Marie-Christine Pioffet, professeure au Collège Glendon de l’Université de York, est à la tête de la Chaire de recherche sur les relations franco-autochtones dans les Amériques, créée en juillet 2023.

À l’occasion du 21 juin, Journée nationale des peuples autochtones, et du Mois national de l’histoire autochtone, celle-ci aborde cette page de l’histoire encore méconnue sur laquelle ses recherches portent : les relations franco-autochtones à la période de la Nouvelle-France, du début du 16e siècle jusqu’à sa chute au 18e.

Malgré un engouement fort pour la culture autochtone ces dernières années, les ressources en autochtonie restent encore très dispersées. Retracer les rapports entre autochtones et premiers Franco-Canadiens permettra d’en comprendre les contours, de la période Nouvelle-France jusqu’à nos jours, tout en mettant à l’avant plan le passé et le patrimoine autochtones.  

« Quelles sont vos spécialités et activités autour de la Chaire?

J’enseigne beaucoup sur le récit de voyage et sur les textes de la Nouvelle-France et j’ai monté un nouveau cours en littérature autochtone. J’organiserai prochainement un mini colloque qui portera sur la tradition orale autochtone, dans le cadre de quatre journées d’étude prévues avec la Chaire.

En parallèle, je travaille sur la rédaction d’un livre sur les dialogues franco-autochtones dans les textes de la colonisation française des Amériques. Avec des étudiants, nous recensons les extraits de dialogues entre francophones et autochtones dans les récits de voyage, ce qui devrait s’avérer intéressant pour le grand public.

Carte de Champlain redessinée en 1677. Photo : Gracieuseté de Marie-Christine Pioffet

En quoi est-ce important pour vous de souligner les relations qu’ils entretenaient à cette époque?

C’est une période de l’histoire qui n’est pas très bien connue. Les difficultés de communication qui ont existé ont créé des malentendus qu’il est intéressant d’étudier. On a toujours dit que les autochtones étaient les oubliés de cette histoire. Or, on entend leurs voix à travers les textes de l’époque, à travers les dictionnaires bilingues qui ont été faits par les missionnaires, les truchements, les interprètes autochtones, des extraits de langue autochtone, leur rapport à la spiritualité, au commerce, au troc, etc.

Certains autochtones avaient été envoyés en France, parfois de force, parfois volontairement. Jacques Cartier a par exemple fait venir une dizaine d’autochtones en France. C’était une tradition usuelle avec l’idée de ramener un témoignage vivant de ces civilisations, qui menait à des célébrations, comme en 1550 à Rouen. À part dans la littérature de Michel de Montaigne et dans quelques autres témoignages, on ne sait pas vraiment ce qu’ils ont pensé de la France durant leur séjour.

Que retenez-vous des relations franco-autochtones jusqu’à présent dans vos recherches, qui sont encore amenées à évoluer?

Les relations franco-autochtones de la Nouvelle-France sont très complexes. Tout n’est pas tout blanc ou tout noir, mais les rapports ne sont pas égalitaires dans le rapport de force. L’idée de réciprocité était très importante pour les autochtones, recevoir autant qu’ils donnent. Or, les Français n’ont pas toujours rendu à leur juste valeur ce qu’ils ont reçu.

Mais par rapport à d’autres colons, les chercheurs ont parlé d’une exception française, d’une relation cordiale de proximité.

Il faut savoir que la Nouvelle France était très peu peuplée si on la compare à la Nouvelle-Angleterre. Ils ont dû cohabiter beaucoup plus avec les Autochtones, d’où bon nombre de mariages franco-autochtones. On sait que les Abénaquis, très proches des Français au moment de la fameuse bataille des Plaines d’Abraham, ont parcouru des centaines de kilomètres pour se battre aux côtés de Pierre de Rigaud de Vaudreuil et de Louis-Joseph de Montcalm. Lorsque la nouvelle France est tombée aux mains des Anglais, jusqu’à la signature du traité de Paris en 1763, ils espéraient que les Français reprennent la Nouvelle-France, qui n’aurait jamais tenu aussi longtemps sans eux.

Quelles Premières Nations parlent généralement le français aujourd’hui?

Les nations autochtones qui utilisent surtout le français aujourd’hui sont les Wendats, les Attikameks, les Innus, les Abénaquis. D’une façon générale, les communautés autochtones ont aussi influencé l’identité canadienne telle qu’elle est aujourd’hui, que ce soit par la langue, la culture ou les valeurs.

À quelle méthodologie votre travail de recherche s’attache-t-il?

C’est un travail de longue haleine et toujours en cours bien sûr, mais je m’intéresse à l’histoire et à l’ethnographie, à la linguistique, incontournable quand on tombe sur des expressions autochtones dans les textes.

La façon dont ils désignaient les Français est aussi très éloquente. Samuel de Champlain rapporte qu’ils se font appeler « hommes de fer », car ceux-ci apportaient des instruments et outils en fer comme des couteaux, des hachettes, etc. On retrouve ces désignations métonymiques très fréquemment dans les textes.

Considérez-vous le fait que les langues autochtones soient depuis peu autorisées au Parlement ontarien comme une énorme avancée?

C’est un grand pas vers la reconnaissance et je pense que cela donnera l’envie à beaucoup d’autochtones qui ont perdu leur langue de la retrouver ou de se perfectionner, parce que c’est une souffrance pour certains. Je crois que les universités et les gouvernements devraient faire beaucoup plus pour la préservation des langues autochtones. »