Train léger d’Ottawa : anatomie d’un désastre en cinq chiffres

Crédit image: Rachel Bolduc-Crustin

OTTAWA – Ce devait être le fer de lance des transports au Canada, un « réseau de classe mondiale ». Depuis son lancement, l’O-Train cumule pannes, défauts et déraillements, au point d’entraîner la défiance des usagers et de s’attirer les foudres des bailleurs de fonds. La province lancera une enquête publique dans les semaines qui viennent, avant un audit de la vérificatrice générale d’Ottawa qui devrait intervenir en début d’année prochaine. ONFR+ revient sur ce gigantesque projet d’infrastructure en forme de désastre en cinq chiffres.

64,5 kilomètres de voie ferrée

La Ville d’Ottawa a placé d’immenses espoirs dans le train léger, moyen de transport de conception Alstom érigé en successeur novateur du réseau de bus à haut niveau de service. Pour mailler son territoire, elle a conçu deux lignes dont elle a confié la construction au Groupe de transport Rideau (GTR) et la gestion à l’opérateur OC Transpo.

La ligne Trillium (ligne 2) a été mise en service en octobre 2001. Longue de huit kilomètres, elle dessert cinq stations du nord au sud de la ville. Inaugurée en septembre 2019, avec plus d’un an de retard, la ligne de la Confédération (ligne 1) s’étend quant à elle d’est en ouest sur 12,5 kilomètres, ponctués de 13 stations (phase 1).

Une autre tranche de travaux, la « phase 2 », consiste à ajouter près de 40 km de chemin de fer et 24 nouvelles stations en direction de l’est, de l’ouest et du sud, qui donneront naissance, en 2022 puis 2025, à deux lignes supplémentaires : Moodie et Aéroport. Au total, sans compter la future phase 3 qui connectera Kanata et Barrhaven, ce sont près de 60 kilomètres de lignes qui sont en train d’être complétés. À terme, grâce à ce maillage ferroviaire, plus de 70 % des résidents ottaviens se trouveront à moins de 5 minutes du train.

Carte des lignes actuelles et futures de l’O-Train. Source : Ville d’Ottawa

7 milliards de dollars d’investissement

Ce projet colossal a englouti d’énormes investissements depuis son origine. Les gouvernements ontarien et fédéral ont injecté un milliard de dollars chacun dans la phase 2, dont le coût total s’élève à 4,6 milliards de dollars. Ces investissements se sont ajoutés aux premières enveloppes de la phase 1 dans laquelle la province avait déjà investi 600 millions des 2,1 milliards de dollars nécessaires.

La ville d’Ottawa elle-même a puisé, en 2020, plus de 800 millions de dollars dans son budget pour financer une partie de la phase 2, soit plus d’un cinquième de ses ressources annuelles. Autant dire que la ville joue gros. Le maire Jim Watson n’a d’ailleurs jamais caché sa frustration vis-à-vis du chantier et des multiples problèmes techniques qui parasitent le bon fonctionnement du train depuis sa mise en service.

Jim Watsom, maire d'Ottawa lors d'un discours
Jim Watsom, maire d’Ottawa. Archives ONFR+

2 déraillements qui interrogent

Ces ennuis techniques ont atteint un point culminant avec deux déraillements qui se sont produits sur la ligne de la Confédération en août puis septembre dernier, entraînant plusieurs jours de fermeture. Selon les premières constatations, le premier aurait été causé par des essieux défaillants, le second par le détachement d’un appareil à sabler, près des roues.

Conséquence directe : le Groupe de transport Rideau (GTR), responsable de l’entretien du train, a fait à cette période l’objet d’un avis de défaut de la Ville d’Ottawa. Dans un courrier à GTR, le directeur de la construction Micheal Morgan a pointé l’incapacité du groupe à « fournir un service fiable aux résidents », l’exhortant à « corriger ses manquements d’ici le 1er octobre ».

Crédit image : Rachel Bolduc-Crustin

30 ans de maintenance sous contrat

Une kyrielle d’incidents se sont produits bien avant ces déraillements, depuis la mise en service de la ligne de la Confédération : rupture de câble d’alimentation, roues fissurées, bris de soudure, défaillance du système de freinage… ont entraîné retard sur retard.

Confronté à une avalanche d’interruptions de ligne, le maire Watson avait dû remettre en service, en 2019, des bus retirés de la circulation afin de maintenir un certain niveau de service public. En juillet dernier, des fissures ont aussi été découvertes sur la face extérieure du moyeu de plusieurs roues, au cours d’une inspection de routine.

Autant d’ennuis qui ont poussé la ville d’Ottawa à rivaliser d’idée pour atténuer la crise. En mars 2020, elle avait menacé le GTR de briser son contrat de maintenance sur 30 ans. Dernière initiative en date, le conseil municipal a adopté la gratuité dans le réseau en décembre pour reconquérir les usagers déçus.

Caroline Mulroney, ministre des Affaires francophones, se tenant à l'extérieur
Caroline Mulroney, ministre des Affaires francophones. Archives ONFR+

5 enquêtes sur les rails

La province va lancer dans les semaines à venir une enquête pour faire la lumière sur les déboires de la phase 1. La ministre Caroline Mulroney l’a annoncé en novembre : elle veut une enquête « publique, ouverte et indépendante (…) pour rétablir la confiance », après une série d’incidents qui soulèvent de nombreuses questions sur la fiabilité et la sécurité du train.

Dans une lettre adressée à Michael Morgan, son ministère a demandé « l’assurance que le financement provincial est utilisé pour des actifs et des infrastructures sûrs et conformes aux normes de l’industrie », suspendant le versement de 60 millions de dollars dans l’attente de documents allant en ce sens.

Une autre enquête, cette fois diligentée par la vérificatrice générale d’Ottawa aura lieu en début d’année prochaine. Ces deux audits interviennent alors que le train léger fait déjà l’objet de trois enquêtes techniques conduites par le Bureau de la sécurité des transports du Canada, dont deux portent sur les déraillements d’août et septembre. La troisième est liée aux fissures découvertes en juillet.