le public

Rester chez soi et regarder Netflix ou aller voir un spectacle franco-ontarien dans un centre culturel francophone? « Tout produit culturel est en compétition et l’argent réservé au spectacle n’a pas augmenté », souligne Martin Arsenault.

L’avenir des centres culturels francophones dépend aussi des nouvelles générations. « La population est vieillissante et nous devons aller chercher de nouvelles clientèles, mais les jeunes partent de nos régions éloignées et ils ne reviennent pas », se désole Diane Jean, qui peine à trouver des solutions pour le Centre culturel Louis-Hémon.

À Kingston, il y a d’autres défis. « Nous avons une communauté qui bouge beaucoup, en raison de la présence d’une base militaire. Nous avons des francophones, mais souvent ils sont en rotation et ne demeurent ici que deux ou trois ans. Alors, il faut en permanence se faire connaître par de nouvelles personnes », affirme Chantal Prud’homme.

#ONfr vous propose une série d’articles sur les enjeux culturels en Ontario, dans le cadre de son Facebook Live avec la ministre du Tourisme, de la Culture, et du Sport, Eleanor McMahon, lundi 27 novembre à 13h.