Ces « milieux d’hommes » où sexisme et inégalités persistent
OTTAWA – Scientifique, pompière, agricultrice… Trois Franco-Ontariennes qui évoluent dans des milieux à prédominance masculine confient leurs succès, leurs obstacles et leurs espoirs. Alors que les lignes de l’égalité des sexes bougent progressivement, coup de projecteur sur ces parcours en dépit des préjugés, en cette journée internationale dédiée aux droits des femmes.
En 2023, il reste encore une marge importante entre les hommes et les femmes dans de nombreux corps de métiers, y compris en sciences. Axiel Yaël Birenbaum est une personne non binaire, docteur et chercheur en physique des matériaux à Ottawa, et du sexisme iel en a vécu. Des situations glaçantes.
La docteur de 35 ans a vécu du harcèlement pendant ses études dont le souvenir est encore très vif dans sa mémoire. « Un professeur m’a embrassée dans le cou devant le chef de département qui n’a rien fait, parce que son excuse c’est qu’il était saoul », raconte-t-iel.
Iel raconte aussi qu’on l’a « ouvertement dissuadée plusieurs fois » de persévérer dans la recherche, au prétexte que ce serait « très difficile surtout si tu veux avoir une famille ». En outre, la nécessité de voyager très souvent pour des colloques et autres activités de recherche était un autre argument qu’on lui opposait.
Et d’ajouter : « Les professeurs m’ont fait clairement savoir, à l’époque, qu’on ne fait pas ça aux hommes. »
Une réalité dont Véronique Dupont, entrepreneur dans le secteur laitier à St-Bernardin, un village de l’Est ontarien, peut aussi témoigner.
Des remarques comme « C’est trop forçant pour toi » ou « L’agriculture c’est sale » sont quelques-unes de celles qu’elle a pu entendre en se lançant dans l’entrepreneuriat fermier.
Des préjugés bien enracinés
Celle-ci a aussi constaté une différence de traitement entre elle et son partenaire en affaires et dans la vie.
Elle regrette que la perception de la femme en milieu fermier soit souvent stéréotypée, et reliée à ce qu’elle appelle « la femme de fermier ».
« Une femme mariée ça la pénalise, un homme marié ça le booste » – Axiel Yaël Birenbaum
En exemple, la jeune franco-ontarienne évoque ses rendez-vous avec le banquier au cours desquels celui-ci a tendance à se tourner davantage vers son partenaire masculin pour des réactions ou une décision.
« Ou quand je vais à un rendez-vous chez le vétérinaire, il m’est arrivé qu’il me regarde et il est soit comme « ok ton conjoint est où, il s’en vient? » » relate-t-elle.
La conciliation travail-enfant est aussi largement utilisée comme argument pour favoriser les hommes, selon Axiel Yaël Birenbaum. « Une femme mariée ça la pénalise, un homme marié ça le booste », dit-iel en citant des conclusions d’une étude du Centre de l’Association historique américaine.
Un accès plus limité aux ressources
Véronique Dupont constate que l’accès à des équipements ou des ressources est aussi plus compliqué lorsqu’on est une femme.
« Parfois, quand je parle à mon banquier ou à des assurances, il faut que je leur fasse croire que c’est mon conjoint qui m’a dit des choses pour que ça puisse mieux passer », confie-t-elle.
Audrey Anne Robinson, pompière franco-ontarienne dans la région d’Ottawa, dit que la tenue des pompiers telle qu’elle est actuellement est loin d’être adaptée à la morphologie des femmes et pose un risque pour le travail.
« C’est certain que ça, ça nous empêche de fonctionner et d’avoir une mobilité qui est à 100 % comme celle d’un homme à qui ça va parfaitement. »
À cela s’ajoute une forme de discrimination basée sur la physiologie, lorsqu’à compétences égales, c’est un homme à la corpulence plus large qui est choisi au lieu d’une femme.
Selon Axiel Yaël Birenbaum, le fait d’être une personne queer et perçue comme femme, peut représenter un obstacle à la progression professionnelle.
Être sollicitée dans plusieurs comités de recherche ne lui permettait pas de publier suffisamment d’articles scientifiques, constituant donc une perte de revenu considérable.
Quand être une femme a des avantages
Pour autant, ces métiers où les hommes sont dominants peuvent bénéficier de la touche d’une femme.
Véronique Dupont considère que son travail à la ferme complète adéquatement celui de son partenaire.
« Dans le domaine laitier, les vaches c’est toutes des femmes », plaisante-t-elle en ajoutant qu’elle a une approche différente de son mari en vêlant une vache par exemple.
« Mon mari tire le veau pour le faire sortir puis moi, en étant une femme, j’attends que la vache ait une contraction pour aller dans le même mouvement que le corps naturel. » Une vision différente qui va bénéficier à l’industrie sur le long terme selon elle.
Quant au milieu des pompiers, l’inclination de nombreuses femmes à l’empathie est un atout pour l’exercice quotidien du métier.
Une corpulence plus petite que les hommes permettant de se faufiler dans l’ouverture d’un grenier a fait toute la différence lors d’une intervention pour combattre le feu, nous cite-t-elle comme exemple.
« C’est arrivé plus d’une fois où j’ai dû intervenir auprès de femmes musulmanes et les toucher alors que les hommes ne pouvaient pas les traiter », conte Audrey Anne Robinson.
Des espoirs, malgré tout
Selon Axiel Yaël Birenbaum, la situation au Canada est à envier à d’autres pays même s’il faudrait, selon iel, continuer à parler du féminisme dans un contexte où la discrimination est de plus en plus cachée. Les trois intervenantes n’ont pas rapporté de discrimination salariale connue.
Véronique Dupont, aussi administratrice au sein de l’Union des cultivateurs franco-ontariens (UCFO), se dit très fière d’observer une parité homme-femme au niveau du conseil d’administration de l’organisme.
En sciences, les femmes compteraient pour près de 25 % des effectifs de l’Ontario selon Statistique Canada.
Seulement 7 % des pompiers de la Ville d’Ottawa sont des femmes avec moins de 4 % qui se rendent sur le terrain, selon les informations du Service des incendies de la capitale canadienne.
Malgré ces données, la pompière affirme qu’il y a de plus en plus de nouvelles recrues dans les rangs et que la sélection des candidats ne favorise pas les hommes, mais plutôt les « meilleurs candidats ».
31 % des fermes en Ontario sont opérées par des femmes selon des données de la Fédération ontarienne de l’agriculture, un nombre en croissance depuis les dernières années.