Une sénatrice franco-manitobaine, pas de franco-ontarien

Réformer le Sénat conduira-t-il à revoir son rôle pour les francophones hors Québec? Gracieuseté: Sénat

OTTAWA – Annoncées début 2016, les nouvelles nominations au Sénat ont finalement été confirmées par le premier ministre Justin Trudeau, vendredi 18 mars. Parmi elles, une sénatrice franco-manitobaine, en la personne de Raymonde Gagné, mais pas de franco-ontarien.

BENJAMIN VACHET
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FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
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Si le premier ministre a numériquement remplacé la sénatrice franco-manitobaine, Maria Chaput, partie début mars, les Franco-Ontariens resteront sur leur faim. Après les départs conjugués de Jean-Robert Gauthier, en 2004, et de Marie P. Charrette-Poulin, en 2015, ils ne seront toujours pas représentés à la Chambre haute.

Au lieu des cinq initialement prévues, le chef du gouvernement libéral a décidé de précéder à sept nominations, dont trois pour l’Ontario. Le Manitoba compte ainsi deux nouveaux sénateurs, avec Raymonde Gagné et le juge Murray Sinclair et l’Ontario sera représentée par un proche de M. Trudeau, Peter Harder, l’ancienne ministre néo-démocrate sous le gouvernement de Bob Rae, Frances Lankin et l’ancienne professeure de l’Université Ryerson, Ratna Omidvar.

Quant au Québec, il comptera deux nouveaux sénateurs : l’athlète paralympique, Chantal Petitclerc et l’ancien éditorialiste en chef au quotidien La Presse, André Pratte.

M. Harder devrait occuper les fonctions de représentant du gouvernement au Sénat.

Le chef de l’opposition conservatrice au Sénat, Claude Carignan, a invité les nouveaux sénateurs à travailler à réformer le Sénat. « Les véritables réformes qui peuvent être apportées au Sénat doivent venir de l’interne, et ce sont les Conservateurs qui ont mené la charge au cours des dernières années. Nous espérons que les nouveaux sénateurs se joindront à nous alors que nous poursuivrons nos efforts. Nous continuerons de travailler en vue de moderniser l’institution, en renforçant la reddition de comptes, la transparence et l’efficacité. »

Entre satisfaction…

Rectrice de l’Université de Saint-Boniface de 2003 à 2014, la Franco-Manitobaine Raymonde Gagné a travaillé dans le domaine de l’éducation pendant plus de 35 ans. Elle a notamment dirigé les démarches pour faire du Collège Saint-Boniface, une université. Membre de l’Ordre du Canada et de l’Ordre du Manitoba, elle a été présidente de l’Association des universités de la francophonie canadienne, de 2005 à 2009 et membre du Comité consultatif sur les langues officielles du Commissariat aux langues officielles du Canada de 2007 à 2009.

Elle sera une alliée de choix pour défendre et promouvoir la francophonie hors Québec, selon la sénatrice franco-albertaine, Claudette Tardif.

« Je suis vraiment soulagée et heureuse de sa nomination. Je la connais bien et j’ai entièrement confiance qu’elle poursuivra le travail de Mme Chaput et sera une alliée exceptionnelle dans les domaines des langues officielles, de la francophonie canadienne et de l’éducation, car ça lui tient vraiment à cœur », a-t-elle commenté à #ONfr.

Le président de la Société franco-manitobaine (SFM) Daniel Boucher, qui avait appuyé la candidature de Mme Gagné parmi d’autres, ne se montre pas surpris par cette nomination. « Nous savions qu’elle faisait partie des personnes qui avaient de grandes chances d’être nommées aujourd’hui ou lors de la prochaine ronde et nous en sommes ravis. Mme Gagné a toutes les qualités pour remplir ce rôle et accomplir un excellent travail. C’est une très bonne nouvelle pour la francophonie manitobaine et pour la francophonie canadienne. Elle connaît déjà très bien les dossiers, ce sera donc facile de travailler avec elle, même si, bien sûr, ce sera à elle de fixer ses priorités. »

La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Sylviane Lanthier a également réagi par voie de communiqué. « C’est une nomination de grande qualité, et je tiens à féliciter Mme Gagné; je suis sûre qu’elle fera un excellent travail pour la francophonie et pour l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes. »

La FCFA rappelle que depuis 1867, il y a toujours eu un Franco-Manitobain ou une Franco-Manitobaine au Sénat. L’organisme y voit un signe encourageant de la part du gouvernement Trudeau. « Cela montre que le premier ministre prend au sérieux le rôle du Sénat en tant que lieu de représentation des communautés de langue officielle en situation minoritaire. »

… et déception

L’organisme porte-parole des francophones en contexte minoritaire se montre toutefois surpris que sur les trois nominations annoncées pour l’Ontario, aucune ne provienne de la communauté franco-ontarienne.

