Société

S’aimer en français en Ontario : un enjeu linguistique et identitaire

La transmission intergénérationnelle du français dans les couples exogames risque un relâchement. Photo : Getty Images

TORONTO – Depuis que Statistique Canada a dévoilé à deux reprises des chiffres accablants sur le déclin du français partout en Ontario et au Canada en l’espace de quatre ans, la question de la transmission du français s’est renouvelée dans les régions francophones en situation minoritaire. De plus en plus façonnée par l’exogamie linguistique et exposée à la langue majoritaire, la famille reste un foyer important de cette transmission, avec de nombreux défis à la clé.

Tandis que certains recherchent le conjoint francophone idéal, d’autres composent avec un partenaire de langue maternelle différente. À chacun sa stratégie pour pérenniser sa langue française.

« On s’est tout de suite mis dans une situation d’apprentissage de la langue de l’autre. J’ai eu besoin d’apprendre sa propre manière de parler en anglais, incluant son jargon californien », raconte la chercheuse en histoire.

Marianne et Larkin Miller sont un couple franco-américain qui parle de plus en plus français à la maison. Photo : Gracieuseté de Marianne Miller

Malgré une certaine bienveillance mutuelle vis-à-vis des différences linguistiques, Marianne a tout de même jugé essentiel d’imposer sa langue, particulièrement au sein de sa belle famille. « Je voulais les sensibiliser à ma langue et à terme à la langue que leur petit-fils parlera parce que, pour eux, l’anglais domine. »

Dans l’effort d’apprendre la langue de son mari, Marianne s’est très tôt heurtée au dilemme entre transmission et assimilation linguistique. « On s’est mis à regarder beaucoup de films et de séries en français. Et maintenant, quand on se demande de faire quelque chose, comme faire à manger ou la lessive, tout ça on commence à le dire en français », remarque-t-elle.

Bien au fait des rapports de force entre le français et l’anglais, Serge Dupuis affirme qu’il existe des difficultés liées à l’endogamie (opposé à l’exogamie) et l’exogamie. Selon lui, « l’exogamie mène forcément à l’assimilation et l’endogamie mène forcément à la transmission linguistique. »

Serge Dupuis au Salon du livre du Grand Sudbury le 10 mai dernier. Photo : Inès Rebei/ONFR

L’historien et consultant originaire de Sudbury constate également qu’« il y a 50 ou 60 ans, le taux d’exogamie dans les régions comme l’Est et le Nord-Est était relativement faible. On parlait de 10 à 15 %. Alors qu’aujourd’hui, c’est devenu un phénomène majoritaire avec l’urbanisation et la raréfaction des rapports en français dans son entourage. »

De son côté, M. Miller sent qu’il y a eu un changement de la langue la plus parlée à la maison notamment depuis que son fils est né. « On a plus tendance à parler anglais, mais je ne pense pas que la culture de l’un l’emporte sur l’autre. En plus, on baigne aussi dans une troisième culture canadienne et ça me pousse à être curieux et apprendre le français », soutient celui qui a acquis une maitrise de base du français depuis qu’il vit avec sa femme.

Tout est-il traduisible en amour?

Pour nombre de Franco-Ontariens, privilégier un partenaire s’identifiant à la culture francophone représente une facilité de communication à l’échelle du couple, et à une plus grande échelle, un maintien du poids démographique de la francophonie à l’échelle de la province.

Même si la langue de la mère a tendance à considérablement se transmettre, d’après Serge Dupuis, l’influence de la localité et de l’école a un effet majeur. « Même si les deux parents sont francophones, si c’est dans un endroit où le français n’existe nulle part, ça va être très difficile de transmettre la langue », précise-t-il.

Parlant français et le malgache, Megahn Andrianaina a quitté sa terre de Madagascar pour Toronto il y a trois ans. La jeune diplômée de Collège Humber, qui considère le français comme sa langue maternelle depuis ses études dans un lycée français, compte privilégier cette langue dans le cadre de ses relations.

« Je trouve que les sujets profonds ou un peu difficiles sont compliqués à aborder dans une langue qui n’est pas ta première langue. Et puis j’ai l’impression qu’on est plus émotionnel dans sa première langue », compare la jeune femme.

Après avoir évolué dans un système scolaire francophone à Madagascar, Meghan Andrianaina a tendance à préférer le français dans le cadre de sa vie personnelle. Photo : Gracieuseté de Megahn Andrianaina

Dans les grandes villes, il n’est pas anodin que les jeunes francophones emploient de grands moyens pour croiser le chemin de leurs semblables, notamment à travers les applications de rencontres. « La première année où je suis arrivée, sur une de ces applications, j’avais utilisé le filtre qui permettait de trouver des personnes parlant français », évoque Megahn Andrianaina.

Toutefois, plus tôt ce mois-ci, des licenciements au sein de l’application Bumble, ont certainement contribué à une fatigue croissante de la génération montante vis-à-vis des applications de rencontre.

Dans les anciennes générations, Serge Dupuis explique que « les fréquentations se faisaient à la salle paroissiale ou dans les soirées dansantes où généralement on était majoritaire [les francophones], puis la probabilité faisant en sorte qu’on allait rencontrer un conjoint francophone. »

Le premier speed dating francophone en Ontario

À Ottawa, la semaine prochaine, se tiendra le tout premier speed dating francophone de la province organisé par 15FirstDates. « On attend près de 40 personnes », affirme Khang Pham, qui coordonne l’événement.

Pour la somme de 30 dollars, les participants auront l’occasion de rencontrer une vingtaine de potentiels partenaires avec qui ils partageraient l’usage du français au quotidien. « L’idée m’est venue quand un des participants à nos évènements en anglais avait du mal à s’exprimer pleinement car il ne maitrisait pas beaucoup l’anglais », se rappelle M. Pham qui prévoit d’organiser trois autres événements similaires à Ottawa, espèrant par la suite étendre l’initiative à l’échelle provinciale.

« Je vois définitivement des plus de jeunes gens qui viennent à ces événements », dit Khang Pham.

15FirstDates.ca va désormais organiser des évènements speed dating spécifiquement francophones dès la semaine prochaine. Photo : Gracieuseté de Khang Pham

L’organisateur assure que la porte n’est pas fermée aux non-francophones dans la mesure où l’idée demeure de créer un espace où les personnes peuvent échanger en français et laisser la chance à tout type de liens pour assurer cette transmission linguistique.

Serge Dupuis confirme finalement que lorsque des rapports s’établissent dans une certaine langue, il devient très difficile de les changer par la suite. D’ici un an, le nouveau recensement fera un nouvel état de l’usage des langues officielles dans la sphère personnelle.