Un Franco-Ontarien reçoit le Prix de bâtisseur de la Ville d’Ottawa

Ottawa LGBT
Yves Brunet a parlé de son engagement auprès des réfugiés LGBT. Crédit: Ville d'Ottawa

OTTAWA – Yves Brunet a reçu le Prix de bâtisseur de la ville d’Ottawa qui récompense ses actes de bonté remarquables. Depuis 2016, il participe à l’accueil de plusieurs réfugiés LGBT afin de les sauver des régimes oppressifs, là où les personnes homosexuelles sont encore, aujourd’hui, massacrées.

Il a contracté le VIH (virus de l’immunodéficience humaine), il y a 38 ans. Au milieu des années 80, les essais cliniques sont expérimentaux et il se bat alors qu’on lui prédit peu de temps à vivre. Il fera de sa vie un but : briser les préjugés autour des personnes atteintes du VIH et du SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise).

Yves Brunet a survécu au SIDA après avoir été infecté par le VIH à l’âge de 25 ans. Lorsqu’il réalise qu’il est malade, il tente tout pour combattre ce virus. Beaucoup d’opérations et de médicaments lui sont administrés à la fin des années 80, jusqu’à 17 essais cliniques. Ces drogues et traitements lui ont laissé de nombreuses séquelles et de graves effets secondaires. Dans les années 1990, le diagnostic est sans appel : il va mourir.

« On me disait qu’il ne me restait plus que deux ans à vivre, puis un an, puis six mois. »

Originaire de Ste-Anne-de-Prescott, en Ontario, ce survivant explique qu’il a été chanceux et surtout beaucoup aimé par son entourage. En 1998, il aurait dû mourir, raconte-t-il : « Neuf de mes amis sont morts et pas moi. J’ai eu cet étrange sentiment de culpabilité, vous savez, comme les survivants de l’holocauste… la culpabilité du survivant. » En 1995, 2003 et en 2006, le virus mutera dans sa phase symptomatique, le SIDA. Ce n’est qu’en 2006 que la trithérapie fonctionnera et que la charge virale dans son sang disparaîtra.

« Normalement, je devrais avoir une espérance de vie normale, mais les séquelles dues aux traitements font planer le doute. Heureusement, les médicaments que l’on me donnait ne sont plus sur le marché. »

La lutte contre la stigmatisation

« Des gens m’appelaient pour me dire : « Écoute, j’ai un bouton sur le visage, l’autre jour, tu as toussé, est-ce que je suis infecté? » ». M. Brunet, nous raconte comment les gens se comportaient autour de lui face à sa maladie. Il résume cela en expliquant qu’il y avait « beaucoup de paniques, car les gens mouraient et il n’y avait pas de traitement ».

La stigmatisation est un fléau dans la lutte contre le SIDA. Elle mène, notamment, à la honte du dépistage. Au milieu des années 80 et 90, les personnes atteintes du VIH préféraient dire être atteintes d’un cancer, plutôt que d’admettre leur séropositivité. Encore aujourd’hui, la peur revêt plusieurs visages : celle du regard des autres pour les porteurs du virus, mais aussi la peur d’être infecté par quelqu’un, ce qui favorise l’absence de soutien et d’entourage pour la personne malade.

Pour briser ces préjugés, M. Brunet a pendant 20 ans témoigné dans des écoles et universités. « Au secondaire, à la Cité collégiale, à l’Université d’Ottawa et Carleton, partout où l’on voulait m’entendre. Puis progressivement, j’ai travaillé avec de nombreux organismes, le BRAS outaouais (le bureau régional d’Action SIDA) pour les francophones. »

Prix bâtisseur Ottawa
Yves Brunet a reçu le Prix Bâtisseur de la Ville d’Ottawa. Crédit image : Ville d’Ottawa

« Et à un moment donné, je pense que j’ai fait ce que je devais faire », ajoute Yves Brunet, « sauf que j’ai vu une photo d’un enfant, réfugié syrien, décédé, et je me suis dit que c’était horrible, puis j’ai eu envie de faire quelque chose pour les réfugiés et en particulier les personnes LGBT ».

