Université : le bilinguisme doit céder sa place
TORONTO – Les organisateurs d’une vaste consultation sur l’avenir du postsecondaire de l’Ontario français demandent à présent formellement à la province de s’engager à créer une université de langue française autonome dont un premier campus verrait le jour d’ici 2018 dans la région de Toronto.
FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufaultSÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz
Les universités bilingues de l’Ontario doivent céder leur place à un nouvel établissement « par et pour » les francophones de la province, ont conclu des représentants du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO) et de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) lors d’un point de presse à Queen’s Park, le mardi 10 février.
Le RÉFO, la FESFO et l’AFO ont demandé, dans un premier temps, au gouvernement libéral de Kathleen Wynne de s’engager à créer une université de langue française. Les trois organismes ont ensuite réclamé la mise sur pied d’ici l’été d’un « conseil des gouverneurs transitoire » formé d’experts, d’étudiants et de leaders de la francophonie ontarienne pour « assurer le démarrage » de cette université dans un délai de trois ans.
« On souhaite la gouvernance par et pour les francophones au niveau universitaire », a déclaré Geneviève Latour, co-présidente du RÉFO. « Le grand Toronto a été visé à cause de sa démographie. On croit que d’ici les prochaines années, plus de la moitié de la population franco-ontarienne y vivra ».
Les régions du centre et du sud-ouest de l’Ontario sont aussi les plus défavorisées au niveau de la programmation universitaire en français, selon un rapport du Commissariat aux services en français de la province, paru en 2012.
« La complétude institutionnelle et la création d’une université de langue française ne sont pas que des abstractions », a fait valoir Denis Vaillancourt, président de l’AFO. « Les arguments pragmatiques justifient également la viabilité d’un tel établissement. Les 611 500 francophones de l’Ontario (…) constituent en 2015 un bassin démographique non négligeable. »
Les anglophones du Québec, qui ont à peu près le même poids démographique que les francophones de l’Ontario, ont accès à trois universités dans leur langue – Bishop, Concordia et McGill.
De 40% à 50% des Franco-Ontariens diplômés du secondaire choisissent de poursuivre leurs études dans leur langue au niveau universitaire, dans l’absence d’une programmation en français comparable à celle de la majorité anglophone. De plus, selon M. Vaillancourt, les francophones sont « de plus en plus minorisés » au sein des effectifs et des structures administratives des universités bilingues, ou qui offrent certains programmes en français.
Le statu quo rejeté
Le statu quo n’est donc plus acceptable, concluent le RÉFO et ses deux partenaires dans un rapport final découlant d’un récent sommet provincial des États généraux sur le postsecondaire de l’Ontario français, rendu public le 10 février.
« Tout en remerciant le bilinguisme universitaire pour les services à sa communauté, on lui demande de céder sa place à une université provinciale de langue française à plusieurs campus », mentionne le document d’une quarantaine de pages, dont #ONfr avait obtenu copie quelques heures avant son dépôt à Queen’s Park.
Un sommet provincial des États généraux sur le postsecondaire de l’Ontario français, qui a eu lieu à Toronto, début octobre, se voulait l’aboutissement d’une dizaine de consultations aux quatre coins de la province un an plus tôt.
Le rapport du sommet des États généraux décrit un large consensus autour de la création d’une université indépendante de langue française. Le document identifie aussi l’option d’une université affiliée ou fédérée, comme l’Université de Hearst, « comme un entre-deux » pour éventuellement obtenir une université francophone à part entière.
« S’il n’y avait pas une unanimité sur le chemin à parcourir, il y avait un consensus important sur la destination à atteindre », mentionne le rapport du sommet des États généraux.
Même s’il est peu question d’argent dans le document, on comprend que le RÉFO et ses partenaires lorgnent du côté du modèle de financement universitaire au Québec, où les trois universités anglophones reçoivent 29% de la cagnotte alors que la minorité de langue anglaise compte pour 8% de la population de la province. Les instigateurs du projet d’université franco-ontarienne souhaitent aussi l’octroi d’un éventuel « fonds de démarrage » comme celui, de l’ordre de 60 millions $, dont a pu bénéficier l’Institut universitaire de technologie de l’Ontario (IUTO) à Oshawa lors de sa fondation en 2002.
L’Ontario accorde actuellement 5,7% de son financement universitaire aux programmes d’études en français, alors que la minorité francophone représente 4,3% de la population provinciale.
