Réactions francophones au budget 2023 : des heureux et des déçus
TORONTO – Rendu public hier en fin de journée, l’exercice financier 2023 de l’Ontario, qui fait la part belle à la construction d’infrastructures ainsi qu’à l’industrie minière et automobile, sur lequel le gouvernement semble miser pour la croissance économique dans la province, suscite des réactions mitigées dans la communauté francophone.
Le ministère des Affaires francophones, qui s’allège du million de dollars des aides financières ponctuelles de la COVID-19, gagne toutefois 700 000 dollars additionnels de son budget de base, ce dont se félicite Fabien Hébert, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) : « Il y a quand même une majoration du budget des affaires francophones qui est la bienvenue. »
Et de souligner cependant l’aspect évasif et le manque de détails concrets de l’enveloppe francophone : « C’est un budget statu quo pour la communauté franco-ontarienne, un peu sans éclat. » Un suivi qui sera nécessaire : « On ne sait pas vraiment où ces 700 000 vont se retrouver, mais ce sont des questions qu’on va aller poser. »
Dans un communiqué, la Fédération des gens d’affaires francophones de l’Ontario (FGA) note ce supplément tout en soulignant la quasi-absence de mention francophone dans le reste du budget 2023 et en appelle « le gouvernement de l’Ontario à renforcer son appui à la francophonie économique, qui représente un levier de croissance significatif pour l’ensemble de l’économie de la province ».
À la question d’ONFR+ sur le détail de cette enveloppe, un porte-parole du gouvernement au Bureau budgétaire précise que 900 000 $ supplémentaires sur trois ans soutiendront l’entrepreneuriat francophone. Ce budget soutiendra également « la modernisation de la Loi sur les services en français en désignant davantage de points de service et en offrant l’offre active en transférant la responsabilité de trouver des services de l’utilisateur aux fournisseurs ».
« En 2023-2024, le gouvernement poursuivra la planification et la construction du projet du Centre de santé communautaire de Timmins pour créer un nouveau CSC francophone à Timmins », termine le porte-parole.
Et l’Université de Sudbury dans tout ça?
Concernant l’absence de fonds dédiés à l’Université de Sudbury, son recteur Serge Miville assure ne pas en être découragé : « Oui, c’est décevant, non ce n’est pas ça qui décide de notre sort », déclare-t-il après avoir rappelé avoir « livré tout ce que le gouvernement a demandé ».
Le dernier feu vert pour l’établissement est toujours attendu du côté du ministère des Collèges et Universités qui penche depuis septembre sur une recommandation de la Commission d’évaluation de la qualité de l’éducation postsecondaire de l’Ontario (CÉQÉP).
« Nous autres, on est comme un avion sur le tarmac, on est prêt à décoller. On attend juste le go de la tour de contrôle », conclut M. Miville.
Un avis que partage Fabien Hébert, pour qui absence de mention, ne signifie pas absence de fonds : « On aurait aimé la mention claire du financement de l’Université de Sudbury dans la majoration budgétaire. Mais on demeure confiant que le projet va de l’avant. On présume que l’annonce s’en vient. »
Le point de vue économique
Dans ce budget, qui prévoit un retour à l’équilibre financier dès 2024-2025, Julien Gérémie, le directeur général du Conseil de la coopération de l’Ontario (CCO) note le développement de filières de véhicule électrique et les améliorations intéressantes en transports en commun.
« Selon les chiffres bruts, une croissance importante devrait avoir lieu au niveau des investissements en transports publics. Beaucoup de routes se construisent, ce qui pourrait être nuancé, là où le transport collectif comme le rail serait parfois plus adapté. »
Au niveau de l’emploi, le CCO se réjouit des moyens supplémentaires pour le Fonds de développement de compétences et de l’investissement dans le Programme ontarien des candidats à l’immigration, pour l’Ontario qui souhaite une immigration en phase avec la réalité du marché du travail.
« Le fait que la question de l’immigration soit associée à la dimension économique est positif, car c’est un enjeu de main-d’œuvre », commente M. Gérémie.
« Le Fonds ontarien d’infrastructure communautaire verra également son montant doubler, ce qui permettra de financer de nombreuses initiatives communautaires pour les organismes », déclare-t-il, déplorant toutefois l’absence de mention des entreprises durables.
La Fédération des gens d’affaires francophones de l’Ontario (FGA) salue quant à elle « des investissements significatifs annoncés afin de maintenir les efforts de relance économique dans la province » dont le nouveau crédit d’impôt pour l’investissement dans le secteur manufacturier, l’allégement fiscal supplémentaire pour les petites entreprises de 265 millions de dollars et l’octroi de 3 milliards de dollars annuellement sous forme de soutien aux petites entreprises avec un taux de l’impôt sur le revenu des sociétés préférentiel de 3,2 %.
Le porte-parole du gouvernement au Bureau budgétaire précise que le budget comprend « le programme de Subventions à la communauté francophone pour renforcer la capacité des entreprises et organismes francophones à soutenir la communauté ».
Santé, éducation, logement : les maillons faibles?
Florence Ngenzebuhoro, directrice du Centre francophone du Grand Toronto (CFGT), qui note de bonnes nouvelles dans les investissements en santé et santé mentale, notamment une augmentation de 4 % dans le secteur hospitalier et 425 millions de dollars sur trois ans pour soutenir les services de santé mentale et de lutte contre les dépendances, apporte plusieurs bémols.
« Il reste à voir la portion qui revient aux francophones qui semblent encore une fois laissés pour compte. Nous allons devoir nous enquérir auprès des différents départements départementaux pour comprendre notre part dans ce budget », dit-elle.
« Par exemple, nous n’avons pas un seul carrefour jeunesse francophone dans toute la région du centre sud-ouest de l’Ontario. Le CFGT en réclame un depuis plusieurs années et nous espérons l’obtenir avec ces nouvelles annonces. »
« On voit qu’il y a des augmentations dans d’autres ministères, comme en santé, bien qu’il n’y ait pas de mention francophone. L’AFO va faire des demandes pour s’assurer que la communauté francophone reçoive sa juste part », certifie également Fabien Hébert.
Côté éducation, le CCO note une baisse du budget de l’éducation à partir du prochain exercice financier, les chiffres bruts venant nuancer le discours affiché d’investir dans la formation et les compétences. Julien Gérémie précise que « le budget brut de l’éducation primaire et secondaire est contradictoire avec le discours et l’emphase sur la formation. »
Anne Vinet-Roy, présidente de l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO), considère que « le gouvernement met en péril la réussite des élèves avec un financement inadéquat en éducation qui continue d’avoir des répercussions dévastatrices sur notre système d’éducation ».
« Aucun investissement significatif en éducation et encore moins pour le système d’éducation de langue française. Les élèves, le personnel et les communautés scolaires entières, incluant les employeurs et les parents ressentent plus que jamais ce sous-financement. Les intervenants qui travaillent directement auprès des élèves, n’ont pas été écoutés, ni consultés », déclare-t-elle.
Un autre point noir de ce budget et qui en est un peu absent, selon Julien Gérémie, est le logement : « Le logement est un problème sur lequel il faudra revenir en cours d’année, car c’est un des grands enjeux en Ontario », conclut celui-ci.
« On parle de la construction de 80 000 logements cette année, ce n’est pas assez. Et rien sur la façon dont l’Ontario va soutenir les municipalités en vue de pourvoir au logement abordable », ajoute également Florence Ngenzebuhoro.
Article écrit avec la collaboration d’Inès Rebei.