Barbara Ceccarelli, au coeur de l’humain
[LA RENCONTRE D’ONFR]
TORONTO – Directrice générale des Centres d’Accueil Héritage (CAH), logements pour les aînés francophones de Toronto, cette Anglo-Italienne francophone se dédie à leur bien-être au sein de cette communauté soudée, unique en son genre. Infirmière de profession, elle a exercé au Rwanda, en Angola, Ouganda, République du Congo, ou encore au Kazakhstan, animée par la passion d’aider ceux qui vivent dans les conditions les plus difficiles. Une carrière internationale riche qui a forgé sa vision holistique autour des besoins des individus.
« En quoi cette double nationalité et ce bilinguisme ont-ils façonné votre façon de voir le monde dès le plus jeune âge?
Vivre dans une famille bilingue avec deux cultures différentes, ça m’a ouvert l’esprit très jeune. J’ai grandi en Italie et quand j’allais visiter ma famille en Angleterre c’était comme passer d’une planète à une autre. C’était un émerveillement en tant qu’enfant de voir que les choses pouvaient être faites de façon si différente d’un endroit à l’autre.
Vous avez travaillé une quinzaine d’années avec Médecins sans frontières en tant qu’infirmière. Parlez-nous de votre parcours à l’étranger…
Après mes études, je suis partie travailler en 1996 au Rwanda dans un petit hôpital avec une petite ONG. L’image que j’avais de la santé et la médecine, exercée différemment, a changé. Un moment charnière qui m’a confirmé que c’était ma passion. J’ai ensuite travaillé en Angola dans un hôpital et dans un centre pour enfants malnutris.
S’en est suivie une expérience au Kazakhstan où je me suis occupée d’un projet mettant en place des recommandations contre la tuberculose. En Ouganda, j’ai ensuite géré un projet d’envergure qui s’attelait à différentes maladies dont le paludisme, le VIH, des maladies orphelines, etc. Il y avait toute la problématique d’accès aux médicaments, d’où un plaidoyer auprès des autorités pour que certaines communautés y aient accès.
Une fois au Congo, j’étais responsable d’un programme d’aide psychologique aux femmes qui avaient survécu des violences basées sur le genre dans la guerre et des violences domestiques.
Après quoi, je suis allée vivre en France pour la première fois, avec mon conjoint qui est français, travaillant également pour Médecins sans frontières. J’ai pu apprendre à parler français de façon courante.
Comment vous identifiez-vous entre ces trois identités culturelles et linguistiques, l’italien, l’anglais et le français?
C’est vraiment difficile à dire. Je ne m’identifie à aucun des stéréotypes. J’ai grandi en étant très proche de ma mère anglaise donc il y a toute une série de références culturelles, de notions, d’humour même qu’on apprend quand on est tout jeune, dont je suis très imprégnée. Mais j’ai aussi grandi avec la cuisine italienne, hors pair. Je me sens un mélange de beaucoup de choses, en particulier au gré des voyages et des pays dans lesquels j’ai vécu.
La santé est donc votre formation initiale. Qu’est-ce qui vous a poussée dans cette voie?
Ma passion a toujours été la santé publique, tout ce qui a trait au bien-être d’une population et bien sûr l’attention aux besoins d’un individu. Mais la chose qui m’a toujours fascinée c’est cette idée qu’on pouvait éradiquer des maladies, l’idée que les conditions de vie affectent la santé, et donc la nécessité de les améliorer et de répondre aux besoins. En somme, une vision holistique de la santé.
N’est-ce pas un peu similaire avec la vieillesse? En donnant un meilleur environnement, on conditionne un meilleur vieillissement?
Trop souvent quand on parle de vieillesse, on parle de maladie. Or, vieillir n’est pas une maladie, c’est presque un succès finalement. Il n’y a pas encore de narratif positif. Je pense que tout le monde veut vivre le plus longtemps possible dans les meilleures conditions.
La santé physique en est une composante bien sûr, mais il y a aussi le besoin de demeurer des individus à part entière, notamment en ayant toujours un « chez-soi ». Ce n’est pas parce qu’on passe un certain cap d’âge qu’on disparait et que l’on doit être « placé » quelque part. Il faut donc que les gens puissent se loger de façon convenable dans un logement adapté à leurs besoins, qui ont évolué.
Pouvez-vous nous rappeler le concept des CAH?
