Vers un nouveau bras de fer entre gouvernement et enseignants?

TORONTO – Alors que les conventions collectives des enseignants arrivent à leur terme en août, la reconduction du ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, laisse peu d’espoir aux enseignants d’éviter une nouvelle confrontation. L’Ontario se dirige-t-il vers de grandes manifestations comme en 2018?

« On va retourner vers un grand blocage », anticipe Geneviève Tellier, politologue à l’Université d’Ottawa. « On n’a pas entendu M. Ford  dire qu’il donnerait plus d’argent aux enseignants et il garde le même ministre de l’Éducation. Donc tout indique qu’on va revenir à la même situation qu’en 2018. »

Un dialogue de sourd entre le ministre Lecce et les principaux syndicats en éducation au début du premier mandat de Doug Ford avait précipité les enseignants dans la rue pour réclamer une revalorisation salariale et de meilleures conditions de travail. Les organisations syndicales s’étaient alors heurté au style direct d’un jeune ministre aux coudées franches, selon eux, peu enclin à la concertation.

« On ose espérer que ce sera différent », veut croire néanmoins Anne Vinet-Roy, la présidente de l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO) qui craint de ne pas avoir accès à la lettre de mandat du ministre, comme il y a quatre ans. « On a la ferme intention de faire ce qu’on a faire et de respecter le processus de négociation. Le gouvernement devra en faire de même. Les travailleurs en éducation veulent se sentir écoutés et appuyés, ce qui n’était pas nécessairement le cas dans les quatre dernières années. »

La présidente de l'AEFO, Anne Vinet-Roy
La présidente de l’AEFO, Anne Vinet-Roy. Gracieuseté

Après deux années hors norme marquées par la pandémie et les contraintes de l’apprentissage à la maison, cumulées à un plafonnement des salaires à 1% dans un contexte inflationniste, Mme Vinet-Roy estime que « de réels investissements doivent être faits pour tout le monde de l’éducation, car on a beaucoup de choses à faire pour reprendre notre souffle et récupérer tout l’apprentissage qui n’a pas pu être fait à cause du contexte sanitaire. »

« Nous sommes déterminés à conclure des ententes qui permettront aux élèves de rester en classe, sans interruption, afin qu’ils puissent rattraper leur retard et obtenir leur diplôme en ayant acquis les compétences dont ils ont besoin pour exercer les emplois de demain », assure pour sa part le ministre de l’Éducation, Stephen Lecce.

Et d’ajouter : « La priorité de ce gouvernement est de s’assurer que les enfants se remettent sur la bonne voie dans un environnement d’apprentissage positif et stable. » Les premières rencontres avec les syndicats devraient débuter dans les jours qui viennent.

Le scénario d’un blocage politiquement sensible

Le salaire des enseignants et les conditions d’apprentissage des élèves seront à nouveau au premier plan des revendications du syndicat franco-ontarien qui saute dans l’inconnu cet été, même si le premier ministre a récemment laissé entendre que la prochaine augmentation de rémunération pourrait aller au-delà de 1 %.

Pour Mme Tellier, il ne faudra pas crier victoire trop vite. « Le premier ministre, dans sa tête, pourrait penser qu’il a été élu pour un mandat encore plus fort que la première fois, avec plus de députés, ce qui lui laisse le champs libre pour faire ce qu’il veut », estime la politologue. « Rien ne l’empêche d’adopter la ligne dure. »

Stephen Lecce poursuit son mandat de ministre de l’Éducation dans le deuxième gouvernement Ford. Crédit image : Jackson Ho

Est-ce dangereux politiquement de se mettre les enseignants à dos alors qu’ils sont, comme la plupart des travailleurs de première ligne, largement soutenus par la population?

Elle ne le croit pas. « M. Ford est en début de mandat. Le calendrier électoral est en sa faveur. La seule chose qui pourrait vraiment lui nuire serait une grève massive qui empêche les élèves de retourner à l’école. On en est pas encore là. »

« M. Lecce n’est pas quelqu’un qui semble très l’écoute des enseignants », juge Peter Graefe, politologue à l’Université McMaster. « Si M. Ford l’a remis dans cette position, c’est sans doute car il cherche quelqu’un de combatif pour mener les négociations collectives. »

« Les parents ne veulent pas d’un autre hic dans l’éducation de leurs enfants » – Peter Graefe, politologue

Mais « si on se retrouve en situation de possibilité de grève, cela pourrait changer la donne », nuance-t-il, « d’autant que M. Lecce a perdu la confiance des parents à plusieurs égards avec le changement a répétition au cours de la pandémie sur la manière de procéder dans les écoles ».

« Les parents ne veulent pas d’un autre hic dans l’éducation de leurs enfants », tranche M. Graefe. « Ils attendent des enseignants un apprentissage de qualité. À la sortie de la pandémie, ils en ont ras le bol. Ils ne veulent pas revoir de grève et la tendance seraient plutôt enclin à appuyer le gouvernement et reporter la faute sur les enseignants grévistes. Mais avec M. Lecce en place, ce scénario est moins probable. Ça rend les choses plus difficile pour le gouvernement de garder le ministre en place. »

Cet article a été mis à jour le 13 juillet 2022 à 8 heures.