Kimberley Paradis, une francophone militante au service de l’accessibilité
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
VANIER – Kimberley Paradis est une jeune francophone de Vanier. Le 15 septembre dernier, elle a reçu le Prix David C. Onley, une récompense offerte par la lieutenante-gouverneure de l’Ontario, Elizabeth Dowdeswell, qui termine bientôt son mandat. Depuis son entrée à l’université, Kimberley Paradis s’est battue pour des politiques d’accessibilité. Elle a entre autres dirigé des programmes de science, de technologie et d’ingénierie d’une façon qui aborde des questions sur l’équité, la diversité et l’inclusion. Aujourd’hui étudiante en droit, elle travaille à l’analyse des politiques et évalue l’impact de la législation sur les communautés LGBTQ+.
« Le 15 septembre dernier, vous avez reçu un prix lors de la Journée de l’héritage des lieutenants-gouverneurs, le Prix David C. Onley pour le leadership en matière d’accessibilité. Cette journée récompense des personnes qui luttent pour améliorer la vie des Ontariens. Quelle est votre lutte ?
Quand j’ai étudié en génie informatique à l’Université d’Ottawa, j’ai adoré. J’adore la technologie. Par contre, je trouvais qu’on faisait avancer l’innovation de façon très rapide, pour avoir des technologies plus rapides et meilleures. Mais qu’en faisant ça, on causait beaucoup de dommages envers la société, les personnes et l’environnement. Je trouvais qu’on n’avait pas assez de régulation envers la technologie pour quand même préserver l’innovation, tout en pensant aux gens. Alors, j’ai voulu étudier en droit pour vraiment combiner les deux.
Quelle a été votre réaction en recevant cette reconnaissance ?
Quand j’ai eu l’appel et que la personne m’a dit, « félicitations, vous avez gagné un prix », je pense que ma première réaction, c’était : « Vraiment ? »
Lors de la cérémonie, je ne comprenais toujours pas. J’écoutais les biographies des autres récipiendaires, ce sont des gens incroyables. Puis, quand ça a été mon tour, j’étais tellement concentrée par la procédure, j’ai reçu le prix des mains de la lieutenante-gouverneure et du ministre Raymond Cho, alors je n’écoutais pas du tout ma biographie. Finalement, dans une entrevue avec CBC, on m’a fait réécouter un bout de ma biographie et je me suis dit : « Attends minute, peut-être que je comprends pourquoi j’ai gagné, maintenant. »
Ils ont parlé de ma place de femme en génie, de mes revendications auprès de l’université pour les gens avec un handicap. Ils ont parlé de mon travail auprès des enfants avec des handicaps et de mes programmes pour développer la logique derrière la technologie pour des communautés de personnes et non juste une personne.
Justement, vous avez milité au sein de l’Université d’Ottawa pour que l’établissement aménage ses politiques vis-à-vis de l’accessibilité pour les personnes handicapées, quel constat faites-vous maintenant ?
C’est très opaque l’université, on ne connaît pas vraiment les raisons de certains changements. Mais c’est sûr qu’il y en a eu, je ne sais pas si c’étaient mes recommandations que l’on appliquait, mais j’espère que c’était réellement un effort collectif. Je sais qu’il y a beaucoup d’étudiants, surtout à l’Université d’Ottawa, qui revendiquent des avancées pour les personnes handicapées, pour la communauté queer et pour les femmes qui sont là.
J’ai aussi vu quelques changements, notamment au niveau santé mentale. À l’époque, j’avais quand même beaucoup critiqué le framework santé mentale que l’université proposait. C’était insuffisant face au taux d’anxiété à la période des examens, face à l’insécurité au niveau du logement. Je crois que c’est super important d’en parler et qu’il faut aller plus loin, parce que l’université est très chère en Ontario.
À quel moment vous êtes-vous rendu compte que la technologie pouvait défavoriser l’individu ?
Je n’ai qu’une jeune carrière, mais j’ai la chance de faire un peu de recherche et de comprendre mon rapport avec la technologie, le droit et la société. Je m’intéresse à la responsabilité des ingénieurs et des technologistes. On peut causer beaucoup de dommages en tant que technologiste. Donc, en commençant ma recherche, j’ai pensé : « comment devrait-on gouverner maintenant que la technologie explose partout ? », ou encore « comment s’assurer qu’on suit vraiment des normes d’éthique ? ».
Si vous êtes impliquée dans la recherche, vous l’êtes aussi dans le monde associatif. De quelle façon ?
