Actualité

Recruter des médecins : l’Est ontarien en quête de solutions

Face à une pénurie de médecins de famille qui s’aggrave, diverses communautés de l’Est ontarien, multiplient les initiatives et les actions. Photo: Canva

Face à une pénurie de médecins de famille qui s’aggrave, diverses municipalités de l’Est ontarien multiplient les initiatives. À Cornwall, à Casselman ou encore à Ottawa, les efforts se heurtent à des obstacles structurels, administratifs et financiers.

Alors qu’on estime à 2 millions le nombre de personnes sans médecin de famille en Ontario, la pression monte dans les municipalités de l’Est ontarien pour trouver des solutions locales. À Cornwall, près de 16 000 des 47 000 habitants n’ont pas accès aux soins primaires. À Casselman, trois des six médecins sont partis à la retraite en 2024. Et partout, le recrutement médical devient un casse-tête.

Après Ottawa, qui a récemment mandaté son administration municipale pour élaborer une stratégie de recrutement et de rétention, c’est au tour de Cornwall de passer à l’action. La Ville a mis sur pied un groupe de travail chargé d’évaluer la situation et de proposer des solutions concrètes.

« Nous avons mené des entrevues avec des professionnels du secteur médical, notamment des médecins, le directeur général adjoint de l’Hôpital de Cornwall ainsi que ceux d’autres établissements de la région de Stormont–Dundas–Glengarry », explique Justin Towndale, le maire de Cornwall.

Selon le maire Justin Towndale, Cornwall compte environ 16 000 personnes qui n’ont pas accès aux soins primaires. Gracieuseté de Justin Towndale

L’objectif du groupe de travail est de dresser un état des lieux et proposer des recommandations concrètes pour le conseil municipal.

« On doit moderniser nos outils d’attraction, parce que les programmes actuels ont été conçus il y a plus de 20 ans », assure le maire.

En effet, Cornwall dispose actuellement de deux programmes d’aide financière destinés aux médecins : Une bourse de 25 000 $ par an pendant 3 ans, pour un engagement minimal dans la communauté. Depuis 2001, 42 médecins en ont bénéficié.

L’autre programme de bourses médicales, 150 000 $ pour un retour de service de 5 ans, a bénéficié à 9 médecins depuis 2009.

Mais ces incitatifs atteignent aujourd’hui leurs limites.  L’ensemble des conditions de travail des médecins de famille pose problème, estime Normand Glaude, directeur général du Réseau des services de santé en français de l’est de l’Ontario (RSSFE).

« L’attrait pour la profession de médecin de famille a nettement diminué, et ce n’est pas étonnant. Pendant trop longtemps, ces professionnelles et professionnels ont été négligés par le système de santé », déplore-t-il. 

Lajoie
Geneviève Lajoie, a mairesse de Casselman, dénonce « les limites d’un système rigide ». Photo : Stéphane Bédard / ONFR

Casselman : une municipalité pénalisée par un point

À Casselman, la mairesse Geneviève Lajoie se bat contre un autre type d’obstacle : les règles provinciales. Son village de moins de 4000 habitants n’a pas accès aux subventions prévues par le programme NRRRI (Initiative de recrutement et de maintien en poste pour le Nord et les régions rurales), faute d’un point à l’Indice de ruralité de l’Ontario (RIO).

La cote de Casselman est de 39, contre un seuil requis de 40. Un écart minime, mais qui prive la municipalité de plus de 84 000 $ sur quatre ans.

« Notre situation illustre clairement les limites d’un système rigide », dénonce la mairesse. « La municipalité voisine de La Nation, pourtant plus proche d’Ottawa, a un RIO de 43 et profite du financement. Nous demandons au gouvernement une exception ciblée. »

Après diverses discussions avec des représentants du ministère ainsi que de l’Association médicale de l’Ontario (OMA) et des responsables de l’établissement des scores, la mairesse a envoyé une demande officielle au ministère de la Santé. Mais pour l’instant, aucune réponse.

Normand Glaude, directeur général du RSSFE, plaide pour que la réforme de la santé tienne compte de la dimension linguistique.

Une crise structurelle

Et à travers l’ensemble de l’Ontario, la pénurie ne se limite pas aux médecins de famille. Tout le secteur de la santé est sous pression. « Les diplômés en médecine se détournent des modèles de pratique individuelle. Ils recherchent du travail en équipe, un encadrement, du soutien administratif », souligne M. Normand.

Selon lui, plusieurs facteurs aggravent la situation, notamment « la demande pour la santé mentale qui explose et le financement des pratiques médicales qui demeure peu souple et mal arrimé aux besoins des territoires ».

De son côté, le maire de Cornwall pointe du doigt les grilles salariales qui n’ont pas été révisées depuis 2017 et les démarches d’équivalence pour les diplômés internationaux qui sont complexes, malgré des réformes récentes.

Face à ces défis, une lueur d’espoir : le Plan d’action pour les soins primaires. Lancé en janvier 2025, ce plan provincial doté d’investissement de 1,8 milliard de dollars à l’horizon 2029 prévoit la création d’équipes de soins multidisciplinaires, pour alléger la charge des médecins et améliorer l’accès.

L’idée est de mobiliser infirmières, praticiens, intervenants en santé mentale et personnel administratif pour permettre aux médecins de se concentrer sur le cœur de leur métier.

Mais selon Normand Glaude, la mise en œuvre de ce plan doit être améliorée. Pour la première phase lancée en avril et ciblant 300 000 personnes (sur 2 millions au total), la province a investi 235 millions de dollars dans la création et l’élargissement de plus de 130 équipes de soins primaires. « L’appel d’offres du printemps dernier a laissé aux organismes à peine trois semaines pour répondre. Résultat : beaucoup de demandes, peu de temps pour planifier, et un sentiment que le gouvernement agit encore une fois dans la précipitation, sans réelle consultation. »

Pour les communautés francophones, un enjeu spécifique s’ajoute : le jumelage linguistique. « Le système actuel, que ce soit via la plateforme Accès Soins ou les cartes santé, ne garantit pas un accès à un professionnel francophone pour les patients francophones », fait remarquer M. Normand.

Il plaide pour que la réforme en cours tienne compte de cette dimension linguistique. « On investit des millions dans la relance des soins primaires. Si on ignore les besoins spécifiques des francophones, on creuse les inégalités », conclut-il.