Croire en la Francophonie ces 150 prochaines années
[ANALYSE]
OTTAWA – From coast to coast, les cérémonies ont été à la hauteur de l’événement. La Confédération canadienne a fêté, samedi, ses 150 ans… dans les deux langues officielles. Les francophones qui étaient quasiment oubliés dans la Loi constitutionnelle unilingue de 1867 ont donc tenu bon, malgré les brimades et les persécutions.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
Pourront-ils faire de même les 150 prochaines années? Il y a ceux qui pensent que le français suit un inexorable déclin, vaincu par le rouleau compresseur de l’assimilation. Un fait encore plus vrai pour les Franco-Ontariens, Acadiens et autres Fransaskois. En 2036, les francophones seront entre 17 et 18 % au Canada, contre plus de 20 % actuellement, rappelait récemment une étude.
Et il y a les autres, les optimistes, ou les fiers francophones – ou un peu un mélange des deux – pour qui la Francophonie a encore de beaux jours devant elle. Que son essence même de peuple fondateur lui insuffle une capacité de résistance exceptionnelle.
Il y a du vrai dans chacune de ces théories. Ce qui est aussi vrai, c’est que les francophones en milieu minoritaire pourraient bénéficier d’une conjoncture plus favorable durant les 150 prochaines années.
L’immigration africaine comme atout
La première raison d’y croire se situe du côté de l’Afrique, où la Francophonie est représentée dans une trentaine de pays. On dit même qu’un quart de la population du globe sera africaine en 2050. Dans ces conditions, l’immigration africaine – et donc francophone – pourrait être une manne intéressante pour le Canada. Autre argument : une Afrique populeuse et plus développée économiquement redorerait un peu plus la valeur du français comme langue commerciale mondiale. Rien n’indique après tout que l’anglais restera de facto la langue des échanges au cours des deux prochains siècles.
L’autre élément favorable pour les francophones vient des déplacements incessants des populations. Les provinces canadiennes n’ont plus d’autres choix que d’ouvrir des écoles de langue française, et consentir à offrir des services en français. La validation d’une politique sur les services en français en Alberta il y a quelques jours en est l’exemple.
Des gestes attendus du fédéral
Bien sûr, cette nouvelle dynamique doit s’accompagner aussi de gestes forts de la part du gouvernement fédéral.
La bonification de la Feuille de route pour les langues officielles, une enveloppe financière importante pour les francophones hors Québec, se fait toujours attendre. De même la refonte de la Loi sur les langues officielles de 1969, dont les manquements au respect des articles se multiplient. Sans compter que le contenu de l’article 23 de la Charte des droits et libertés n’a pas été étendu aux universités et secteurs de la petite enfance. Enfin, le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada n’est toujours pas gravé dans une loi. Des exemples parmi d’autres.
S’en dégage l’impression que depuis l’épisode des crises constitutionnelles, les partis au pouvoir successifs à Ottawa tardent à donner le grand coup de barre attendu. Élu en 2015, le libéral Justin Trudeau a pour l’instant effectué quelques minces « corrections » des neuf ans de son prédécesseur Stephen Harper (rétablissement du Programme de contestation judiciaire, revalorisation du programme Entrée express en matière d’immigration francophone). Des réalisations intéressantes, mais encore très insuffisantes au regard de la place des francophones en tant que peuple fondateur… l’un des ciments pourtant de l’identité canadienne depuis 150 ans et plus.
Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 3 juillet.