Crédit image: Isabelle Bourgeault-Tassé

[CHRONIQUE]

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, la blogueuse et activiste du Nord de l’Ontario, Isabelle Bougeault-Tassé.

Ces villages que j’ai habité, qui m’ont habitée. Au nord. À l’est. Et dans le sud. Trois citées. Trois récits. Trois identités. 


La Nickel City : Sudbury (1979-2001)

Je naissais de cette terre de roche et de feu.

Là où les alchimistes du minerai brûlé habitent un paysage lunaire, à l’ombre de pins battus par le vent, frêles et fiers. 

Ici, dans la Nickel City. Sudbury, mon coeur. 

Crédit image : Isabelle Bourgeault-Tassé

Ici, j’apprenais ma langue, un français imparfait, brut et fin. Une langue raillée. Apostrophée. Méprisée. Et revendiquée. Parlée par les effrontés, les culottés, les osés. Une langue qui french, racontée par ses proverbes et sa poésie, sacrée par ses blasphèmes. Parlée en prise de parole.

Ici, j’étais Franco-Ontarienne. 

La capitale nationale : Ottawa (2001-2014)

Je deviens errante du no-man’s land du bilinguisme institutionnel du CanadaTM

Moi, avec les revers de mon accent sudburois dans la capitale nationale, Franco-Ontarienne à la frontière du Québec, je ne trouverais mon centre de gravité qu’en mettant les pieds sur la Rue Barrette à Vanier.

Comme je t’ai aimé, Vanier. 

Crédit image : Isabelle Bourgeault-Tassé

Fabulous Las Vanier, cette « Indigicity » en terre algonquine et anishinaabe et vieux village canadien-français. 

Vanier, mon amour.

À quelques pas de l’Église Saint-Charles, lieu sacré, berceau d’une société secrète où, émerveillée, j’écoutais chanter la messe congolaise le dimanche. Où j’ai flâné en fumant des smokes et rêvant d’avenir avec un grand amour perdu.

Ici, j’étais Franco-Ontarienne.

Le Big Smoke : Toronto (2014-2020)

Crédit image : Isabelle Bourgeault-Tassé

Ici, à Tkaronto – le Big Smoke, la Ville reine, Hogtown  –, j’arrivais de nulle part. 

J’étais invisible – oubliée, effacée, éteinte. Sans langue, sans culture, sans identité. On allait me faire croire que les Francos étaient imaginaires. Ici, j’enfouissais ma langue dans ma poche. 

Jusqu’au Jeudi noir. 


« Couverte par le trillium et le lys, je revendique!!! » m’écriais-je, portant sur mes épaules le drapeau franco-ontarien. J’ai organisé, j’ai polémiqué, j’ai pris parole. J’ai découvert la face cachée de ma francophonie.

« Quelques souvenirs des deux communautés francophones dans lesquelles j’ai vécu avant d’arriver à Toronto », écrivais-je autrefois sur fond de vieilles photos de mes anciens villages. 

Vanier, mon coeur. Sudbury, mon amour. 

« Je ne connais pas bien ma communauté franco-ontarienne à Toronto, mais alors que je me prépare à manifester contre les coupures de services francophones et le rêve brisé d’une université franco-ontarienne, j’ai l’impression que je suis sur le point de trouver une nouvelle communauté et un nouveau foyer parmi eux ».

Ici, j’étais Franco-Ontarienne.

N’Swakamok (2020-aujourd’hui)

Je renais. Sudbury. Sainte-Anne-des-Pins. N’Swakamok. 

Revenue d’exil ici dans le Nord, je suis toujours habitée par cet arrière-pays aux vents nordiques. Mais je suis riche de ce parcours et de ces villes que j’ai habitées, qui m’ont habitée. 

Vanier, mon amour.
Toronto, mon coeur. 

À ces terres d’accueil du nord, de l’est et du sud, est venu s’ajouter au fil des années le privilège de m’envoler pour des pays d’Afrique et d’ailleurs. 

Crédit image : Isabelle Bourgeault-Tassé


Dakar – Paris – Kigali – Kyangwali.

Comme je vous ai aimé.

J’ai témoigné des forces coloniales. Ailleurs. Pour enfin mieux les comprendre ici, en terres autochtones sacrées. 

Je reviens sur mes pas, citoyenne d’une francophonie qui déborde de toutes frontières et qui ici doit chercher à honorer les traités auprès des communautés autochtones. 

Citoyenne d’une francophonie que je veux pluraliste et fraternelle, le français se mêlant aux mille langues qui habitent ces territoires.

Citoyenne d’une communauté en lutte pour sa survie, mais qui reste fière, féroce et franco. 

Ici, j’étais Franco-Ontarienne.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et de TFO.