Un projet de loi pour reconnaître la Bataille des épingles à chapeau

Une plaque commémorative devant l'École Guigues d'Ottawa rappelle le combat de la minorité francophone contre le Règlement XVII. Source: Google Map

TORONTO – L’opposition dépose, ce lundi à Queen’s Park, un projet de loi proclamant le 7 janvier « Jour de la bataille des épingles à chapeau », en mémoire des mères de famille francophones qui se sont opposées, le 7 janvier 1916, à la fermeture de l’école Guigues d’Ottawa où les enseignantes Béatrice et Diane Desloges donnaient des cours en français, interdits par le Règlement XVII.

À l’origine du projet de loi, le député néo-démocrate et porte-parole des Affaires francophones, Guy Bourgouin, n’imagine pas que la majorité conservatrice puisse s’opposer à la reconnaissance de cet épisode symbolique de l’histoire franco-ontarienne et se dit prêt à exercer les pressions nécessaires pour le faire avancer.

La Bataille des épingles à chapeau nous plonge au début du XXe siècle. Le 7 janvier 1916, une trentaine de policiers débarquent devant l’École Guigues, dans la Basse-Ville, à Ottawa, pour mettre un terme à l’enseignement en langue française. Depuis 1912, le Règlement XVII interdit en effet l’enseignement du français à partir de la 3e année.

Mais tout dérape. Près de 120 parents d’élèves s’opposent aux forces de l’ordre pour défendre cette « école de la résistance » dans laquelle les sœurs Béatrice et Diane Desloges dispensent leurs cours en français. Sous la menace de rouleaux à pâtisserie, de casseroles en fonte et d’épingles à chapeau, les policiers reculeront dans ce que l’histoire nommera la Bataille des épingles à chapeau.

Les « gardiennes » de l’école Guigues d’Ottawa : au centre au premier rang, les sœurs Desloges. Source : Université d’Ottawa, CRCCF, Fonds ACFO (C2-Ph2-954)

La présidente de l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO) soutient l’initiative législative qui intervient lors de la Journée internationale des droits des femmes.

« Une journée comme celle-là est importante pour notre grande famille francophone de l’Ontario mais aussi pour la société en général qui connaît un peu moins notre histoire et qui a besoin d’être sensibilisée sur ce qu’on a vécu de nombreuses années et qu’on continue de vivre, parce que garder notre francophonie vivante et vibrante, c’est encore une lutte de tous les jours », plaide Anne Vinet-Roy.

Les sœurs Desloges : « deux pionnières » à honorer

« Entreprendre une telle lutte à une époque où les femmes n’avaient à peu près aucun statut et encore moins de pouvoir, en s’exposant à de graves conséquences en allant à l’encontre des principes d’une loi qui nuisait à leur culture, dépasse ce que nous pouvons imaginer aujourd’hui », juge Michèle Minor-Corriveau, professeure agrégée à l’École d’orthophonie de l’Université Laurentienne.

« Il était impossible pour elles de concevoir à quel point elles allaient influencer les générations à venir. (…) Il n’y a pas de définition plus pure de l’héroïsme. »

Michèle Minor-Corriveau, professeure agrégée à l’École d’orthophonie de l’Université Laurentienne. Source : site web de l’Université La Laurentienne

Pour la députée de Nickel Belt, France Gélinas, ce projet de loi est l’occasion d’« honorer deux femmes pionnières francophones que tout le monde en Ontario devrait connaître ».

« Nous avons bien hâte d’étudier le projet de loi lorsqu’il sera présenté », a réagi pour sa part le ministère des Affaires francophones par la voix de sa porte-parole Natasha Tremblay.

« Nous attendons avec impatience d’entendre les opinions de tous les députés, sans préjuger des avis et des conclusions qui résulteront du débat. »

Une lutte franco-ontarienne boudée par les livres d’histoire

La Bataille des épingles à chapeau est « assez peu connue globalement en Ontario », recontextualise Michel Bock. « On en parle dans les cours d’histoire franco-ontarienne mais il faut être féru d’histoire pour y être exposé ».

Le professeur titulaire au département d’histoire de l’Université d’Ottawa élargit sa réflexion à la crise du Règlement XVII qui reste, encore aujourd’hui, « une mention » dans les livres d’histoire.

« On n’en parle assez peu de manière approfondie, en dehors des études ou des manuels consacrés à l’histoire de l’Ontario français. Et même dans la mémoire collective franco-ontarienne, la question du règlement XVII n’occupe pas dans une place semblable à celle qu’occupe par exemple la Déportation des Acadiens (1755) dans la mémoire acadienne, où tout le monde en parle. »

Michel Bock, professeur titulaire au département d’histoire de l’Université d’Ottawa. Gracieuseté : Michel Bock

Selon lui, une telle reconnaissance pourrait donc contribuer à faire du Règlement XVII un élément plus important dans la mémoire collective franco-ontarienne car, même si d’autres événements auraient pu être choisis, celui-là est devenu « un moment mythique qui permet d’associer la résistance franco-ontarienne à un geste concret de désobéissance civile face au Règlement XVII ».

Pour M. Bock, cette crise – qui a pris fin en 1927 avec la modification du Règlement XVII – a fait prendre conscience à la francophonie ontarienne de sa précarité et a préparé, après des décennies de « progrès tranquilles », les revendications de la fin des années 60, notamment celle des écoles secondaires de langue française.

« Nous devons continuer de nous battre pour nos droits linguistiques et pour le patrimoine des Franco-Ontariens », estime le député de Mushkegowuk-Baie James, Guy Bourgouin, auteur du projet de loi, qui réclame au passage des appuis adéquats pour permettre aux bureaux de santé publique de communiquer en français et l’obligation de traduire des règlements relevant de la Loi sur l’Ombudsman, après le transfert au Bureau de l’Ombudsman les responsabilités du Commissariat aux services en français.

Cet article a été mis à jour le 10 mars 2021 à 8 heures.