Travailleurs migrants et COVID-19 : saison différente pour les fermes franco-ontariennes

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Les récents cas de COVID-19 chez les travailleurs migrants saisonniers dans le Sud-Ouest de l’Ontario ont soulevé des questions sur la façon dont le virus est géré dans les champs. ONFR+ a parlé avec des propriétaires de fermes franco-ontariens pour voir comment ils ont dû traiter le tout à travers la pandémie.

« Tout a été plus lent », avoue Mitch Deschatelets, propriétaire de la ferme Leisure Farm, à Nipissing Ouest.

En raison de la pandémie, ses effectifs ont été réduits, cette année, à seulement 12 travailleurs migrants. Normalement, au printemps et à l’été, M. Deschatelets compte sur la contribution de 17 travailleurs en provenance du Mexique.

« En moyenne, chaque travailleur migrant crée deux à trois emplois pour les Canadiens dans le secteur des ventes », note-t-il. « Ça nous permet d’embaucher environ 43 employés en tout. »

Ce n’est pas nécessairement la pandémie, mais plutôt les délais qui ont eu un impact plus important sur sa production, souligne-t-il.

« Ça a pris au moins un mois pour que le gouvernement figure comment procéder pour avoir des vols spécifiques pour les travailleurs. Ensuite, ceux qui avaient rempli leurs formulaires avant la fermeture des bureaux en mars ont pu venir, mais les autres ont dû attendre que les bureaux rouvrent au Mexique. Lorsque les travailleurs sont arrivés, il fallait qu’ils aillent en quarantaine. C’est donc un autre 14 jours sans travailler. »

Il faut toutefois être prudent, expliquent des fermiers franco-ontariens, la situation comme dans le comté d’Essex n’étant pas la même que dans l’Est et le Nord ontarien.

« Dans l’Est ontarien, il n’y’en a pas tant que ça qui emploient des travailleurs migrants. C’est sûr qu’à Leamington et dans le comté d’Essex et Windsor, ce sont de grosses fermes et le cœur de la production maraîchère », explique Philippe Etter, un producteur laitier de Sarsfield.

Ce dernier, qui emploie actuellement deux travailleurs migrants depuis le mois de mai, se considère chanceux dans cette pandémie, car ses effectifs sont beaucoup plus réduits que les autres producteurs fermiers dans le Sud de l’Ontario.

« Mes deux travailleurs sont dans une maison quand même assez grande et c’est sûr que pour moi, c’est beaucoup plus facile de suivre les réglementations de la santé publique, car j’ai juste deux travailleurs », explique celui qui aurait accueilli quatre travailleurs migrants, si la pandémie n’avait pas eu lieu.

Production similaire

C’est la même situation pour Justin Gaudet, propriétaire de cinquième génération de la ferme de pommes de terre Valley Growers, à Blezard Valley, près de Sudbury.

Lors d’une année typique, il a recours à cinq travailleurs migrants. Cette année, seulement trois travailleurs de l’étranger ont pu se joindre à son équipe pour la récolte.

« Somme toute, la COVID-19 n’a pas eu un gros impact sur notre production. Plusieurs personnes de la région ont perdu leur emploi, donc on est venu à bout de trouver de l’aide locale pour remplacer les travailleurs étrangers. »

Il a trouvé le processus d’embauche difficile à naviguer.

« Il y avait beaucoup d’étapes, mais lorsqu’on y pense, chaque précaution avait du sens. »

La pandémie s’est déroulée en deux temps pour M. Etter et ses deux travailleurs guatémaltèques arrivés en mai.

« Au niveau de la production du lait et de la vente, au début mars, on a vu une hausse, car les gens ont un peu dévalisé les épiceries, mais lorsque les restaurants et les écoles ont fermé en avril, nos ventes ont chuté, surtout au niveau du fromage et des crèmes. Tranquillement, on commence à remonter notre production à ce que c’était avant la pandémie. »

Même s’il ne s’agit pas du nombre exact de travailleurs désirés, les fermiers rencontrés par ONFR+ estiment qu’il était crucial de pouvoir avoir des travailleurs saisonniers.

« On savait que le Canada crèverait de faim si l’on coupait le programme (de travailleurs migrants), parce qu’il y a 70 à 80 % des fruits et légumes cueillis en Ontario qui en dépendent », explique M. Deschatelets. « Ça serait un gros désastre si le Canada n’avait pas de fruits et légumes cette année, surtout puisqu’il y a moins d’importation. »

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Si certains fermiers ont jugé que les mesures sanitaires avaient ralenti la production, d’autres ont préféré avoir une baisse de production pour s’assurer d’éviter une éclosion de cas du virus.

« Dès le début, soit au mois de mars, j’ai été en contact avec la santé publique. Ils m’ont envoyé un guide à suivre au cas où mes travailleurs avaient des symptômes. Ils ont aussi fait des suivis téléphoniques », souligne M. Etter.

« Dans leur guide, c’était vraiment expliqué au niveau du deux mètres et que si l’on ne pouvait pas éviter la distanciation, de mettre des gants et des masques. »

De meilleurs droits pour les travailleurs migrants

L’organisme Migrant Workers Alliance for Change dénonce les conditions dans lesquelles les travailleurs migrants sont traités et accueillis au Canada.

Un rapport de l’organisme, publié en juin à la suite du décès de travailleurs dans des fermes de Windsor, avait fait état d’un manque de droits pour les travailleurs en raison de leur statut et le non-respect des mesures sanitaires de la part des employeurs.

Même si ce rapport met surtout en lumière les événements qui ont lieu dans le Sud de l’Ontario, l’organisme croit qu’il s’agit d’une situation similaire à travers la province.

« L’Est de l’Ontario a aussi eu des épisodes d’épidémie », lance Sied Hussan, directeur chez Migrant Workers Alliance for Change. « On a eu des plaintes de travailleurs de partout à travers le Canada, mais surtout de tous les secteurs agricoles en Ontario. Les rapports sont seulement une infirme partie de la situation, car on évalue seulement les rapports que l’on reçoit par téléphone. »

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Ce dernier croit qu’un changement doit s’opérer au sein des lois. Il prône notamment un statut de résident permanent pour les travailleurs étrangers et l’arrêt complet du travail dans des fermes avec des cas de COVID-19.

« La situation est pareille partout, car les règles sont les mêmes partout. Ce sont des règles fédérales qui disent : si vous parlez, votre contrat prendra fin et vous allez être déporté. »

« Le système fait en sorte que c’est impossible de faire changer les choses », ajoute-t-il.

Article écrit avec la collaboration de Didier Pilon