Une première année discrète pour le commissaire aux langues officielles

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Archives #ONfr

OTTAWA – Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge, souffle, ce mardi, sa première bougie à la tête de l’institution fédérale. Une année jugée très discrète par plusieurs intervenants.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« Ça a été une année très mouvementée! Les événements et le climat linguistique nous ont obligés à trouver une façon d’intervenir et on se demande aujourd’hui ce qui va arriver en 2019 », lance Raymond Théberge, en entrevue avec #ONfr.

Choisi après la saga de la nomination avortée de Madeleine Meilleur au poste de commissaire aux langues officielles, l’ancien recteur de l’Université de Moncton s’était fixé comme priorités d’inciter les institutions fédérales à mieux respecter la Loi sur les langues officielles, de travailler sur la modernisation de cette même Loi et de surveiller la mise en place du Plan d’action pour les langues officielles.

Mais les décisions des gouvernements de Doug Ford, en Ontario, et Blaine Higgs, au Nouveau-Brunswick, ont changé la donne.

« Il faut voir si la tendance d’opposition et de remise en cause de la dualité linguistique se maintient et la combattre », analyse M. Théberge. Et dans cette optique, le commissaire croit plus que jamais nécessaire de moderniser la Loi. « Les choses sont claires : ça prend une Loi plus robuste et plus actuelle. »

Priorité à la modernisation de la Loi

La modernisation de la Loi, dont la première version fête cette année ses 50 ans, sera la priorité de M. Théberge en 2019. En décembre, le commissaire a déjà présenté aux sénateurs quelques-unes de ses réflexions, avant de présenter l’ensemble de ses recommandations au printemps. Pour le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand, le temps presse.

« Avec les élections qui approchent, il va falloir que le commissaire se prononce rapidement, avant que les partis politiques aient fait leurs programmes. »

L’occasion est belle de faire mieux connaître cette Loi, estime l’avocat acadien spécialiste des droits linguistiques, Michel Doucet.

« 50 ans plus tard, beaucoup de Canadiens ne savent pas à quoi sert la Loi. Le commissaire a un rôle à jouer! »

Une année d’apprentissage

Pour sa deuxième année, le commissaire devra de manière générale être plus actif et visible, juge M. Doucet.

« M. Théberge a été plutôt discret jusqu’ici. C’est encore plus vrai en dehors d’Ottawa. On peut dire que ça a été une première année d’apprentissage, mais il est quand même étonnant que ce soit la ministre [du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie] Mélanie Joly qui ait dû lui rappeler ses obligations après le jugement Gascon. »

Le codirecteur de l’Observatoire national en matière de droits linguistiques, Frédéric Bérard, se montre moins clément.

« Je veux bien que ça prenne un peu de temps pour bien connaître les dossiers, mais on imagine que quand on est choisi pour ce genre de job, on connaît déjà les droits linguistiques. Un an, c’est long! On a clairement l’impression que le gouvernement a choisi quelqu’un qui ne fera pas de vague. »

Critiques virulentes

Une critique déjà formulée au moment de la nomination de M. Théberge, notamment dans un éditorial du quotidien L’Acadie Nouvelle. Un an plus tard, le commissaire se défend.

« Quand le gouvernement a annoncé des changements en matière de livraison des services fédéraux bilingues, nous avons dit qu’il n’allait pas assez loin! », rappelle-t-il.

Mais son attitude lors de la crise linguistique en Ontario et au Nouveau-Brunswick désole M. Bérard qui se fait plus virulent.

« C’est absolument révoltant qu’un commissaire aux langues officielles soit aussi fantomatique dans une telle période de crise. Il aurait dû être sur toutes les tribunes! M. Théberge n’a pas démontré d’un iota la pertinence de sa nomination. Ça va prendre quoi pour qu’il réagisse? »


« Est-ce que M. Théberge va se réveiller? Il faut un électrochoc! » – Frédéric Bérard, Observatoire national en matière de droits linguistiques


Le codirecteur de l’Observatoire national en matière de droits linguistiques souligne par opposition le rôle joué par la ministre Joly dans ce dossier, blâmant le commissaire Théberge de ne pas avoir utilisé son rôle et ses fonctions pour agir.

« Il n’a aucune circonstance atténuante! », tranche-t-il.

Reconnaissant la crise actuelle en matière de droits linguistiques, le commissaire se défend et milite pour une rencontre entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires pour aborder cette question.


« Nous avons besoin de leadership politique! » – Raymond Théberge


Et pour renforcer le bilinguisme et la dualité linguistique au niveau fédéral, il prône un changement de comportement.

« Cette année, nous allons mettre en place un outil pour mieux diagnostiquer l’application des obligations linguistiques au sein des institutions fédérales. On veut évaluer les obstacles et identifier les défis pour les appuyer là-dedans. »

Une année d’apprentissage

Moins virulent, le politologue Martin Normand tempère : « C’est vrai que la première année de M. Théberge n’a pas été très convaincante et qu’on l’a peu vu sur la place publique. Mais il ne faut pas oublier qu’on lui avait reproché au départ de mal maîtriser les dossiers. Ce n’est peut-être pas une mauvaise chose qu’il ait pris le temps de bien les étudier. Et puis, il a hérité d’un Commissariat qui tournait au ralenti depuis plusieurs mois, dans l’attente de la nomination d’un nouveau commissaire. Mais il est certain qu’il va devoir passer à l’action et faire mieux connaître sa vision de la dualité linguistique. »

M. Doucet souligne également que le manque de visibilité du Commissariat n’est pas la seule responsabilité de M. Théberge.

« Depuis que les enquêtes ont été rapatriées des bureaux régionaux à Ottawa, sous Dyane Adam [1999-2006], le Commissariat a perdu sa capacité de bien connaître les communautés, leurs réalités et leurs problèmes. J’ai même des enquêteurs qui m’ont appelé pour m’expliquer la Loi sur les langues officielles! », rapporte le spécialiste des droits linguistiques.

Le commissaire reconnaît toutefois le problème soulevé.

« On est en réflexion pour que nos cinq bureaux régionaux soient plus visibles. Mais on doit aussi tenir compte de nos ressources limitées. »

Un problème de financement qui avait déjà été soulevé par son prédécesseur, Graham Fraser, et qui ne semble donc pas encore résolu.


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