Chloé Freynet-Gagné, celle qui a dit non en premier à Denise Bombardier
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
MONTRÉAL – En octobre 2018, au lendemain d’un premier passage mouvementé de Denise Bombardier à Tout le monde en parle (TLMEP), Chloé Freynet-Gagné avait réagi en première. D’abord, par une invitation lancée à la romancière et journaliste québécoise, puis la venue, quelques mois plus tard, de Mme Bombardier dans le Manitoba, pour le tournage du fameux documentaire, et enfin après la nouvelle polémique conclue par le passage de Chloé Freynet-Gagné à TLMEP avec Stéphanie Chouinard et Caroline Gélineault. Deux semaines après l’émission, on retrouve donc la jeune franco-manitobaine. En vacances en France au moment de l’entrevue, loin de l’agitation des dernières semaines, elle nous explique son parcours et ses convictions.
« Comment étaient les dernières semaines, avec notamment ce passage à TLMEP?
Je dois dire que le passage à Tout le monde en parle a été l’un des moments les plus marquants dans ma vie. Dans le Manitoba, ma famille et moi écoutons cette émission depuis très longtemps!
Comment avez-vous appris que vous étiez invitée pour l’émission?
C’était le mardi, quand j’étais en classe. J’ai reçu un courriel avec l’objet qui disait Tout le monde en parle. Je suis tout de suite sortie de la classe pour faire un Skype avec mes parents pour leur annoncer. L’une des dames de Tout le monde en parle m’a dit que j’étais l’une des invités qui a répondu le plus vite. Je m’attendais tout de même à ce qu’il y ait quelqu’un de la communauté francophone invité, suite au passage de Denise Bombardier la semaine précédente [La romancière avait réitéré ses propos sur le déclin des francophones en contexte minoritaire, tout en remettant en cause la qualité du français parlé dans ces communautés].
Parlez-nous un peu de comment s’est déroulé l’enregistrement de l’émission le jeudi.
Les deux autres invitées, Caroline Gélineault, Stéphanie Chouinard, et moi voulions s’assurer que le message était positif, et de ne surtout pas régler des comptes. Le jeudi, on est allé souper ensemble, et on a discuté de nos messages. Ils (Tout le monde en parle) nous ont demandé d’être là à 20h au studio de Radio-Canada pour le maquillage. C’est à ce moment qu’on se rend compte que beaucoup de gens travaillent sur cette émission.
Nous n’avons pas eu de pré-entrevue, on ne savait pas les questions posées, mais on savait la tournure. C’était évident que Guy A. Lepage et Dany Turcotte, au vu de l’émission précédente, n’étaient pas là pour nous piéger.
Ce qui est fou, c’est qu’on n’était même pas allé sur le plateau avant l’émission. D’un seul coup, toute l’énergie de tout le monde est arrivée en même temps. C’était fou! Les premières 30 secondes, j’étais vraiment nerveuse, mais dès que j’ai commencé à parler, le stress est parti.
Aviez-vous des consignes de la part des responsables de l’émission?
Non, pas du tout. Notre entrevue était de 35 ou 40 minutes [Le passage diffusé durait environ 18 minutes]. Ils ont juste coupé des silences ou des hésitations, mais ils ont gardé l’essentiel. Quand on avait été invité, on savait que beaucoup de gens attendaient cette entrevue. On voulait être vraiment capable de bien représenter tout le monde. J’étais vraiment nerveuse, mais les réactions des gens de la communauté m’ont rassuré.
Depuis septembre, vous vivez maintenant à Montréal. Pourquoi avoir choisi de vivre au Québec?
Depuis le mois de septembre, je fais une maîtrise en droits linguistiques à l’Université McGill. J’ai fait un baccalauréat en science politique à l’Université de Saint-Boniface, puis un Juris Doctor à l’Université de Moncton.
Pourquoi avoir choisi McGill, une université à priori plus anglophone?
J’ai certains cours en français, et en anglais, mais je peux tout rédiger mes rapports en français. C’est quand même important pour moi de prendre des cours aussi en anglais.
Cette maîtrise m’apporte des opportunités de voir les différentes perspectives, et de comprendre ce que j’ai vécu que ce soit au Manitoba ou au Nouveau-Brunswick. C’est certain que c’est intéressant aussi car au Québec, il y a la minorité anglophone.
En vivant à Winnipeg, Moncton ou encore Montréal, avez-vous vu différentes réalités pour le français?
La raison pour laquelle je suis allée à Moncton, c’est que je trouvais que les Franco-Manitobains et les Acadiens se ressemblaient. J’ai vraiment ressenti cette solidarité de la francophonie canadienne. À Montréal, quand j’explique ma réalité, je suis heureuse de voir que les gens sont intéressés et ne pensent pas tous comme Denise Bombardier. Je vois vraiment une plus grande ouverture depuis quelque temps.
Après l’émission de Tout le monde en parle, une dame enseignante dans le public m’a dit qu’elle n’avait aucune idée de cette réalité des francophones en contexte minoritaire, qu’elle voulait montrer le passage de Tout le monde en parle à ses élèves dans sa classe. Oui, les Québécois veulent en apprendre (Émue).
Pensez-vous qu’on assiste aujourd’hui à un réveil des francophones en contexte minoritaire?
