Université d’Ottawa : une désignation avec « beaucoup de bémols »

Le campus de l'Université d'Ottawa.
Le campus de l'Université d'Ottawa. Archives ONFR+

OTTAWA – Une victoire « partielle » pour les francophones. La désignation de l’Université d’Ottawa (U d’O) en vertu de la Loi sur les services en français (Loi 8 de 1986) serait à nuancer, selon l’historien Serge Dupuis.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz

Quelques jours après l’euphorie consécutive à l’annonce du recteur, Allan Rock, l’analyste de l’Université Laval, spécialiste de ce genre de questions, se montre quelque peu sceptique sur le contenu de la juridiction : « On ne va pas créer des programmes en français avec cette désignation (…) Il y a beaucoup de bémols. Je pense par exemple aux programmes de maitrise et doctoraux qui ne sont pas désignés. »

Si les programmes de la Faculté de science et de génie de l’U d’O ne sont pas ciblés par la Loi 8, c’est aussi en raison de leur « manque de rentabilité », estime M. Dupuis. « Les programmes en arts et en sciences sociales attirent beaucoup d’étudiants. À la différence, les programmes en sciences sont beaucoup plus dispendieux pour l’Université, ce qui demeure un prétexte pour ne pas offrir plus de cours en français. Les dédoublements occasionnés par une éventuelle désignation ne sont donc pas souhaitables. »

Une désignation imparfaite? C’est aussi l’avis du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO). « Il manque encore une vie étudiante en français sur le campus », croit la coprésidente, Geneviève Borris, en entrevue pour #ONfr. « Les sports compétitifs ne sont pas comptés dans cette définition. »

Quant à la déclaration en pleine cérémonie de M. Rock selon laquelle l’U d’O demeure « la plus grande université francophone hors Québec », celle-ci n’est pas de l’avis de M. Dupuis : « Il aurait fallu dire le lieu où l’on offre la brochette la plus variée de programme en français hors Québec. »

Le recteur de l’université aux plus de 40 000 étudiants affirme depuis plusieurs mois que l’U d’O reste « l’université pour tous les francophones de tout l’Ontario ».

« L’Université d’Ottawa a à peu près abandonné le projet de dualité depuis bien longtemps », soutient M. Dupuis. « Pour répondre à l’exigence de la gouvernance francophone, la solution pourrait éventuellement passer par une concentration des francophones au sein de l’U d’O, et ce par la création d’espaces, d’une pédagogie, ou d’une structure de financement autonome. »

 

Mieux que l’Université Laurentienne

Tout comme l’affirme le RÉFO, la désignation de l’Université d’Ottawa reste tout de même un « bon pas en avant », selon M. Dupuis.

Et pour cause : cette désignation serait beaucoup plus avantageuse que celle obtenue en juillet 2014 par l’Université Laurentienne, l’autre établissement bilingue en Ontario. « Pour elle (l’Université Laurentienne), il s’agit d’une désignation des diplômes seulement et non des programmes comme l’U d’O. Concrètement, l’équivalent d’un programme sur trois est protégé par l’établissement, et ce dernier reste donc libre d’abolir la majorité de ses cours en français. »

Les désignations partielles, englobant l’U d’O et l’Université Laurentienne restent donc « des mondes différents » en comparaison d’une désignation totale de l’établissement comme c’est le cas par exemple à La Cité, insiste M. Dupuis.

« Dans le cas de la désignation d’un établissement francophone – comme à La Cité ou à l’Université de Hearst – on protège bien plus que les services, mais la gouvernance francophone – une autonomie dans la gestion, la pédagogie, la recherche et la vie étudiante, tandis que les désignations partielles ne protègent qu’une partie des services offerts en français dans des établissements bilingues qui fonctionnent surtout en anglais »

De quoi espérer une désignation totale de l’U d’O un jour? Peu probable, pour M. Dupuis. « Celle-ci obligerait tous les employés et les programmes à être bilingues. Ça occasionnerait une expansion majeure que l’Université d’Ottawa ne veut pas car c’est très coûteux (…) Sur un tel sujet, le gouvernement de l’Ontario et les deux universités bilingues se renvoient constamment la balle. »