Un recul de 15 ans pour les droits linguistiques

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OTTAWA – La récente décision du juge Gascon en Colombie-Britannique, dans l’affaire qui opposait la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB) au gouvernement fédéral, inquiète les francophones en milieu minoritaire. Pour beaucoup, ce sont 15 années de gains en matière de droits linguistiques qui sont menacées.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« On revient en 2005, quand cette partie de la Loi [sur les langues officielles], qui encourage le gouvernement à tenir compte de l’impact de ses décisions sur les communautés de langue officielle en milieu minoritaire, n’était pas contestable devant les tribunaux », estime l’avocat spécialiste des droits linguistiques, Michel Doucet.

Dans sa décision de mai dernier, le juge de la Cour fédérale a conclu que le gouvernement n’a pas manqué au respect de ses obligations linguistiques en transférant aux provinces, en 2008, la responsabilité d’offrir les services et programmes d’aide à l’emploi. Et ce, même si en Colombie-Britannique, cette décision a eu pour effet de réduire considérablement l’accès à des services à l’emploi en français.

La FFCB rappelait que, selon la Loi sur les langues officielles, le gouvernement doit prendre des « mesures positives » pour promouvoir le français et l’anglais et assurer la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Conséquence de ce jugement, estiment plusieurs experts interrogés par #ONfr, il suffirait théoriquement désormais aux institutions fédérales de dire avoir agi, peu importe la manière, pour que leurs obligations linguistiques soient rencontrées, sans aucun égard pour la qualité et l’impact des mesures prises.

« Il s’agit d’un jugement rétrograde, qui fait preuve d’une profonde incompréhension de l’importance vitale de la partie VII de la Loi [sur la Promotion du français et de l’anglais] pour les communautés de langues officielles. Ce jugement fait non seulement fi de la jurisprudence et l’interprétation large et libérale des droits linguistiques faite jusqu’ici, mais il contribue aussi à la marginalisation grandissante des communautés de langue officielle. Ce jugement semble nous téléporter vers un monde révolu, alors que la partie VII venait de naître et que plusieurs ne la comprenaient pas », analyse le blogueur Ricky G. Richard, qui s’intéresse à la francophonie et aux langues officielles.

Un avis que partage la politologue du Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard.

« Ce jugement réduit considérablement la portée de cette partie de la Loi. Cela défait complètement ce qu’avait fait le sénateur Jean-Robert Gauthier, car ça remet en cause le fait de pouvoir l’évoquer devant les tribunaux. Et pour les acteurs gouvernementaux, cela enlève de la pression à agir de façon positive pour la promotion du français et de l’anglais et l’épanouissement des commuanautés. »

Problème de définition

Cette cause soulève le problème de définition des « mesures positives » qu’est censé prendre le gouvernement. Le juge Gascon estime que le concept n’est pas assez bien défini pour servir à contester une action prise par le gouvernement.

« Ça n’a jamais été défini clairement », reconnaît M. Doucet. « Et souvent, la définition d’un gouvernement va être différente de celle de la communauté. Dans le cadre de l’abolition du Programme de contestation judiciaire, par exemple, le gouvernement Harper était persuadé qu’il ne s’agissait pas d’une mesure négative pour les communautés de langue officielle. Il disait qu’il fallait regarder l’ensemble, la forêt, et non le simple arbre coupé. Ce à quoi j’avais demandé : combien ça prend d’arbres coupés pour que ce ne soit plus une forêt? »

Pour le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson, la définition est claire.

« Une mesure positive, c’est tout geste qui ne serait pas négatif! C’est ce que m’avait répondu le sénateur Jean-Robert Gauthier [qui est à l’origine de la judiciarisation de cette partie de la Loi]. »

Certains estiment toutefois que de définir ce concept pourrait en limiter l’interprétation.

Impact sur le terrain

La décision du juge Gascon a été portée en appel par la FFCB et le Commissariat aux langues officielles du Canada. En attendant, sur le terrain, l’impact est déjà visible.

Dans son traitement des plaintes contre l’entente Netflix, le commissaire aux langues officielles du Canada a jugé que ce nouvel environnement juridique limitait son champ d’action, même s’il invite les Canadiens à continuer leurs plaintes.

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Archives #ONfr

« Pendant que l’appel est en cours, notre interprétation des obligations de la partie VII de la Loi s’aligne avec la décision de la Cour fédérale dans le recours de la FFBC. (…) Étant donnée l’interprétation de la partie VII de la Loi par la Cour fédérale, je ne peux pas conclure sur les possibles répercussions négatives sans preuve concrète. »

Appel au gouvernement

Cette interprétation a provoqué la colère de la FCFA, qui en appelle à la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly.

« M. Théberge a dit qu’il interprète ça comme étant la Loi [sur les langues officielles] maintenant. Je trouve ça dommage! Cela veut dire qu’il va refuser certaines plaintes, selon les conséquences. On fait donc demande à Mme Joly de faire une déclaration ou de donner une directive à l’appareil gouvernemental de respecter l’intention de 2005, lorsque Jean-Robert Gauthier a apporté cet élément à la Partie VII. Les mesures positives doivent rester en place. »

Me Doucet estime que le gouvernement pourrait adopter un règlement pour préciser ce qu’il entend par « mesures positives » et ainsi, limiter les effets du jugement Gascon. Actuellement un guide, créé en 2007 par Patrimoine canadien, donne des balises aux quelque 200 institutions fédérales concernées afin qu’elles respectent la Loi en matière de Promotion du français et de l’anglais. Ce guide doit être mis à jour prochainement, mais n’a pas le même poids qu’un règlement, rappellent les experts.

« Une déclaration de Mme Joly ne serait pas suffisante. Il faut soit un règlement pour préciser les contours de cet article-là et ce qu’entend le gouvernement par « mesures positives », soit une modernisation de la Loi sur les langues officielles », tranche Mme Chouinard.

La contestation en appel porte aussi sur les obligations linguistiques qui sont rattachées aux ententes entre le fédéral et les provinces, lors de transferts de compétence, notamment.

Cet article a été mis à jour le jeudi 1er novembre 2018, à 11h37


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