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Sciences infirmières : 80 % des étudiants francophones font leur examen en anglais

Photo canva

OTTAWA – Les étudiants francophones en sciences infirmières de l’Ontario qui décident de faire leur examen final dans leur langue continuent de le faire au risque d’échouer, selon les chiffres provinciaux. Au niveau universitaire et collégial, le taux de réussite à l’examen en anglais est presque deux fois plus élevé que celui en français.

Les plus récents chiffres de l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario montrent que 18 % des étudiants dans un tel programme francophone en Ontario en 2024 ont fait leur examen dans leur propre langue. Au niveau universitaire, 5 étudiantes sur 87 (5,7 %) ont décidé de faire leur test dans la langue de Molière, résultant à un taux de réussite de 40 %. Pour les 82 autres qui ont opté pour la langue de Shakespeare, le taux de succès monte à 82 %.

Au niveau collégial, ce sont 21 étudiants sur un total de 53 (39,6 %) du Collège Boréal et de La Cité qui ont décidé de le faire en français. En 2023, sur 95 étudiants universitaires, aucun n’a passé cet examen en français, comparativement à deux étudiantes collégiales sur 75.

L’Université Laurentienne, l’Université d’Ottawa, le Collège Boréal et La Cité sont les seuls établissements postsecondaires francophones dans la province à offrir ce programme. Les deux collèges francophones l’offrent depuis seulement quelques années.

Taux de réussite des étudiantes francophones en Ontario20202021202220232024
Examen en français (universitaire)ND25 %66,7 %X*40 %
Examen en français (collégiale)87,5 %86,7 %47,1 %50 %33,3 %
Examen en anglais (universitaire)ND82,6 %59,8 %85,3 %82,8 %
Examen en anglais (collégiale)100 %92,3 %83,3 %57,3 %58,6 %
*En 2023, aucune étudiante francophone au niveau universitaire n’a fait son examen en français.

Cet examen américain, le NCLEX-RN (National Council Licensing Examination), est nécessaire pour obtenir sa licence et devenir infirmier à temps plein en Ontario et pouvoir pratiquer dans les établissements de santé de la province.

L’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario, dans une déclaration écrite, se dit « conscient des préoccupations concernant les faibles taux de réussite des candidats francophones aux examens », ajoutant continuer « de surveiller les tendances en matière de performance ».

Manque de ressources en français

Cette situation n’est pas nouvelle. Depuis sa mise en vigueur en 2015, cet examen suscite la controverse au Canada français en raison du faible taux de succès chez les francophones. De 2011 à 2014, avant le changement, le taux de réussite en français oscillait entre 62 % et 76 %. Ce nombre a rapidement chuté de 34 % à 40 % entre 2015 et 2018, dans les premières années de ce nouvel examen, une tendance qui se poursuit encore aujourd’hui.

Au Nouveau-Brunswick, faisant face au même problème, des étudiants ont demandé à faire le test au Québec. La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick poursuit même l’ordre provincial en justice pour faire invalider l’examen, prétextant qu’il viole les droits linguistiques des francophones.

« Quand les francophones choisissent de l’écrire en anglais, leur taux de réussite est pareil que les anglophones. Pour moi, ça veut dire que ce n’est pas leur niveau de connaissance qui fait défaut. Cela a avoir avec l’examen de français », affirme Michelle Lalonde, professeure en sciences infirmières à l’Université d’Ottawa, qui a effectué de la recherche sur cette problématique en Ontario et au Canada.

L’essence du problème est le manque de ressources offertes en français pour les étudiants comme des outils de simulation de l’examen en question, qui comporte entre 85 à 150 questions.

Audrey Marquis. Gracieuseté
« Environ 2000 à 2500 questions préparatoires et de pratique sont disponibles en français comparativement à des centaines de milliers en anglais »
— Audrey Marquis, infirmière

« J’ai parcouru près de 2000 questions de pratique, puis il y a plein de vidéos que tu peux regarder. Après ça, il y a même des examens adaptatifs que tu peux faire et ils te disent si tu es prêt à passer ou non. Il n’y a pas ce niveau de ressources là en français », résume Audrey Marquis, une graduée de l’Université Laurentienne qui a réussi son examen en anglais.

« Si on regarde ce qui existe pour les francophones, c’est très peu », affirme Michelle Lalonde. « Environ 2000 à 2500 questions préparatoires et de pratique sont disponibles en français comparativement à des centaines de milliers en anglais », affirme celle-ci qui soutient qu’au minimum près de 3000 questions de pratique sont nécessaires, pour être préparé au test final.

La traduction en français de l’examen fait défaut, souligne aussi les réfractaires du test. Ces facteurs font en sorte que les étudiantes sont vite mises au fait qu’il est conseillé de ne pas opter pour l’examen en français pour pouvoir réussir.

« Beaucoup des gens dans mon baccalauréat n’étaient pas vraiment bilingues et c’était quand même plus facile pour eux de l’écrire en anglais parce qu’il n’y a juste pas de ressources pour l’écrire en français », affirme Audrey Marquis.

« Des amies qui l’ont écrit il y a quelques années m’ont toujours dit que ça ne vaut pas la peine de l’écrire en français, c’est mieux de l’écrire en anglais », mentionne Christen Ramsay, une autre étudiante qui a fait son examen en 2025.

« Si j’avais l’occasion de me préparer avec des banques de questions en français. Je le ferais certainement… Malheureusement, la réalité , c’est que ce n’est pas la meilleure option pour le succès », ajoute cette étudiante de Sudbury.

Concernant le manque de ressources, l’Ordre provincial soutient être « activement engagé auprès des programmes francophones, en partageant des données sur la performance et en offrant un soutien aux écoles ».

« Cela comprend des discussions sur les stratégies que les écoles peuvent mettre en œuvre pour aider les étudiants infirmiers à se préparer aux examens (…) Ces stratégies peuvent prendre du temps à avoir un impact sur les résultats des examens », concède la porte-parole de l’Ordre Elizabeth Almeida.

Un impact sur la main-d’œuvre?

La professeure Michelle Lalonde soutient que, malgré cette problématique, les infirmières sont « très motivées » à obtenir leur permis de pratique, ce qui n’a pas significativement influencé les statistiques d’admissions.

Cependant, elle note qu’à travers des entretiens qu’elle a menés avec de futures infirmières, elle a constaté qu’une minorité d’étudiantes avaient modifié leurs préférences de lieu de travail en raison des problèmes rencontrés et de leur expérience avec le NCLEX-RN.

« Si on perd une infirmière francophone, c’est une grosse perte à long terme dans un contexte linguistique minoritaire », rappelle-t-elle.

« Et si les étudiants peuvent écrire et passer l’examen en anglais, est-ce que ça va avoir un impact dans le futur sur nos programmes francophones? Pourquoi choisir d’étudier en français si en fin de compte l’examen est en anglais et qu’il faut qu’on ajoute nos livres en anglais pour passer l’examen? Est-ce que ça va avoir un impact? À long terme, je ne le sais pas. Mais ce sont mes craintes », partage-t-elle.