Deux ans en dents de scie pour Doug Ford

Le premier ministre Doug Ford. Archives ONFR+

[ANALYSE]

TORONTO – Il y a deux ans jour pour jour, le 7 juin 2018, les progressistes-conservateurs mettaient fin à 15 ans d’hégémonie libérale en Ontario. Une large majorité obtenue avec 76 députés qui s’expliquait en partie grâce au discours pugnace de Doug Ford.

Les promesses d’un assainissement des finances publiques couplées au style volontiers populiste de la « Ford Nation » apparaissent alors l’alternative le plus crédible à un gouvernement libéral à bout de souffle.

Aujourd’hui à mi-mandat, on peut résumer ces deux premières années en trois actes. D’abord, les premiers mois où le premier ministre n’a guère différé de son personnage rugueux et fonceur de la campagne électorale.

Bière à un dollar, fin du monopole de la Régie des alcools de l’Ontario sur la vente de cannabis, retrait de l’Ontario du marché du carbone, réduction de la moitié du conseil municipal à Toronto ou encore, suppression de trois des neuf commissaires, tout allait décidément bien vite dans la maison bleue.

Deuxième acte, à partir de l’été 2019, où Doug Ford a dû prendre acte de la grogne populaire, matérialisée par des sondages peu flatteurs. Bon gré mal gré, le premier ministre s’est fait plus centriste, en repoussant la promesse d’équilibre budgétaire, tout en se rabibochant avec son homologue fédéral, Justin Trudeau. Au passage, le gouvernement reculait partiellement face aux syndicats enseignants au terme d’un conflit historique de plusieurs semaines.

Dernier acte enfin, depuis mi-mars, avec la crise inédite de la COVID-19, où M. Ford a dû adopter une image rassembleuse et empathique, aux antipodes du ton belliqueux de juin 2018.

Une identité politique difficile à définir

Ces changements, au moins de forme, laissent penser que Doug Ford peine à trouver sa véritable identité politique. En deux ans, le chef du gouvernement a donné l’impression d’évoluer au gré des événements, en multipliant les volte-faces. Une « flexibilité » certes bien différente de la rigueur trop intransigeante de Mike Harris, et du pragmatisme « centriste » d’un Bill Davis.

Quelques aspects cependant sur lesquels M. Ford conserve une continuité. Tout d’abord, le Toronto-centrisme. Les visites du premier ministre en dehors de la Ville reine restent rares. L’incompréhension première du chef conservateur face à la crise linguistique de 2018, tout comme récemment son retard à l’allumage en faveur d’un déconfinement géographique semblent résulter de cette vision unilatérale.

Enfin, et même plus emphatique, Doug Ford reste un fervent défenseur du non-interventionnisme économique. Ses baisses d’impôts opérées en début de mandat, tout comme les reports d’impôts dans le plan de 17 milliards de dollars destinés à combattre le coronavirus vont dans ce sens.

L’enjeu économique jusqu’en 2022

Pour les deux prochaines années, il reste difficile de lire dans une boule de cristal. Chose certaine : la relance de l’économie, mise à mal par la COVID-19, sera l’enjeu central pour M. Ford.

Lors de son élection, le gouvernement possédait déjà une marge de manœuvre extrêmement mince pour trouver une ligne de crête entre satisfaire sa base électorale méfiante des impôts, et résorber le déficit budgétaire.

Deux ans plus tard, le défi est identique, mais avec un niveau de difficulté supérieur. Le coronavirus a mis les finances publiques dans une zone rouge, et précarisé davantage les travailleurs. Dans le même temps, la crise a rappelé l’urgence d’investir plus dans la santé.

De la capacité de Doug Ford à solutionner cette équation ardue dépendra les résultats des prochaines élections au printemps 2022.

Cette analyse est aussi publiée sur le site du quotidien Le Droit du 8 juin.