Virage à droite des provinces : mauvais coup pour les francophones?

Doug Ford et le premier ministre de l'Alberta, Jason Kenney.Source: Facebook

[ANALYSE]

Les temps changent. En moins d’un an, quatre des dix provinces canadiennes ont pris les habits progressistes-conservateurs. D’abord l’Ontario en juin dernier avec la victoire de Doug Ford, puis le Nouveau-Brunswick trois mois plus tard. Derniers épisodes en date en avril : la victoire attendue de Jason Kenney en Alberta, et celle plus surprise de Dennis King à Île-du-Prince-Édouard.

Difficile de ranger dans le même sac la Coalition avenir Québec (CAQ) aux commandes du Québec depuis cet automne. Reste que dans l’idéologie économique, le parti de François Legault tend plus à droite.

Dans les Prairies, les conservateurs sont plus que jamais enracinés. En témoigne le Parti saskatchewanais, au pouvoir depuis 2007 dans la province éponyme. Au Manitoba, les progressistes-conservateurs revenus au pouvoir il y a trois ans peuvent voir l’avenir avec optimisme.

Le point commun entre la plupart de ces dirigeants, à l’exception de M. Legault? Leur opposition farouche à la taxe carbone de Justin Trudeau. Mais un autre point peut inquiéter : ils sont les héritiers d’un conservatisme fiscal pour lequel un sou est un sou. Un réflexe moins visible parmi les progressistes-conservateurs « vieille école » version Bill Davis ou Richard Hatfield.

De quoi inquiéter les quelque 90 % des francophones en milieu minoritaire pris avec un gouvernement progressiste-conservateur. Il y a un an, c’était moins de 10 %…

Des conservateurs différents de Doug Ford

Faut-il dès lors s’alarmer? À se rappeler des coupures francophones du « jeudi noir » par Doug Ford, il y aurait de quoi. Le rouleau compresseur de l’austérité budgétaire a déjà emporté le commissaire aux services en français, François Boileau, et retardé le démarrage de l’Université de l’Ontario français. Mais les homologues de M. Ford ne lui ressemblent pas tous.

Au Nouveau Brunswick, les six premiers mois au pouvoir de Blaine Higgs n’ont pas comporté d’attaques frontales contre les francophones. Peut-être faut-il y voir ici la leçon du « jeudi noir ». Il faut dire que le premier ministre a aussi beaucoup à se faire pardonner pour son appartenance à un parti opposé au bilinguisme, il y a plus de 30 ans.

En Alberta, Jason Kenney bilingue et ancien ministre fédéral, semble avoir à cœur de développer une relation forte avec le Québec. À Île-du-Prince-Édouard, le nouveau parti au pouvoir serait plus centriste que prévu.

Peu d’avancées en perspective

Pour le moment, des coupures ciblant les francophones sont à écarter. Et le budget présenté le 11 avril par M. Ford en Ontario confirme cette hypothèse. C’est tant mieux, car hormis le Québec et le Nouveau-Brunswick, les protections constitutionnelles pour la minorité francophone restent limitées, 36 ans après l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés.

En revanche, le conservatisme fiscal compilé au faible poids démographique des francophones, si l’on fait exception du Nouveau-Brunswick, ne semble pas augurer de grandes avancées.

Il y a peu de chances que l’Université de l’Ontario français voit le jour sous le mandat de Doug Ford. De même, les 88 000 Franco-Albertains ne verront probablement pas la politique sur les services en français validée par le précédent gouvernement néo-démocrate se transformer en une loi. Quant aux Acadiens du Nouveau-Brunswick, ils devront constamment veiller au respect d’une lentille francophone dans les projets de lois gouvernementaux.

À la veille de la décennie 2020, les francophones en milieu minoritaire vont devoir peut-être revoir la « politique des petits pas » pour celle de la « conservation des acquis ».

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 6 mai.