L’Ontario adhérera à un marché du carbone
TORONTO – Après avoir jonglé avec l’idée pendant quelques années, le gouvernement libéral de l’Ontario adhère finalement à un système de plafonnement et d’échanges, communément appelé « cap and trade », dans le but d’encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur son territoire. Le hic, c’est que la troupe de Kathleen Wynne semble, pour l’instant, incapable de chiffrer les coûts, ni même les bénéfices de son projet de « monétisation » du carbone.
FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault
La première ministre a dit faire « un pas de géant » dans le sens de l’environnement.
« Le problème, à l’heure actuelle, est que nous permettons aux grands pollueurs de rejeter des GES dans l’atmosphère gratuitement. Ça ne leur coûte rien. Pourtant, nous savons qu’il y a un coût réel (à la pollution). Un coût qui nous affecte tous. Un coût qui érode notre croissance et notre prospérité. Nous ne pouvons pas ignorer ces coûts plus longtemps », a plaidé Mme Wynne lors d’un point de presse à Toronto, le lundi 13 avril.
L’Ontario a l’intention de rejoindre une bourse du carbone, la Western Climate Intiative (WCI), à laquelle ont déjà adhéré la province de Québec et l’État américain de la Californie. Au sein de ce marché réglementé par le secteur privé, les entreprises polluant au-delà d’un certain plafond doivent acheter ou échanger des « crédits » avec d’autres entreprises qui polluent moins.
Les profits d’un système « cap and trade », s’il y en a, doivent être réinvités dans des initiatives vertes, comme des transports en commun. Sur le long terme, la « monétisation » du carbone pourrait se traduire par des innovations qui feraient baisser le coût de la vie.
Prix de l’essence
Dans l’intérim, et de l’aveu même de Queen’s Park, le contribuable risque d’écoper à la pompe à essence et sur sa facture d’énergie. Le litre de carburant, par exemple, pourrait bondir de 2¢ à 3,5¢ comme ce fut le cas au Québec après l’adhésion de la province à la WCI.
Mais rien ne serait encore coulé dans le béton.
« Ce n’est que le milieu de notre consultation », a précisé Glen Murray, ministre de l’Environnement et responsable de la lutte au changement climatique, le 13 avril. « Nous entamons une phase de design du système », a-t-il ajouté, signalant du même souffle son intention de prendre les prochains six mois pour travailler avec l’industrie automobile « pour engendrer la prochaine génération d’innovations ».
Dans un communiqué, la direction de General Motors (GM) au Canada a d’ailleurs dit considérer la lutte contre le changement climatique « comme une nécessité et une occasion en matière d’économie ». Le géant américain de l’automobile a aussi dit appuyer la province dans « le développement de mécanismes de marché qui sont efficaces, qui protègent la compétitivité (du) secteur manufacturier et qui appuient les consommateurs intéressés à adopter de nouvelles technologies ».
Aussitôt l’annonce à Toronto terminée, Kathleen Wynne et Glen Murray se sont rendus à Québec signer une entente avec le gouvernement de Philippe Couillard à l’égard des systèmes de plafonnement et d’échange de droits d’émission de GES. Les deux provinces voisines avaient déjà convenu, l’automne dernier, de joindre leurs efforts pour lutter contre les changements climatiques et accélérer la transition vers une économie sobre en carbone.
L’opposition dubitative
L’opposition à Queen’s Park ne voit pas l’adhésion de la province à la WCI d’un aussi bon œil. Progressistes-conservateurs et néo-démocrates ont dit être restés sur leur faim à la suite du point de presse du gouvernement libéral, le 13 avril.
« C’est honteux! Nous avons très peu de détails au sujet d’un programme qui va toucher absolument tout le monde dans notre province », a dénoncé la progressiste-conservatrice Lisa Thompson, de Huron-Bruce « Nous savons, pour avoir fait des recherches, que les pays européens qui ont adopté des systèmes de plafonnement et d’échanges sont plombés d’initiatives frauduleuses et de scandales », a-t-elle remis en doute.
« Tant qu’à faire une annonce, le gouvernement aurait dû mettre de l’avant une politique claire avec des chiffres », s’est étonné Peter Tabuns, député néo-démocrate de Toronto-Danforth. « Je trouve ça très bizarre ».
À son tour, Kathleen Wynne a qualifié de « prévisible » la position du Parti PC par rapport à une monétisation du carbone. « Ce n’est pas comme si nous étions des pionniers », a-t-elle ironisé. « Nous pouvons appeler ça une taxe s’il le faut, mais la plupart d’entre nous ne se laisserons pas berner par une étiquette ».
Le Parti vert de l’Ontario s’est dit satisfait du choix du gouvernement. « La tarification de la pollution est le meilleur outil pour s’attaquer à la crise du climat et créer une économie propre et prospère », a réagi le chef de la formation, Mike Schreiner. « Mais pour qu’un système de plafonnement et d’échanges fonctionne, les libéraux ne peuvent pas donner des passe-droits à l’industrie », a-t-il mis en garde.
La Fédération des contribuables du Canada, un lobby ancré à droite, a pour sa part exhorté la province à faire marche arrière. « Avec un déficit de 10,9 milliards $ et une dette provinciale de 280 milliards $, la première ministre Wynne cherche à faire payer les Ontariens pour sa mauvaise gestion au nom de politiques vertes », a déclaré Christine Van Geyn, directrice de la section ontarienne de l’organisme.
« Le changement climatique n’est pas une menace lointaine », a relancé Mme Wynne devant la presse. « Ça engendre déjà des coûts pour les contribuables de l’Ontario. Nous payons déjà le prix de notre inaction », a-t-elle ajouté, faisant référence à de récents événements météorologiques extrêmes, comme des tornades qui ont détruit des maisons, ou encore des sécheresses qui ont miné des récoltes. »
L’ancien vice-président américain Al Gore, maintenant un ténor de la lutte au changement climatique, a qualifié d’« étape monumentale » l’annonce de Queen’s Park sur son compte Twitter.