Ce n’est ni un hôpital, ni une maison de retraite, ni un centre de soins de longue durée. Il ‘agit d’une solution de logement au vieillissement pour les personnes âgées qui veulent vieillir « chez soi » et dans leur langue. C’est un organisme par et pour les francophones qui accueille autour de 200 résidents, et plus de 300 personnes qui bénéficient des services communautaires du centre, du comité social notamment, ou pour des besoins ponctuels.
On vit de plus en plus longtemps et les besoins vont être grandissants. Les personnes vont vouloir continuer à rester autonomes en ayant un peu d’aide, des logements indépendants, mais adaptés, le contact humain d’une communauté. C’est dans ce sens-là que les Centres d’accueil héritage répondent à cette demande.
Les CAH ont fêté leurs 45 ans. Parlez-nous un peu de la genèse du projet…
La fondatrice Simone Lantaigne était une travailleuse sociale de Toronto qui s’est rendu compte que les personnes âgées francophones avaient du mal à s’y loger et aucun accès à des services en français. Elle animait à l’époque des initiatives de solidarité dans le sous-sol d’une église. Elle était déterminée à créer un concept et a négocié avec la municipalité pour obtenir le terrain sur lequel notre édifice est bâti, en location symbolique, et elle a trouvé du financement pour la construction en 1978.
Il aura fallu un certain temps pour être reconnu comme fournisseur exclusif de logements francophones, en sachant que la municipalité ne répond pas à la Loi sur les services en français, mais nous l’avons obtenu. Le ministère de la Santé a plus tard financé les CAH pour fournir des soins à domicile aux francophones et du soutien à la personne.
À quels enjeux les CAH sont-ils confrontés aujourd’hui?
La ville a beaucoup changé et le transport et la distance sont des problèmes de plus en plus importants. Les prix poussent les personnes à vivre de plus en plus excentrés du centre-ville. Nous étudions une façon d’aller vers les francophones sans qu’ils aient besoin de se déplacer ici et c’est pour cela aussi que nous avons ouvert un centre de soutien aux personnes atteintes de démence à Oshawa.
Quels sont les projets que vous étudiez, à plus ou moins long terme?
Nous aimerions étendre nos activités de vie active, de socialisation, de services de soutien et pouvoir offrir une programmation à la journée mobile pour aller à la rencontre des francophones là où ils sont : dans la région de Peel, la région de Durham, au nord de Toronto autour de la Paroisse de Saint-Louis-de-France, etc. Nous poursuivons actuellement nos recherches d’évaluation des secteurs.
Nous souhaitons briser le silence autour du vieillissement par cette vie communautaire, mais également augmenter notre offre de logements et notre capacité de visites à domicile.
Nous sommes le plus grand employeur aux préposés aux soins francophones de Toronto et il s’agit pour nous de continuer à accueillir plus de travailleurs en santé qui sont dans leur parcours de formation. Donner la chance aux étudiants de venir faire leur stage ici et d’y rester est très important, car il y a des opportunités très intéressantes dans la santé et le soutien communautaire en français.
La vieillesse étant une question à laquelle nous sommes tous confrontés à un moment ou à un autre, la solution n’est-elle pas de sensibiliser les plus jeunes générations?
Briser les niveaux de séparation entre les générations est capital. Nous organisons beaucoup d’activités intergénérationnelles. Occasionner des rencontres pour qu’ils fassent des choses ensemble permet de se rendre compte qu’on fait tous partie du même cycle.
Le narratif doit changer : comme on célèbre les naissances, il faut célébrer la vieillesse comme un continuum du cycle de la vie. Il faut également réaliser que les aînés ont des souhaits et des aspirations pour leur mode de vie, comme tout un chacun. »
LES DATES-CLÉS DE BARBARA CECCARELLI :
1970 : Naissance en décembre à Rome.
1996 : Après des études d’infirmière, elle part travailler pour la première fois à l’étranger au Rwanda dans un petit hôpital.
2000 : Naissance de son premier enfant en Italie, après une mission de 18 mois en Angola.
2005 : Naissance de son deuxième enfant en France et décision de revenir en Europe, après 15 ans de travail à l’étranger.
2007 : Arrivée à Toronto avec sa famille pour s’y installer.
2012 : Embauchée au CAH en tant qu’adjointe à la direction générale pendant 5 ans, avant de prendre les fonctions de directrice générale.
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.