Avenir du journal Le Droit : « Beaucoup d’incertitudes et de possibilités… »
OTTAWA – Soulagement et inquiétude au lendemain de l’aide d’urgence de cinq millions $ – sous forme de prêt – accordée à Capitales Médias par le gouvernement québécois. Des experts craignent toujours cependant pour l’avenir du journal Le Droit.
Comme les cinq autres quotidiens du groupe médiatique, le journal centenaire ayant pignon sur rue dans le marché By à Ottawa a connu un lundi fort agité. L’annonce de la faillite de Capitales Médias, en début d’après-midi, semblait présager le pire…
Dans les médias sociaux, l’annonce du sauvetage par le gouvernement Legault a, malgré tout, ravivé les interrogations concernant le seul quotidien francophone en Ontario.
« J’appelle cela une opération de sauvetage de dernière minute, une bouée jetée à la mer, ça peut durer plusieurs mois comme cela », analyse pour ONFR+, Marc-François Bernier, un spécialiste des médias de l’Université d’Ottawa.
« Il y a beaucoup d’incertitudes, mais aussi des possibilités. Il peut par exemple y avoir des aides publiques du gouvernement ou encore des crédits d’impôt pour les abonnés. Définitivement, il faudrait mieux imposer les géants d’Internet comme Google et Amazon, et procéder à une redistribution de ces sommes-là, avec des nouveaux critères de financement (…) Les gouvernements doivent aussi acheter de la publicité au lieu de la mettre sur Facebook. »
Bien que diffusé aujourd’hui tout autant à Gatineau qu’à Ottawa, le journal Le Droit, fondé en 1913 sur fond de crise, a traversé bien des décennies. Et ce n’est pas l’historien de l’Université Laurentienne, Serge Miville, qui dira le contraire.
« L’Ontario français/Le Canada français a fait naître le Droit, tout comme Le Droit à participer à l’édification de l’Ontario français. Sa perte serait difficilement remplacée. Autant les médias sont un pilier de la démocratie au Québec, autant ce rôle-là est doublement vrai en Ontario. Le Droit ne dépend pas des fonds des gouvernements, ce qui permet une distance et de ne pas se faire, par exemple, respirer dans le cou par le gouvernement Ford. Il y a une indépendance par rapport à toute ingérence politique potentielle. C’est une tribune pour alimenter le débat. »
M. Miville cite l’épisode du Règlement XVII, lequel a entraîné la création du journal. « Le Droit a été un organe de combat ayant permis de penser les institutions et de ne pas être assimilé à la majorité anglo-protestante ».
Et de poursuivre : « Les nombreux articles pendant la crise de l’Hôpital Montfort ont amené le débat dans l’espace public. Encore dernièrement, lorsque le Ottawa Citizen a fait un éditorial en français lors de la crise linguistique de l’automne, on peut dire que Le Droit y a contribué en faisant un espace de tribune et a donc influencé les médias anglophones à se positionner. »
L’option Québecor
Lundi après-midi, peu après le coup de pouce du gouvernement québécois, Groupe Capitales Médias (GCM) a voulu rassurer ses lecteurs. « Nos abonnés, nos annonceurs, nos distributeurs et nos fournisseurs n’ont pas à s’inquiéter, toutes les mesures ont été prises pour assurer la poursuite normale de nos activités », faisait part son président Claude Gagnon.
Mais depuis quelques jours, Québecor s’est positionné pour un éventuel rachat des quotidiens de GSM. Son président et chef de direction, Pierre Karl Péladeau, a même indiqué que son entreprise était la seule à pouvoir assurer la pérennité des six journaux du réseau, incluant Le Droit.
« Ça serait l’option la moins intéressante », estime M. Bernier. « Chez Québecor, il y a de l’excellent journalisme, mais cela créerait une concentration des médias, avec moins d’angles de couverture différents. De plus, M. Péladeau est réputé très dur avec les syndicats. »
À l’heure de mettre ces informations sous presse, le président et éditeur du Droit, Pierre-Paul Noreau, n’était pas disponible pour répondre à nos questions.
L’idée d’une coopérative
Autre solution évoquée par les experts : l’idée que la communauté se réapproprie elle-même le journal pour assurer sa sauvegarde.
M. Bernier ne néglige pas cette option. « La communauté doit se prendre en main, acheter cette publication (…) Elle peut aussi se réapproprier ses médias, avec la possibilité de créer une coopérative, mais c’est un défi. »
« Cela deviendrait un modèle de fonctionnement comme la Fromagerie St-Albert », estime Serge Miville. « L’Évangéline, un quotidien acadien (disparu en 1982), avait survécu longtemps grâce à des campagnes de financement de la communauté. »
Et de conclure : « Le Droit n’est pas seulement un quotidien régional du Québec, c’est aussi ça, mais pas que ça. »
Le journal a appartenu à la communauté des pères Oblats de Marie Immaculée pendant six décennies, avant d’être vendu à des intérêts privés, notamment Hollinger, et plus tard Gesca. En 2015, GCM avait repris le journal.