Une autre avenue pour une Ville d’Ottawa officiellement bilingue

Le centre-ville d'Ottawa. François Pierre Dufault

[ANALYSE]

OTTAWA – Le temps commence à presser pour les promoteurs d’une capitale du Canada officiellement bilingue, à un an de l’échéance de 2017 qu’ils se sont donnée pour faire d’Ottawa une ville où le français aurait vraiment sa place. Si l’avenue de la mairie, privilégiée jusqu’ici, demeure bloquée, il est impérieux d’en explorer une autre.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

Il est sans doute trop tard pour convaincre le maire Jim Watson du bien-fondé d’une capitale d’un pays bilingue où l’anglais et le français jouiraient d’un statut égal. L’édile est cantonné dans son « bilinguisme pratique » qui fonctionne bien, selon lui. Son idée est faite.

Il est sans doute trop tard aussi pour faire pression sur les conseillers municipaux qui, par une majorité écrasante à l’heure actuelle, sont indifférents ou tout simplement s’opposent au bilinguisme officiel d’Ottawa. Il faudrait une armée de démarcheurs pour rallier un nombre suffisant d’élus à la cause et porter le dossier à un vote favorable sans grand ressac d’ici l’an prochain.

Si près de l’échéance, les militants pour une capitale bilingue feraient mieux de se tourner vers l’Assemblée législative de l’Ontario. Pas pour que le gouvernement libéral de Kathleen Wynne modifie unilatéralement la loi fondatrice de la Ville d’Ottawa pour rendre la municipalité vraiment bilingue. Mais pour que la province fasse à son tour pression sur la mairie.

Il faudrait que Mme Wynne et quelques-uns de ses ministres et députés influents dans l’Est ontarien mettent M. Watson au pied du mur.

Profond malaise

Le maire d’Ottawa ne changera pas d’idée quant au bilinguisme officiel de sa ville à moins d’y être obligé politiquement. Il ne bougera pas à moins que ses amis libéraux dans la Législature provinciale – où il a siégé pendant sept ans – lui disent très publiquement qu’ils ne peuvent plus supporter son entêtement. Ou encore que l’opposition force la main du gouvernement, comme dans le dossier de l’université franco-ontarienne.

Il y a un profond malaise à Queen’s Park par rapport au bilinguisme officiel de la Ville d’Ottawa. Les libéraux de Kathleen Wynne semblent bien saisir la logique d’une capitale bilingue pour un pays qui se dit bilingue depuis près d’un demi-siècle. Mais l’enjeu demeure tabou. Personne sur les banquettes du pouvoir provincial ne semble prêt pour le moment à confronter Jim Watson sur cette épineuse question.

Les militants qui veulent faire d’Ottawa une ville à la double identité linguistique, comme Jacques de Courville Nicol et son Mouvement pour une capitale du Canada officiellement bilingue, ont tout intérêt à mettre fin à cette valse-hésitation des élus ontariens. Un appui tacite ne suffira pas à mener leur projet à bien. Ils auront besoin d’une intervention de la province pour faire passer le caillot à la mairie.

Dans la même veine, les théoriciens d’une capitale bilingue doivent mettre la pression sur les libéraux fédéraux de Justin Trudeau, qui comptent plusieurs nouveaux élus francophiles sympathiques à la cause dans la région d’Ottawa mais qui, eux non plus, n’osent pas défier le maire et son statu quo.

Bien définir le projet

Les francophones d’Ottawa ont aussi intérêt à bien définir les contours d’une vraie capitale bilingue pour dissiper les craintes que le projet pourrait encore susciter chez la majorité anglophone – celle qui validerait ultimement la demande. S’agirait-il d’un simple ajout à un texte de loi sans grande conséquence pour les budgets et la vie des gens, ou d’un changement en profondeur de l’appareil municipal?

Le plan de match pour 2017 doit être clair. Ajoutons-y, tant qu’à y être, une étude exhaustive sur les bienfaits économiques du bilinguisme officiel. Devant une administration municipale qui racle les fonds de tiroirs pour ne pas trop augmenter les impôts, quelques chiffres pourraient étoffer de belle façon un argumentaire qui demeure à la base émotionnel : celui de la reconnaissance d’une population historique.

Si le but est d’enchâsser dans une loi l’égalité de l’anglais et du français à Ottawa, l’exemple à suivre doit être Moncton, au Nouveau-Brunswick, qui est devenue la première municipalité officiellement bilingue au pays en 2002. Le dossier là-bas est bien chiffré, bien documenté. Pourquoi ne pas s’en inspirer?

À un an de l’échéance pour faire d’Ottawa une ville officiellement bilingue, à temps pour les célébrations du 150e anniversaire de la Confédération canadienne, la partie est encore loin d’être gagnée pour la minorité francophone dans la capitale. Mais il est encore temps d’explorer une autre avenue. Une intervention des gouvernements provincial ou fédéral ne ferait pas nécessairement débloquer le dossier dans les délais voulus, mais pourrait ouvrir une première brèche dans le mur d’indifférence et d’opposition à l’hôtel de ville.