Une révolution inachevée

Le drapeau franco-ontarien. Archives ONFR+

[CHRONIQUE]

 La Loi sur les services en français (LSF), communément surnommée « Loi 8 », a célébré son 30e anniversaire le 18 novembre dernier. D’adoption à vrai dire, car son implantation ne s’est effectuée que trois ans plus tard. Toujours est-il que l’Ontario français – surtout ses intellectuels – n’a pas manqué de souligner ce jalon important, en insistant du même souffle qu’il y avait toujours place à l’amélioration. Faut-il donc comprendre qu’elle a eu moins de visées, de mordant ou d’effets que prévu et que les espoirs originels ont été déçus?

DIÉGO ELIZONDO
Chroniqueur invité
@Diego__Elizondo

Dans la presse québécoise de l’époque, les éditorialistes portent une attention particulière à ce qui se passe en Ontario français. Entrecroisée par la crise scolaire de Penetanguishene qui s’était enlisée avec le référendum sur la souveraineté-association au Québec, suivi du rapatriement de la Constitution et l’enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés, les actualités de la francophonie canadienne avaient la cote dans les journaux.

Une révolution de palais se joue à Queen’s Park et voit le chef du Parti libéral de l’Ontario (PLO), David Peterson, s’emparer du pouvoir avec l’appui du chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Bob Rae, et mettre un terme, dès l’ouverture de la session de 1985, à la dynastie de 42 ans de pouvoir ininterrompus pour les progressistes-conservateurs, un record à l’époque pour un parti politique en démocratie occidentale. Ce changement de gouvernement rappelle aux éditorialistes québécois la fin de régime qu’avait connu l’Union nationale au Québec, lorsque Jean Lesage – un autre libéral – s’était emparé du pouvoir en 1960. De fait, les éditorialistes n’y vont pas par quatre chemins : l’Ontario vit sa Révolution tranquille et dont les Franco-Ontariens allaient être les premiers à bénéficier!

Dans l’édition de La Presse du 20 juin 1985, l’éditorialiste Michel Roy entrevoit un renouveau avec le changement de régime, sorte de voies ensoleillées avant la lettre : « Bay Street s’agite un peu. Les conservateurs sont amers. Une certaine nervosité gagne Toronto. Conséquences inévitables du crépuscule de la vieille dynastie qui régnait sur l’Ontario depuis 42 ans […]  ce changement sera salutaire pour la province la plus riche, la plus populeuse du pays. »

Espoir en Ontario français

L’espoir était grand de voir enfin une loi globale reconnaissant aux Franco-Ontariens le droit de recevoir des services du gouvernement provincial en français. Question qu’à défaut d’être bilingue, le gouvernement ontarien affiche un tant soit peu sa francophonie inhérente.

De fait, cette « loi-cadre », comme les contemporains de l’époque la désignaient, était parmi les plus hautes priorités que s’était fixée à l’époque l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO). La tentative d’Albert Roy en 1978, avortée par Bill Davis, n’avait fait que renforcer la conviction de la nécessité d’une telle loi.

En 1986, la loi est chose faite et les éditorialistes québécois s’emballent avec la victoire écrasante des libéraux en 1987. Dans la livraison du Devoir du 12 septembre 1987, l’éditorialiste Paul-André Comeau estime que les partisans de la dualité linguistique « peuvent maintenant espérer voir leur province accéder au bilinguisme officiel, rêve que n’osaient entretenir les générations précédentes de Franco-Ontariens ».

C’est donc plein d’espoir que l’Ontario français entrevoyait son avenir. Un chant préparé pour l’occasion, Notre Place, n’est-il pas justement devenu l’hymne national des Franco-Ontariens?

Suivirent la fondation de collèges communautaires à Ottawa, Sudbury et Toronto, avant que l’élan procuré de la « Révolution tranquille franco-ontarienne » de 1986 entre en collision avec une autre révolution, celle du soi-disant bon sens de 1995, et que les gains effectués et espérés ne se transforment en mode survivance.

L’histoire, contrairement à la croyance populaire, « n’avance pas en ligne droite », pour citer André Laurendeau. Elle est faite de bonds et de reculs, puisque l’avancée de l’histoire n’est pas irréversible.

Limites apparentes

Trente ans plus tard, les limites de la LSF sont devenues apparentes et le contexte qui avait permis son adoption est révolu.

La LSF se voit bafouée à tour de bras surtout dans la prestation de services en français par des tierces parties pour le compte d’organismes gouvernementaux. Elle n’est pas constitutionnellement protégée, l’offre active qui n’y est pas enchâssée et est laissée au bon vouloir et elle ne s’applique qu’à des régions désignées là où le nombre le justifie (encore), soit 5 000 francophones ou s’ils forment 10 % de la population.

Afin de rendre la LSF contemporaine, la proposition la plus audacieuse demeure celle de juin 2016 de faire de l’Ontario une seule et unique région désignée selon la LSF, ce qui du coup rendrait l’Ontario bilingue de facto, tel que recommandé par le Commissaire aux services en français, dont le poste lui-même ainsi que son indépendance sont des nécessaires et d’heureux complètement à la LSF elle-même en 2007 et 2014.

Si la Loi sur les services en français devait véritablement être une Révolution tranquille pour l’Ontario français, telle qu’interprétée par les éditorialistes en 1985-1987, elle restera inachevée tant qu’elle ne se modernisera pas pour mieux correspondre aux exigences et aux aspirations actuelles des Franco-Ontariens.

Diego Elizondo est étudiant à la maîtrise en histoire à l’Université d’Ottawa. 

Note : Les opinions exprimées dans cette chronique n’engagent que son auteure et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.

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