Accents et cédilles sur les documents ontariens : le grand blocage
TORONTO – François, Hélène, ou Émilie. Ces prénoms francophones ne seront pas encore écrits correctement sur certains documents administratifs provinciaux avant un bon bout de temps. D’après les informations reçues par ONFR+, le gouvernement n’est pas prêt à permettre l’utilisation de certains caractères sur le permis de conduire ou la carte Santé.
En cause : le système informatique du gouvernement qui ne permet pas d’inclure des caractères français, comme les accents ou les cédilles. Une différence dès lors notable avec la plupart des documents du gouvernement fédéral.
En 2017 déjà, la ministre aux Affaires francophones, Marie-France Lalonde, avait demandé de la patience aux résidents ontariens, arguant qu’il s’agissait d’un dossier « complexe ».
Une hésitation qui avait fait bondir à l’époque la néo-démocrate France Gélinas. « Je me souviens qu’en 1987, on en parlait. En 1990, on en parlait encore. En 1996, c’était encore un sujet de discussion et même quand j’ai été élue. Il n’y a rien qui change. Moi, mon nom est Gélinas, pas Gelinas. »
Contactés par ONFR+, les deux ministères concernés ont donné des réponses semblables pour justifier l’attente du dossier.
« Le ministère des Transports comprend la volonté d’inclure les accents français dans la carte du permis de conduire. Le système de permis de conduire actuel n’a malheureusement pas la capacité de générer des accents français. Toutefois, le ministère est en train de moderniser son système pour permettre l’accent des francophones sur les cartes du permis de conduire. »
« Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée s’est engagé à soutenir la prestation de soins de haute qualité qui répondent aux besoins et aux priorités des populations locales, y compris dans les communautés francophones de l’Ontario », fait-on savoir du côté du ministère de Christine Elliott.
« Actuellement, pour chaque personne inscrite à une carte Santé de l’Ontario, une « préférence linguistique » en anglais ou en français est enregistrée. Cette information est utilisée pour déterminer la langue des avis ou autres correspondances envoyées aux clients par le ministère. »
60 millions de dollars nécessaires
Malgré le blocage, les langues se délient manifestement. Marie-France Lalonde, aujourd’hui simplement députée libérale d’Ottawa-Orléans, fut autrefois en première ligne du dossier à titre de ministre des Services gouvernementaux et des Services aux consommateurs. Pour ONFR+, elle revient sur les raisons du statut quo.
« Pour renouveler le système informatique avec un codage pour les accents et les cédilles, le montant qui était discuté, c’était environ 60 millions de dollars », explique l’ancienne ministre. « Les raisons étaient tristement que c’était beaucoup trop pour aller de l’avant. »
Mme Lalonde enfonce le clou. « Le système informatique du gouvernement de l‘Ontario doit être complètement renouvelé en une fois. Il faut comprendre que le système informatique a plus de 40 ans. »
Malgré l’inaction de son gouvernement, l’ancienne ministre défend ses positions en comparaison de l’équipe progressiste-conservatrice. « C’est impossible qu’il (le gouvernement progressiste-conservateur) puisse avoir cela comme priorité. Nous avions, pour notre part, étudié à fond d’autres solutions comme les tierces-parties, c’est-à-dire donner un contrat à une compagnie informatisée. »
Contacté par ONFR+, le ministère des Affaires francophones et sa principale occupante, Caroline Mulroney, n’ont pas répondu à nos demandes d’entrevue sur le sujet.
« L’ombudsman, j’espère va être moins patient »
À défaut d’être brûlant, le dossier reste récurrent. Et quelques jours avant l’abolition définitive de son poste, le désormais ex-commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau, avait marqué son impatience à notre micro.
« Depuis la deuxième année de mon mandat, j’étais dessus. Notre système informatique ne peut pas pour l’instant, mais l’ombudsman, j’espère, va être moins patient. Le processus de révision sera en cours plus tard. Il n’y a pas de cédille à mon nom quand je regarde mon permis de conduire ou ma carte Santé. »
Ce n’est pas la première fois qu’un combat pour le respect des accents est mené en Ontario français. À Orléans par exemple, le combat a mobilisé bon nombre de Franco-Ontariens à la fin des années 80. Ce village avait connu une croissance exponentielle dans les années 70 qui lui avait fait perdre son caractère majoritairement francophone.
Finalement en 1994, la Commission de toponymie de l’Ontario a validé l’utilisation de l’accent aigu sur le nom d’Orléans.