
Amazon à Ottawa : espoir ou menace pour les commerces locaux?

OTTAWA – Alors qu’un troisième centre de distribution d’Amazon devrait voir le jour à Ottawa d’ici 2026, les réactions sont partagées. La Ville salue un investissement porteur pour l’emploi et l’économie, alors que des commerçants et experts redoutent ses effets sur les PME locales, la vitalité francophone et le tissu commercial de la région.
« Amazon, ils sont juste là pour vendre. Nous, on est là pour servir nos clients ». Nathalie Savard, propriétaire du Coin du livre, la dernière librairie franco-ontarienne d’Ottawa, ne cache pas son inquiétude.
L’arrivée prochaine d’un nouveau centre de distribution Amazon dans la capitale, approuvée récemment par le conseil municipal, suscite un débat de fond.
Prévu pour 2026, ce troisième entrepôt d’Amazon dans la région, situé à l’angle des promenades Leikin et Bill Leathem, relance les questions sur l’avenir du commerce de proximité. Bien que les petites entreprises spécialisées — sport, loisir, quincaillerie, etc. — puissent être touchées, elles pourront bien garder leur clientèle, si elles continuent à offrir un service à la clientèle irréprochable, estime Nathalie Savard.

« C’est parce que les PME sont les expertes dans leur domaine. Amazon, ce n’est pas leur cas », tranche-t-elle.
« Nos clients ne sont pas des numéros. Je les accompagne personnellement, je m’assure de comprendre leurs besoins. Et ils nous le rendent bien grâce à leur soutien », poursuit Nathalie Savard.
Elle admet toutefois que sa plus grande crainte n’est pas Amazon, mais la flambée des loyers commerciaux. Sa librairie a d’ailleurs dû déménager récemment, son loyer passant de 5100 $ à 9083 $ par mois.
Essoufflement de l’élan citoyen
Carl Poirier, président du Regroupement des gens d’affaires de la capitale nationale (RGA), relaie les préoccupations des PME d’Ottawa-Gatineau.
« Les petites quincailleries, librairies, commerces spécialisés ne peuvent soutenir la concurrence. Malgré les nombreuses campagnes d’achat local, surtout pendant la pandémie, le modèle Amazon continue de croître. Ça traduit un essoufflement de l’élan citoyen en faveur des entreprises d’ici », constate-t-il.
Il déplore également le manque de retombées pour l’économie locale. Selon lui, la vaste majorité des produits vendus par Amazon proviennent des États-Unis, d’Asie ou d’Inde : « Les entreprises canadiennes, et encore moins celles franco-ontariennes, n’en tirent aucun bénéfice ».
La Ville reste optimiste
Du côté de la mairie, le ton est plus optimiste. Le maire Mark Sutcliffe y voit un signal positif pour l’économie d’Ottawa.
« C’est une marque de confiance envers notre ville et notre main-d’œuvre. Ce nouveau centre ultramoderne d’Amazon représente le plus récent investissement de l’entreprise à Ottawa en tant que pôle régional pour ses activités. Sa construction créera des centaines d’emplois et générera une importante activité économique », assure le maire dans une déclaration à ONFR.
En cours de construction, l’entrepôt, le plus grand d’Amazon au Canada selon un rapport de l’Ottawa Commercial Real Estate, devrait générer des retombées immédiates dans le secteur de la construction. L’annonce de 2000 à 2500 postes suscite un certain espoir chez les chercheurs d’emploi.

« Une fois en service, le centre emploiera des centaines de résidents d’Ottawa dans les domaines de la logistique, des opérations et de la gestion du site », ajoute le maire, en rappelant la volonté de la Ville de « collaborer avec des acteurs majeurs comme Amazon pour créer des emplois et positionner Ottawa comme un chef de file en matière de technologie et de logistique ».
Des retombées limitées
Pour Frédéric Laurin, professeur d’économie à l’Université du Québec à Trois-Rivières, cet enthousiasme est à relativiser.
« Que l’entrepôt soit à Ottawa ou ailleurs, ça ne change rien pour les commerces locaux. Ce qui fait la force d’Amazon, c’est sa notoriété mondiale, ses économies d’échelle, ses prix très bas et un marketing ultra efficace. »
Le véritable enjeu pour les commerçants indépendants, selon lui, est la découvrabilité : « Une boutique locale peut offrir mieux, mais si personne ne la connaît, elle ne fait pas le poids devant la force de frappe d’Amazon. »
Le défi est donc de savoir comment faire en sorte que les consommateurs aient le réflexe d’y aller, plutôt que de cliquer sur Amazon.

Ce professeur d’économie à l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières invite ainsi les boutiques à mutualiser leurs efforts pour être plus visibles en ligne : « L’heure est aux algorithmes! Une boutique qui veut survivre doit maîtriser le référencement Internet et les réseaux sociaux. »
Des taxes d’abord
Frédéric Laurin souligne aussi les limites structurelles du modèle Amazon.
« Ce sont des emplois à faible valeur ajoutée, sans formation avancée. Il n’y a ni innovation, ni recherche, ni réseau de sous-traitants développés. C’est un modèle fermé, très automatisé. »
Le RGA rejoint ce constat. Carl Poirier s’interroge sur la pérennité des emplois annoncés.
« Amazon mise fortement sur l’automatisation. Il est légitime de se demander si ces emplois existeront encore dans 5 ou 10 ans. »
L’avantage immédiat de cette infrastructure de construction qui servira les clients de tout le pays reste fiscal.
« Ce sont les revenus fiscaux pour la municipalité qui en sont la principale retombée locale. Mais si ces fonds ne sont pas réinvestis dans le tissu entrepreneurial local, peut-on vraiment parler de développement durable? », s’interroge-t-il.
Une menace pour la francophonie
Autre sujet d’inquiétude souligné par le RGA : la place du français dans les activités d’Amazon.
« Amazon a récemment fermé ses opérations au Québec, ce qui alimente les doutes sur sa volonté d’offrir des services bilingues ou un environnement de travail francophone à Ottawa », alerte Carl Poirier.
Pour le RGA, l’annonce d’un nouveau centre Amazon à Ottawa peut sembler prometteuse à court terme. Mais à long terme, elle soulève de nombreuses questions : sur la vitalité des PME locales, l’autonomie commerciale, la place du français et le développement durable de la région.