L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) avait soumis plusieurs noms. Le président, Denis Vaillancourt confie être déçu qu’aucun n’ait été retenu. « On ne connait pas les impératifs du gouvernement mais nous attendions un signe. Nous pensions que sur trois nominations, au moins une serait franco-ontarienne. Aujourd’hui, si nous ne questionnons pas la qualité des gens nommés, nous sommes forcément déçus. »

M. Vaillancourt rappelle qu’historiquement, l’Ontario français a toujours compté au moins deux représentants de sa communauté au Sénat. Sans parler d’un manque de sensibilité, le président de l’AFO espère que ce n’est que partie remise. « Nous savons que d’autres nominations devraient avoir lieu, a priori à l’automne. Nous espérons donc que des Franco-Ontariens feront partie de celles-ci! »

L’AFO peut d’ores et déjà compter sur le soutien de la sénatrice Tardif.

« J’aurais vraiment souhaité qu’il y ait une nomination franco-ontarienne. C’est essentiel car c’est la plus importante communauté francophone hors Québec du Canada », a fait valoir Mme Tardif à #ONfr. « Je sais toutefois que plusieurs nouveaux sénateurs connaissent bien la francophonie en contexte minoritaire, notamment M. Pratte, mais aussi Mme Petitclerc qui a étudié à la Faculté St-Jean quand j’y travaillais. »

Non partisan?

Comme il s’y est engagé afin de rendre le Sénat moins partisan, le premier ministre a indiqué que les nouveaux sénateurs siégeront comme indépendants. Toutefois, plusieurs observateurs ont remarqué l’absence de nominations conservatrices. Le co-fondateur de l’organisme Democracy Watch et professeur à l’Université d’Ottawa, Duff Conacher reste critique sur le nouveau processus.

« Peu importe qui a été nommé aujourd’hui, la manière dont le processus fonctionne actuellement, avec un comité consultatif mis en place par le gouvernement, ne peut qu’entraîner des nominations partisanes. Pour qu’il soit réellement indépendant, il faudrait au moins que la chef de l’opposition officielle puisse elle aussi approuver la majorité des membres de ce comité », a exposé M. Conacher. « Le mieux serait même que tous les chefs des partis à la Chambre des communes aient leur mot à dire. Les nouveaux sénateurs nommés sont aussi marqués politiquement que les précédents, notamment parce qu’à la fin, ça reste au premier ministre de faire son choix parmi la liste de candidats proposés par le comité et qu’il peut donc choisir d’en ignorer certains sans besoin de se justifier. »

Un avis que partage le sénateur Carignan. « Le processus de nomination instauré par le premier ministre Trudeau n’est pas vraiment différent de l’ancien. Je remarque qu’il a abouti au même type de nominations qu’avant; d’anciens juges, ministres provinciaux, journalistes et olympiens, ont déjà été nommés au Sénat. Les nominations de M. Trudeau prouvent également qu’il comprend qu’il ne doit pas écarter les gens qui ont déjà œuvré dans l’arène politique partisane. »

Les porte-parole conservateurs sur les institutions démocratiques à la Chambre des communes, Scott Reid et Blake Richards, ont ajouté leurs voix à celle de M. Carignan.

« Le premier ministre, comme bon lui semble, choisit toujours le nom, le nombre et le moment pour les nominations au Sénat. Ses actions montrent que peu de choses ont changé », ont déclaré MM. Reid et Richards dans un communiqué conjoint. « Les Canadiens sont massivement en faveur de l’élection des sénateurs ou de l’abolition du Sénat, et méritent plus qu’une couche de peinture fraîche sur un processus usé et antidémocratique. (…) Ce processus ne fait rien pour rendre la sélection des sénateurs plus transparente ou plus démocratique. (…) Le secret qui entoure les recommandations sur les nominations est inacceptable et antidémocratique. »

La première ministre ontarienne Kathleen Wynne a réagi favorablement à l’annonce de trois nouveaux sénateurs de sa province et souligné au passage la contribution « à la justice sociale » et « aux services sociaux » de l’ex-ministre néo-démocrate Frances Lankin, à qui les libéraux à Queen’s Park avaient d’ailleurs confié en 2010 la coprésidence d’une commission sur l’examen de l’aide sociale.

« Notre gouvernement estime que le Sénat joue un rôle important en tant que chambre de second examen modéré et réfléchi. L’annonce d’aujourd’hui me permet d’avoir confiance que les intérêts de l’Ontario seront bien représentés au Sénat », a partagé Mme Wynne dans un communiqué.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) de l’Ontario n’a pas immédiatement réagi à la nomination au Sénat de Mme Lankin, la première sympathisante de la formation à accéder à la Chambre haute.

Avant ces nominations, la Chambre haute comptait 83 sénateurs, soient 22 sièges vacants. L’Ontario n’avait alors que 17 sénateurs sur les 24 prévus. D’autres noms devraient donc s’ajouter dans le courant de l’année, selon le nouveau mode de nomination présenté en décembre dernier.