Tsunami bleu à Queen’s Park : à quoi s’attendre dans les prochains mois?

TORONTO – Avec 83 députés sur les bancs de la prochaine législature de l’Ontario, le Parti progressiste-conservateur a les coudées franches pour les quatre prochaines années de gouvernement mais devra éviter bien des écueils pour ne pas reproduire son précédent début de mandat, y compris en matière de francophonie.

Malgré un taux de participation historiquement bas, les résultats qui ont solidement reconduit, jeudi dernier, la Ford nation au pouvoir constituent un plébiscite pour Doug Ford et une déconvenue majeure pour les partis d’opposition qui ont fait campagne sur des thèmes très proches.

Plusieurs experts pensent que le premier ministre aura une latitude bien plus grande qu’en 2018 au moment où l’opposition s’affaiblit et que la pandémie s’estompe. Une double conjoncture favorable à l’application de mesures plus à droite qui devront toutefois ménager les sensibilités plus centristes constituant une part non négligeable de son électorat.

Gynny Roth, commentatrice politique et militante pour le Parti progressiste-conservateur. Gracieuseté

« Quand Doug Ford a coupé dans des programmes qui ont touché des populations vulnérables, il a vu sa popularité chuter dans ses premiers mois de gouvernance en 2018 », rappelle la politologue Stéphanie Chouinard. « Est-ce qu’il va continuer à gouverner comme un Red Tory ou plutôt en étant plus austère en matière budgétaire? » s’interroge la professeure adjointe de science politique au Collège militaire royal.

Le dernier budget – qui devra être à nouveau présenté pour être adopté – donne d’ores et déjà une indication claire de la direction qu’entend prendre le gouvernement Ford 2 : construire des autoroutes, des lignes de métro, des logements, favoriser la croissance économique et alléger les taxes, alors que l’équilibre budgétaire ne devrait pas être atteint avant 2029. Mais rien ne dit que le futur document sera la copie conforme du précédent. Le premier ministre a lui-même laissé entendre qu’il pourrait procéder à quelques « ajustements ».

Au sein du parti, l’ennemi numéro 1 est identifié : l’inflation. « Le parti va s’occuper de la crise de l’abordabilité, du prix du gaz et du prix l’épicerie quotidienne », affirme au micro d’ONFR+ Gynny Roth, commentatrice politique et militante pour le Parti progressiste-conservateur. « Il devra couper des taxes et rendre la vie des gens abordable. Dans un deuxième temps, il va construire les routes, les autoroutes et créer des emplois dans la construction. »

Risque de tensions avec le service public et les municipalités

Peter Graefe, politologue à l’Université McMaster, anticipe plusieurs obstacles en travers du futur gouvernement, à commencer sur le front immobilier et de l’étalement urbain où « certains conflits avec les conseils municipaux qui cherchent à limiter ce genre de développement pourraient survenir ».

Autre front : la santé et l’éducation, en partie oubliées par le dernier budget. « Face à l’inflation qui explose, le coût pour développer un hôpital ou une école risque d’augmenter, avec le risque de friction avec les services publics », soupèse M. Graefe. « Ça pourrait dégénérer en conflit avec les travailleurs du secteur public comme les enseignants et les infirmières qui viennent d’encaisser des gels de salaires. »

Doug Ford, au soir sa réélection dans Etobicoke-Nord. Crédit image : Joanne Belluco

« Il y aura toujours une cure d’austérité mais mieux cachée, grâce à l’inflation » – Peter Graefe, politologue

« M. Ford a appris qu’il peut faire ce qu’il veut, imposer des coûts à d’autres sans être méchant, en profitant de la situation inflationniste », observe M. Graefe. « Il peut réduire la place du secteur public sans avoir à couper, simplement en augmentant les budgets en dessous du niveau de l’inflation. Il y aura toujours une cure d’austérité mais mieux cachée grâce à la situation inflationniste. »

Ce qui alerte le plus cet expert ne réside toutefois pas dans de nouvelles lois mais plutôt dans un certain nombre de changements de règlementation moins populaires qui pourraient discrètement passer dans le courant de l’été. « Ce type de changement évite de passer par une loi, tout en modifiant de façon significative la portée d’une politique. Et même si les gens ne sont pas heureux avec ça, ils l’oublieront dans quatre ans. »

Une nouvelle crise linguistique peu probable

La politologue Stéphanie Chouinard écarte, quant à elle, l’hypothèse d’une nouvelle crise francophone dans le second mandat qui s’ouvre. « Je ne m’attends pas à ce qu’il y ait des crises comme en 2018. Doug Ford a découvert la communauté franco-ontarienne et c’était dans les premiers mois de son mandat. »

Le ministère des Collèges et Universités ira-t-il de l’avant avec le dossier du postsecondaire dans le Moyen-Nord? La lettre de mandat du prochain ministre pourrait se révéler éclairante à ce propos, mais tout porte à croire que Doug Ford, qui a toujours refusé de révéler le contenu de celles de son premier conseil des ministres, en fera tout autant pour les membres de son prochain cabinet. La Cour suprême pourrait l’y contraindre.

Stéphanie Chouinard, professeure adjointe de science politique au Collège militaire royal, sur le plateau d’ONFR+. Crédit image : TFO

Autre inconnue : « Mme Mulroney conservera-t-elle le ministère des Affaires francophones? « Elle est ambitieuse », relève Stéphanie Chouinard. « Elle avait le ministère du Transport, un gros portefeuille, mais elle va peut-être s’intéresser à la Santé – Christine Elliott étant partie – ou les Finances. Avec un caucus élargi, tout ça va jouer des coudes pour trouver une place à la table du conseil exécutif. »

Nouveau venu francophone à Queen’s Park, Stéphane Sarrazin, tombeur d’Amanda Simard dans la circonscription de Glengarry-Prescott-Russell, pourrait aussi occuper un rôle de près ou de loin dans les Affaires francophones, par exemple comme adjoint parlementaire si Caroline Mulroney conservait son portefeuille ministériel.

Il faudra attendre la formation du prochain gouvernement qui pourrait prendre plus de temps qu’en 2018… Un micro-répit pour les partis d’opposition néo-démocrate et libéral qui doivent rapidement se trouver un chef intérimaire après les démissions d’Andrea Horwath et Steven Del Duca.

Article écrit avec la collaboration de Lila Mouch.