Craintes et défis
Parmi les craintes et les défis énoncés dans le rapport du sommet des États généraux, notons la « perte de reconnaissance » – ou dévaluation du diplôme – qui viendrait peut-être avec un nouvel établissement dont la réputation serait à bâtir, de même qu’une possible « résistance » des universités bilingues à céder leurs programmes en français.
L’Université d’Ottawa n’est d’ailleurs pas passée par quatre chemins pour décourager les francophones de créer une nouvelle université, l’automne dernier. Le recteur Allan Rock y est allé d’une lettre ouverte qualifiant son établissement d’« université franco-ontarienne » déjà existante et annonçant son intention d’implanter un campus satellite à Woodstock, pour répondre à la pénurie de programmes d’études en français dans le sud-ouest de la province.
L’Université Laurentienne, à Sudbury, et le collège universitaire Glendon, un appendice bilingue de l’Université York, exhortent à leur tour la province à investir dans leurs installations existantes plutôt qu’à créer de toutes pièces une nouvelle université.
Du côté du RÉFO, de la FESFO et de l’AFO, on soutient que la population dans les écoles élémentaires et secondaires francophones de l’Ontario – qui a récemment franchi le cap des 100 000 élèves – est largement suffisante pour justifier une nouvelle université sans rien enlever aux autres établissements.
« On ne voit pas comment le gouvernement pourrait être contre une telle demande », a plaidé Mme Latour du RÉFO devant la presse. « Je pense que nous avons un historique de succès lorsqu’on parle de gouvernance et de luttes pour la gouvernance. On est confiant qu’il en sera de même pour l’université de langue française. »
« Les discours des institutions bilingues, à l’époque lorsqu’on a demandé nos écoles secondaires de langue française, étaient les mêmes. Même chose lorsqu’on a demandé nos collèges. Et on a trouvé les solutions, comme communauté et comme société, pour s’accommoder et tirer le meilleur profit de ce qui existe », a poursuivi M. Vaillancourt de l’AFO.
L’Ontario français a obtenu la gestion de ses collèges au début des années 1990, et la gestion complète de ses écoles élémentaires et secondaires à la fin de la même décennie.
On ignore, pour l’instant, à quoi ressemblerait un premier campus d’une université francophone à Toronto. S’agirait-il d’un nouvel édifice à la fine pointe de la technologie? Ou d’un vieil édifice retapé pour les besoins de la cause? Le RÉFO et ses partenaires relancent la balle au « conseil des gouverneurs transitoire » qu’ils demandent au gouvernement de mettre sur pied.
Échéancier trop court?
Le gouvernement libéral à Queen’s Park n’a pas fermé la porte à une université de langue française, mais a mis un bémol sur l’échéancier du projet tel que présenté par ses instigateurs, le 10 février.
« Je trouve que l’échéancier de 2018 proposé est un peu ambitieux », a réagi Madeleine Meilleur, ministre déléguée aux Affaires francophones de l’Ontario, à #ONfr. « Il faut tenir compte des réalités budgétaires auxquelles fait face la province. Je ne suis pas contre l’idée d’une université franco-ontarienne, mais ça vient trop tôt. »
La province combat un déficit de 10,5 milliards $ et n’entrevoit pas un retour à l’équilibre budgétaire avant encore trois ans.
L’opposition à Queen’s Park, en revanche, s’est montrée beaucoup plus revendicatrice pour une université de langue française, le 10 février.
« Je crois que nous pouvons poser ce geste positif pour la communauté francophone de l’Ontario », a partagé Garfield Dunlop, député progressiste-conservateur de Simcoe-Nord et critique de son parti en matière d’éducation postsecondaire. « Ce serait un beau geste à l’occasion du 400e anniversaire du passage de Champlain dans notre province, si finalement nous proposions un tel projet à notre population francophone. »
M. Dunlop parraine d’ailleurs une résolution en appui au projet d’université franco-ontarienne devant l’Assemblée législative.
« Ce ne sera pas un parcours facile », a indiqué Gilles Bisson, député néo-démocrate de Timmins-Baie-James. « Mais, on a passé à travers une récession lorsqu’on a créé le collège Boréal. La communauté francophone a travaillé très fort pour convaincre le gouvernement de l’époque que cet investissement allait se repayer avec le temps. Et ce fut un succès. »