Le sauvetage de réfugiés LGBT

C’est en écoutant l’émission Tout le monde en parle qu’il a eu vent d’un programme permettant d’orienter des personnes LGBT vers le Canada. « J’ai trouvé le Refuge de l’arc-en-ciel de la Capitale, avec Lisa Hébert, puis j’ai commencé en décembre 2015. J’ai créé mon premier groupe de parrainage et on accueillait, le 28 septembre 2016, un premier réfugié du Moyen-Orient. »

Ce volontaire infatigable nous explique comme il est dur de rapatrier des réfugiés. Il dit par exemple que dans un groupe de parrainage, il faut des bénévoles en santé, des gens qui gèrent les traumatismes et bien d’autres encore. Des gens qui les écoutent et qui ne les jugent pas. « Il faut savoir que d’où ils viennent, leurs propres familles les jugent, les bannissent, les forcent à se marier, à avoir des enfants. Ils leur arrivent des choses tragiques, comme des viols collectifs, et parfois ils sont infectés par le VIH. »

Pour lui, « l’important, c’est la bonté ». Il nous parle de compassion et de résilience : « Parfois les choses paraissent extrêmement noires. Il ne faut pas laisser tomber et je crois que j’en suis un exemple ».

« 95 % des gens dans les années 1980 en mouraient et moi on m’a donné une chance » reprend-il. « Je n’ai pas le goût d’utiliser ce temps à regarder la télévision. J’ai besoin de faire quelque chose qui fasse une différence, même si c’est très difficile. »

 « « I believe in kindness », je crois que c’est ça l’essence de la vie. »

Le Prix de bâtisseur de la ville d’Ottawa

Depuis qu’il a quitté la fonction publique, c’est le premier prix qu’Yves Brunet reçoit. Il se dit très touché, mais c’est surtout « les 35 personnes qui ont écrit au maire Watson. Des témoignages et des lettres pour dire que je méritais ce prix. Ça me touche beaucoup. Il y avait une lettre d’un enfant d’une dizaine d’années, que nous avons fait venir au Canada lorsqu’il avait 8 ans. Il disait que je lui avais montré la bonté, ce que c’était d’être doux et gentil et qu’on peut aller loin. Il disait qu’il n’avait pas eu cet exemple dans la vie ».

Ottawa prix Yves Brunet
De gauche à droite : Jim Watson, Yves Brunet et Rawlson King. Crédit image : Ville d’Ottawa

« Pour moi, la meilleure façon de me remercier, c’est que ces gens soient heureux, et qu’ils atteignent le succès tel qu’eux le déterminent. »

Pour ce Franco-Ontarien, il faut plus de bénévoles francophones pour aider avec les réfugiés LGBT. « Il y a beaucoup de personnes LGBT francophones dans le besoin. Par exemple, je travaille avec des personnes au Kenya, c’est un pays plus riche que ceux qui l’entourent. Il y a donc beaucoup de réfugiés francophones qui fuient là-bas, sauf que c’est un pays anglophone et qui n’est pas plus ouvert aux personnes LGBT. C’est dur pour eux de se faire comprendre. »

« Avec le parrainage privé, on peut au moins aller chercher les francophones pour qu’ils viennent en Ontario français. »

Le Prix de bâtisseur de la ville décerné par le maire reconnaît les services bénévoles exceptionnels et l’engagement profond d’Yves Brunet. Ce prix distingue les personnes qui font d’Ottawa « un meilleur endroit aujourd’hui et pour l’avenir ». Le Prix récompense « des actes de bonté remarquables (…) et toutes autres réalisations exemplaires ». Une chose est sûre, Yves Brunet a fait preuve d’exemplarité tout au long de sa vie, que ce soit dans sa bataille contre le VIH, sa lutte contre la discrimination et la stigmatisation ou encore pour avoir sauvé 14 personnes provenant de pays où être homosexuel est un crime.