Action antiracisme pour les communautés noires : l’Ontario en fait-il assez?
TORONTO – Depuis la création de la Direction de l’action contre le racisme en 2016, l’Ontario investit dans plusieurs programmes communautaires antiracisme qui peuvent parfois se confronter à des réalités de terrain. La porte-parole Antiracisme et Équité de l’opposition Laura Mae Lindo analyse ces problématiques et les solutions dans le domaine de l’éducation. En interne, elle évoque également le nouveau caucus noir du paysage politique ontarien, l’évolution vers la diversité et les challenges que cela implique.
Le bureau de la Direction générale de l’action contre le racisme (DGAR), avait été créé en 2016 pour diriger les différentes initiatives de lutte contre le racisme du gouvernement afin de prévenir et de remédier au racisme systémique dans les politiques, mesures législatives, et programmes du gouvernement. Drastiquement réduit en 2018 du fait de coupes budgétaires, ce bureau a des accomplissements notoires comprenant l’adoption de la Loi de 2017 contre le racisme, obligeant la création d’un rapport annuel de données.
Selon Laura Mae Lindo, députée de Kitchener-Centre et porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD), Antiracisme et Équité, la collecte de données est extrêmement importante. Elle déplore qu’il ait fallu plus de deux ans pour que le premier rapport ne voie le jour en 2020. Les données incluaient la collecte par les services de police des informations sur la race des personnes interpellées dans le but de surveiller le profilage racial.
Depuis le 1er janvier 2020, tous les rapports sur le recours à la force soumis au ministère du Solliciteur général par les forces de l’ordre comprennent des renseignements sur la race perçue des personnes sur lesquelles la force a été utilisée. Ce sont actuellement les seuls rapports que la police soit légalement tenue de fournir au ministère et qui sont soumis aux règlements de la Loi contre le racisme.
Des investissements de la part du gouvernement
Parmi les actions de la DGAR, le gouvernement de l’Ontario investit 3,2 millions de dollars sur trois ans via le Programme de subventions contre le racisme et la haine (PSRH) pour appuyer 58 initiatives communautaires qui améliorent l’éducation et sensibilisation du public aux répercussions du racisme.
Le programme de Subvention pour des collectivités sûres et dynamiques appuie quant à lui les initiatives communautaires de lutte contre le racisme et la haine avec un investissement de 1,6 million de dollars sur deux ans versés à des organismes communautaires. « Depuis la création de la subvention SVC en 2004, le ministère a alloué plus de 14 millions de dollars pour soutenir et mettre en œuvre plus de 400 projets de sécurité et de bien-être communautaires locaux », déclare Brent Ross, porte-parole du ministère du Solliciteur général de l’Ontario.
Ces organismes étant tenus de s’associer à leur service de police local, Laura Mae Lindo explique que la réalité du terrain peut parfois mettre à mal la théorie : « Cette exigence met en péril le travail dans certains domaines tels que la lutte contre la traite des personnes, car certains travailleurs ne se sentent pas à l’aise avec la police. Cela a été soulevé comme un obstacle pour certaines organisations qui ont établi la confiance avec les membres de la communauté noire et savent qu’un partenariat avec la police autour des crimes de haine peut troubler les relations qu’ils ont construites – surtout à un moment où nous nous battons contre le fichage », explique-t-elle.
L’Éducation, fondement du changement
Selon Laura Mae Lindo, il y a un vrai désir de changement dans la lutte contre l’antiracisme noir. Elle note par exemple l’intervention du gouvernement début 2022 après l’incident dans une école de Kitchener ayant fait appel à des agents de police au sujet d’un élève noir de quatre ans.
« En aucun cas, la police ne devrait être appelée pour retirer un élève de quatre ans d’une école de cette province », avait déclaré Stephen Lecce, ministre de l’Éducation. « Les parents noirs et racialisés continuent de faire face à ces situations inacceptables qui ne font que démoraliser et nuire à leurs enfants et à leurs familles », avait-il dit, annonçant une enquête de la province.
Pour Julie Lutete, présidente de la Coalition des noirs francophones de l’Ontario « l’éducation est le moyen le plus efficace pour faire reculer les murs de l’ignorance ». Elle souligne « l’importance de développer davantage de programmes en éducation culturelle et patrimoniale de nos enfants dans les écoles ». Pour Laura Mae Lindo aussi, l’éducation est fondamentale. Son projet de loi 67 au sujet de l’équité raciale dans le système d’éducation sera proposé à nouveau sur les tablettes de Queen’s Park.
« L’idée est d’aborder le système d’éducation en définissant d’abord ce qu’est le racisme et de former les enseignants. Mon espoir est que cela commencera à changer le système. » Elle rappelle que La loi de 2021 sur le Mois de l’émancipation a été votée avec un consensus unanime pour non seulement célébrer, mais aussi reconnaitre la réalité d’où nous partons : « N’oublions pas que les écoles ségréguées n’ont été abolies que dans les années 60 au Canada. »
La diversité en interne
Concernant le paysage politique ontarien, la députée Kitchener-Centre reconnait que six élus noirs à Queen’s Park – trois dans l’opposition et trois au gouvernement – est une grande première : « Le premier caucus noir de l’opposition officielle du NPD, c’était en 2019 et c’était nouveau. » Au moment de son élection en 2018, elle rappelle qu’elle est devenue la première personne noire élue dans la région de Kitchener-Waterloo.
Une évolution positive mais qui comporte certains challenges : « Lorsqu’on est si peu nombreux, il est toujours risqué de parler et de se battre au nom de sa communauté ». « Être en infériorité numérique requiert toujours du courage », ajoute-t-elle.
Une partie du travail des députés consistant à représenter la province au sens large, Laura Mae Lindo explique que des enjeux plus spécifiques pour la communauté noire, comme le racisme dans les soins de santé s’avèrent moins représentés : « Plus le caucus est diversifié, plus il y a de place pour des cas précis comme celui-là. »
Elle ajoute également qu’en tant que nouveau parlementaire essayant de s’établir, certains membres noirs peuvent volontairement laisser ces sujets de côté : « Vous devez vous sentir suffisamment en sécurité pour parler de la communauté », conclut-elle.