Je fais du bénévolat avec plusieurs organisations qui soutiennent la communauté queer. Je siège au conseil d’administration au Centre de recherche communautaire basé à Vancouver. C’est quelque chose qui me tient vraiment à cœur. En grandissant, je manquais de ressources en tant que femme queer. Je ne me sentais pas en sécurité d’être présentée publiquement. Et j’ai trouvé que, même lorsque j’étais capable de dire ouvertement que j’étais une femme queer, encore là, il me manquait des ressources. Mes expériences étaient différentes des autres, que ce soit au travail, à l’école et dans ma communauté.
J’aide aussi le Capital rainbow refuge (Arc-en-ciel de la Capitale). Cet organisme aide les gens ou les couples queers qui doivent faire une demande pour obtenir un statut de réfugié, parce qu’ils ne sont plus en sécurité dans leur pays d’origine. L’organisme fait tout le processus d’application pour les faire venir au Canada.
Je suis aussi impliquée dans la Société des ingénieurs professionnels de l’Ontario, dans le groupe de recherche et innovation, mais aussi celui de diversité et inclusion. C’est une plateforme qui me permet de parler de mes contributions en génie informatique et d’apporter certaines revendications pour faire bouger les choses.
Selon vous, est-ce que votre parcours d’études et vos combats pour l’accessibilité sont liés à votre histoire personnelle ?
C’est même certain puisqu’en fait, je vis aussi avec un handicap. Avec toutes ces choses mises ensemble, j’ai remarqué que je me sentais souvent seule. J’avais des expériences différentes de mes amis et je ne savais pas qui pouvait m’aider. J’ai commencé à faire plus de bénévolat et je me suis intéressée à la technologie et au handicap. Donc, tout ça et très lié. Je me disais « comment est-ce que la technologie peut nous aider ? Comment est-ce qu’on s’assure que, même quand la technologie nous aide, ça n’a pas d’impact négatif sur les autres communautés ? »
J’ai un handicap psychiatrique qui affecte ma vie de tous les jours. Quand j’ai eu le diagnostic, ça a pris des années avant que j’admette que c’était un handicap. Je pensais avoir juste de la misère avec mon cerveau. Je me suis beaucoup investie dans la communauté des gens qui ont un handicap psychiatrique avant de pouvoir dire que j’avais besoin de ressources, que j’avais besoin d’aide et de soutien.
Je veux redonner à la communauté qui m’a aidée et je veux aussi continuer à participer.
Quel domaine aimeriez-vous voir évoluer et pour lequel vous avez des revendications ?
La rétention des femmes dans les facultés de droit et de génie. Je ne pourrais pas parler des autres, mais ce sont des facultés et des domaines qui ont beaucoup de misère. Ils sont reconnus quand même pour être moins inclusifs et avoir une plus petite diversité. C’est ce qu’on appelle « the leaky pipeline », ça veut dire qu’il y a des gens qui entrent dans le domaine, mais on en perd partout, surtout des femmes.
Et dans tout ça, quel est votre rapport à la francophonie, notamment dans vos recherches scientifiques ?
C’est sûr que quand je suis arrivée du Québec en Ontario, j’ai découvert la communauté franco-ontarienne.
Je pense que m’intégrer dans la francophonie en Ontario, ça m’a vraiment aidée avec ma propre francophonie, et ça crée une fierté. On veut célébrer notre francophonie. Puis, on est réellement fiers et c’est sûr qu’à l’Université Ottawa, une université bilingue, j’ai eu la chance de suivre des cours en français. J’ai toujours eu le choix de suivre des cours en français, même si un peu moins en droit, parce qu’ils ont droit en français, droit en anglais et droit civil.
En génie, je suivais des cours en français et j’ai eu la chance de faire de la recherche en français. D’ailleurs, le professeur avec qui je fais de la recherche est un Français et je peux faire des conférences en français. Donc oui, j’ai fait le choix de vivre cela en français.
Je pense qu’être capable d’échanger des idées avec des collègues en français, c’est super parce que je crois qu’on est plus créatif dans sa langue maternelle.
Je m’intéresse de plus en plus à l’intelligence artificielle et je constate que beaucoup de recherches au niveau de l’IA sont opérées par des chercheurs francophones. Ce sont des recherches vraiment bien reconnues au Canada. Même s’ils doivent des fois faire des présentations ou écrire en anglais, il y a beaucoup de chercheurs qui travaillent et collaborent en français dans ce domaine. »
LES DATES-CLÉS DE KIMBERLEY PARADIS :
1998 : Naissance à Pointe-Claire, (Québec)
2021 : Rejoint le Groupe de travail sur la recherche et l’innovation de la Société des Ingénieurs professionnels de l’Ontario
2021 : Graduation avec un baccalauréat en génie informatique
2022 : Début des études en droit commun à l’Université d’Ottawa
2022 : Début de mandat en tant que membre du conseil d’administration du Centre de recherche communautaire
2023 : Récipiendaire du Prix David C. Onley
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.