Un plan de rentrée scolaire « renforcé », vraiment?

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TORONTO – Après plusieurs semaines d’attente, le plan de retour en classe à temps plein a surpris les conseils scolaires, les enseignants et les parents d’élèves qui s’attendaient à des directives plus consistantes tirant les leçons des précédentes vagues de COVID-19, alors que le variant Delta sème le trouble en Ontario.

« Renforcé » est un bien grand mot aux yeux de la communauté scolaire franco-ontarienne qui, dans son ensemble, ne constate pas de grands changements par rapport à la rentrée de septembre 2020. « Il n’y a pas grand-chose de nouveau », tranche Anne-Vinet-Roy, la présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO) qui parle d’un « copié-collé » du plan précédant, en dehors des activités parascolaires. « C’est comme si le gouvernement essayait de mettre l’accent sur ça pour détourner l’attention des choses qui manquent dans son plan. »

« Renforcé, ça semble un mot un peu fort car on ne voit pas de grandes différences », confirme Paul Baril.

Le président de Parents partenaires en éducation (PPE) salue le dévoilement des lignes directrices du gouvernement attendues depuis le mois de juin, mais attend des précisions sur plusieurs points dans les jours à venir.

« Il est clair maintenant qu’il y a un retour en classe pour tous ceux qui veulent y être et qu’il y a une option en ligne », se satisfait-il, « mais on a encore des questions : quelles sont les règles pour les enfants non vaccinés? Le ministre n’en parle pas dans le plan et c’est mélangé dans la tête de plusieurs parents. Quel est le seuil de fermeture des classes en cas d’éclosion? On veut des précisions à ce niveau-là. »

Paul Baril, président de PPE, Anne Vinet-Roy, présidente de l’AEFO, et Denis Chartrand, président de l’ACÉPO. Sources : PPE et archives ONFR+

Si beaucoup de parents estiment que les conditions de sécurité sont réunies dans les écoles, plusieurs s’interrogent sur ce qu’il va se passer en cas de 4e vague liée au variant Delta. « Est-ce qu’il va y avoir un reconfinement et, si oui, combien de temps va-t-on avoir pour se préparer? Est-ce qu’on va nous enlever les activités sportives » questionne M. Baril, en référence au congé d’avril dernier et soucieux de la santé mentale des élèves.

Si tard pour si peu

Dans ce contexte, Denis Chartrand ne comprend pas pourquoi le gouvernement Ford a attendu si longtemps pour dévoiler des changements à la marge? « C’est une rentrée prudente de la part du gouvernement et qui sera la même dans toutes les régions, mais cela pourra changer en fonction de l’évolution de la pandémie », appréhende le président de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO). Il s’attend donc à une approche différenciée d’un conseil scolaire à l’autre, au cours de l’année scolaire suivant les indicateurs de santé publique.

« Si une région dans le Grand Nord n’a aucun cas, pourquoi l’obliger à suivre des directives faites pour Toronto ou Ottawa? » – Denis Chartrand

Mais il le dit sans sourciller : il aurait voulu connaître ces directives plus tôt pour que les conseils se préparent bien. Il juge aussi que les activités culturelles et sportives auraient pu reprendre plus tôt car les conditions sanitaires s’y imposaient déjà. Il aurait enfin vivement apprécié que le gouvernement adopte une logique géographique dès septembre. « Si une région dans le Grand Nord n’a aucun cas, pourquoi l’obliger à suivre des directives faites pour Toronto ou Ottawa? »

De son côté, Mme Vinet-Roy souligne « des incohérences dans le plan gouvernemental qui comporte beaucoup de si possible. Qui va décider, qui va gérer de façon concrète? C’est très beau sur le papier, mais c’est autant de casse-tête pour les conseils scolaires et les bureaux de santé qui s’ajoute à une longue liste. »

Ventilation : des millions de dollars mais personne pour l’installer

Le ministre Lecce a toutefois laissé entendre que des annonces complémentaires viendraient compléter la directive de mardi dernier. La première est intervenue hier avec une rallonge de 25 millions de dollars, portant à 600 millions de dollars le soutien gouvernemental à la ventilation dans les écoles.

Mais dans les rangs des enseignants, le compte n’y est pas. Leur porte-parole, la présidente de l’AEFO rappelle qu’il s’agit d’une promesse faite en janvier dernier quand les écoles ont fermé et met en doute les chiffres avancés par Stephen Lecce selon lesquels 70 % des écoles seraient aux normes. « Je doute de ces chiffres. On a l’habitude d’un gouvernement qui fait des promesses qu’il ne tient pas toujours », glisse Mme Vinet-Roy.

Le ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, lors de l’annonce de fonds additionnels pour la ventilation dans les écoles. Source : YouTube Gouvernement de l’Ontario

Dans les écoles récentes, les systèmes de ventilation sont relativement performants, relèvent plusieurs acteurs du dossier. Par contre, dans les écoles construites au début du 20e, c’est parfois toute la structure qu’il faut changer mais plusieurs conseils scolaires se heurtent à un manque de main d’œuvre.

« Le problème n’est pas simplement d’avoir des sous, mais d’avoir des entrepreneurs capables de faire le travail. Or, il y a une pénurie et, dans un de nos conseils scolaires, on a dû temporairement abandonner un projet cet été, car l’entrepreneur s’est retiré, faute de techniciens et d’équipement », relate M. Chartrand dont l’organisation représente les intérêts de quatre conseils scolaires francophones.

Vacciné, non vacciné : les parents refusent la stigmatisation

Les inquiétudes sont donc encore nombreuses à trois semaines de la rentrée scolaire. L’une fait polémique plus que les autres : la différence de traitement entre élèves vaccinés et non vaccinés, évoquée plus tôt au cours de l’été et qui ne figure pas dans le plan dévoilé.

« C’est délicat », juge Paul Baril. « Vacciner son enfant est un sujet émotionnel, un choix qui appartient à chaque famille. On est en train d’étiqueter les élèves et j’ose croire que le gouvernement a une stratégie en place pour s’assurer que cette distinction soit anonyme », avertit le président de PPE qui multiplie les ateliers de sensibilisation pour des parents en manque d’information claire.

Mme Vinet-Roy estime qu’en l’état actuel des choses le gouvernement n’a pas retenu la leçon des précédentes vagues de COVID-19. « C’est décevant », dit-elle. « Le gouvernement avait promis un plan concret et compréhensible, mais il manque encore beaucoup de morceaux. Depuis 18 mois et avec tous les conseils des experts, c’est à se demander pourquoi c’est si compliqué à comprendre pour le gouvernement. »

Les représentants des parents, enseignants et conseils scolaires, attendent désormais de sérieuses précisions sur le soutien en santé mentale des élèves, la formation des enseignants, la gestion des éclosions et l’accès aux classes, avant que la rentrée ne débute.