Je pense que oui. À chaque fois que quelqu’un essaye de nous rabaisser, notre force, c’est qu’on arrive à se rallier ensemble. J’ai vu des gens qui n’ont jamais affirmé leur francophonie le faire maintenant sur les médias sociaux. Nos parents nous ont toujours parlé du ralliement de la crise linguistique des années 80 dans le Manitoba, mais on n’avait jamais vraiment vécu des crises comme on en a vu dernièrement, par exemple celle de Doug Ford, en Ontario.
Vous voulez dire qu’on ne se rendait pas compte de l’importance de nos droits?
On dit souvent que nous sommes les enfants de la Charte. On s’est peut être toujours reposé sur nos lauriers, mais là on réalise qu’il ne faut pas prendre pour acquis et être fier de qui ont est, avec ce qui s’est passé notamment avec Doug Ford.
Denise Bombardier était venue directement chez vous, dans votre maison, l’été dernier, pour le tournage de son documentaire. Elle semblait à priori réceptive à vos arguments. Avez-vous donc vu sa sortie lors de l’émission TLMEP, le 6 octobre, comme une trahison?
En regardant le documentaire, les passages où elle rencontre notre communauté, c’est très beau. Là où j’ai trouvé ça plus difficile, c’est la narration, car je trouvais que c’était elle qui avait le dernier mot. J’aurais aimé que ce soit comme une conversation, et que les spectateurs se fassent leur idée.
À Tout le monde en parle, elle n’a parlé que des chiffres, comme si nous étions que des chiffres. Son chiffre de 16 000 personnes qui parlent le français à la maison exclut ceux qui ont appris le français, et les immigrants. Il faut juste voir ça avec le respect, et non en rabaissant les gens. Ce sont là les qualités d’un ou d’une vraie leader.
Justement, les partisans de Denise Bombardier reprochent aux francophones en contexte minoritaire d’être trop « jovialistes » avec les chiffres.
On connaît très bien les enjeux, mais on ne peut pas être défini seulement par nos défis, on ne peut pas juste nous réduire à nos luttes. Ceux qui critiquent ne sont pas ceux qui habitent dans les communautés. Quand on vient ici, dans nos communautés, on se rend compte que c’est différent. On a une vision pluraliste.
On aimerait être vu comme des francophones prêts à accueillir tout le monde, vibrants et passionnés. Nous ne sommes pas en culture de survivance, tout comme les Québécois et les gens du Nouveau-Brunswick ne le sont pas non plus. Nous ne sommes pas en train de nous effriter.
Une critique qui revient régulièrement, c’est le fait que malgré tout, beaucoup de jeunes parlent anglais dans les écoles francophones. Est-ce compatible avec la fierté et l’épanouissement de la francophonie?
(Elle réfléchit). C’est pareil de partout, je pense! Mais ce n’est pas en disant aux jeunes qu’ils font mal que ça va faire avancer les choses! A l’école, quand on était jeune, on avait des billets quand on parlait en anglais. Cela ne fait rien évoluer! Il ne faut pas nier le fait qu’on parle souvent l’anglais dans les couloirs, mais ce sont des adolescents, ils vont grandir dans la communauté, et c’est souvent après qu’on réalise que parler français, c’est important!
Les élections fédérales se sont déroulées lundi dernier. Est-ce que les langues officielles ont eu assez de place dans la campagne?
C’est sûr qu’on a vu quand même que lors du débat des chefs fédéraux, il y a eu des questions pour les langues officielles. J’ai suivi la campagne, et j’ai vu qu’il y avait plus d’engouement.
On a parlé de vos études en droits linguistiques, mais quel est votre projet professionnel?
Mon rêve est de devenir avocate en droits linguistiques. J’aimerais pouvoir aider à créer ce dialogue entre le Québec et la francophonie canadienne, aider et entamer un processus. On en a souvent parlé, mais j’aimerais vraiment voir un processus entre le Québec et la francophonie canadienne pour qu’on puisse se parler.
Avez-vous des modèles en droits linguistiques?
Jennifer Klinck, François Larocque, Ronald Caza, Mark Power, Erik Labelle… Ils m’inspirent et j’espère pouvoir un jour travailler pour eux. Quand j’étais à l’Université de Moncton, j’ai eu l’occasion de faire le Concours de plaidoirie Michel-Bastarache, où l’on avait recréé un tribunal. J’ai adoré cette expérience!
On parle de droits linguistiques, mais le Manitoba devrait-il être officiellement bilingue, selon vous?
On a plus de droits que d’autres provinces de l’Ouest. On a des droits constitutionnels qui sont enchâssés dans la Constitution depuis Louis Riel, même si nous ne sommes pas officiellement bilingues. Nous avons beaucoup de droits, et cela reste à conserver!
Dernière question, qu’est-ce que c’est aujourd’hui, en 2019, de pouvoir vivre en français au Manitoba?
Cela veut dire, pour moi, que nous avons beaucoup d’activités, comme le Théâtre Cercle Molière, la ligue d’improvisation du Manitoba, le Conseil jeunesse provincial. On a beaucoup de party pour pouvoir chanter le français. Le fait que je dois aller à l’épicerie en anglais ne me rend pas moins francophone! »
LES DATES-CLÉS DE CHLOÉ FREYNET-GAGNÉ
1995 : Naissance à Winnipeg
2012 : Commence un baccalauréat en science politique à l’Université de Saint-Boniface
2016 : Débute sa formation pour l’obtention du diplôme de Juris Doctor, à l’Université de Moncton. Le diplôme est acquis trois ans plus tard
2019 : Passage à Tout le monde en parle après la nouvelle polémique suscitée par Denise Bombardier dans la même émission
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.