Rencontres

Daniel Richer : vivre volontiers dans le passé

Daniel Richer, crieur officiel de la Région de la Capitale-Nationale Ottawa-Gatineau et crieur provincial de l’Ontario. Gracieuseté

Depuis plus de 40 ans, Daniel Richer prête sa voix aux cérémonies, aux rassemblements, aux hommages officiels. Figurant parmi les rares crieurs bilingues et francophones au pays, il porte haut une parole ancrée dans le respect des traditions autochtones, la mémoire canadienne et l’art de rassembler. Rencontre avec un homme qui vit volontairement… cent ans en arrière.

« En tant que crieur autochtone et conteur, comment votre culture influence-t-elle votre manière de prendre la parole en public?

Les crieurs existaient déjà dans les Premières Nations. En langue lakota, on les appelle Eyanpaha. Il faut comprendre que bien des éléments que l’on associe aux traditions européennes existaient aussi chez d’autres peuples et cultures. 

Partout dans le monde, quand on a voulu rassembler les gens, on a eu besoin de crieurs.

Chez les Grecs et les Romains, devenir crieur, c’était parfois une voie pour sortir de la pauvreté, de la plèbe. Si tu devenais la voix, les oreilles de l’empereur ou d’un maire, tu gagnais une reconnaissance. Mais il fallait savoir lire, écrire, avoir de l’éducation, se cultiver. Et ça, c’est un pouvoir, une richesse.

Comment transmettez-vous votre vision du respect et de l’harmonie dans votre travail?

Les crieurs sont souvent associés aux Britanniques, mais les Français les ont apportés en Angleterre. Même les crieurs britanniques ouvrent leur criée par « Oyez! », l’impératif du verbe « ouïr ». C’est très français, en fait. 

J’utilise parfois le bâton de parole plutôt que la cloche, le tambour ou la crécelle. J’ai dû prouver qu’il était aussi efficace pour attirer l’attention. Chez les Premières Nations, c’est une question de protocole, de respect, pas de volume.

Un maire américain m’a donné zéro lors d’une compétition parce que mon bâton ne faisait pas de bruit. Mais le lendemain, devant 5000 personnes, j’ai obtenu un silence complet avec ce même bâton. Et depuis ce temps, on a fini par faire évoluer les règlements nord-américains pour reconnaître que ‘attirer l’attention’ ne veut pas forcément dire ‘faire du bruit’.

Cela dit, je monte quand même à 111 décibels quand je crie. Ma cloche, elle, atteint les 115 ou 120.

Daniel Richer exerce ce métier depuis 44 ans. Gracieuseté

Quel message voulez-vous transmettre en portant votre voix? 

Il faut réapprendre à se parler. Trop souvent, on pense à ce qu’on va dire au lieu d’écouter. C’est vrai dans nos couples, nos familles, nos communautés. Et c’est la source de beaucoup de problèmes.

Moi, je ne suis pas parfait, mais je fais l’effort d’écouter, de parler. Aussi, je représente deux villes (Ottawa et Gatineau), deux provinces (Québec et Ontario). Je suis bilingue, je représente les francophones et les anglophones. On est un tout. Et aujourd’hui, on comprend mieux à quel point l’unité est essentielle.

Y a-t-il une part d’ombre dans votre métier?

Forcément. Entre autres, voyager en uniforme d’époque du XVIIIe siècle attire les regards, notamment en avion. Une fois, mon auto est tombée en panne en allant dans le nord de l’Ontario. J’ai fait du pouce en uniforme! Inoubliable, on ne pouvait pas me rater.

Certains trouvent qu’on attire trop l’attention. Mais j’ai découvert, au bout de plus de 40 ans de carrière, que la politesse extrême et la gentillesse désarment tout.

Pensez-vous qu’il y a une relève?

Chaque année, de nouveaux crieurs arrivent, même si ce ne sont pas toujours des jeunes : il faut avoir au moins 18 ans et avoir le droit de voter, pour devenir crieur. L’Ontario est le nucléus principal des crieurs en Amérique. Par exemple, à Gaadanokwii, près de Kingston, les championnats provinciaux des crieurs publics tenus récemment ont rassemblé 16 crieurs. J’étais le seul crieur francophone et bilingue. J’en suis fier. Je suis aussi le doyen des crieurs d’Amérique.

Je le dis souvent : quand vous êtes francophone ou autochtone, vous commencez à crier tellement jeune. J’ajouterai que les crieurs canadiens sont parmi les meilleurs au monde. 

Vous ne songez pas à la retraite?

Non. J’ai des contrats jusqu’en 2027. L’an prochain, ce sera le bicentenaire de Bytown, mes 70 ans et mes 45 ans comme crieur. Je suis aussi maître de cérémonie. Être bilingue m’ouvre encore plus de portes.

Je dis aux jeunes : ‘Ne vous limitez pas. Gardez votre esprit et votre cœur ouverts’. Comme les comédiens, les crieurs doivent sans cesse évoluer.

Comment avez-vous découvert votre vocation?

Ça va faire 44 ans au mois de juillet. Je suis comédien de métier. J’ai enseigné l’histoire. Et j’ai toujours eu un goût pour le protocole.

En 1981, la Commission de la capitale nationale cherchait un crieur pour promouvoir l’Astrolabe. C’était une idée de Rhéal Leroux, l’un des grands artisans du Festival Franco, du Bal de neige et du canal Rideau pour les patineurs.

Ils ont auditionné des centaines de personnes, sans succès. Quelqu’un du Centre national des arts (CNA), avec qui j’avais fait de l’opéra, a suggéré mon nom. Au bout de beaucoup d’hésitation de mon côté, et de l’insistance de mon entourage, j’ai fini par accepter. Et depuis, je n’ai jamais arrêté.

Comment pouvez-vous décrire votre rôle aujourd’hui? 

Je suis un tout-en-un : crieur public, maître de cérémonie, gardien de mémoire. Je capte l’attention, je maintiens le décorum, je donne un point de mire aux caméras. La commodité du crieur, bien sûr, c’est d’abord d’apporter la touche personnelle, humaine, dans un monde souvent impersonnel.

Je travaille toujours en uniforme d’époque. J’en ai une vingtaine, de la cour médiévale française à mes tenues autochtones. Et j’ai le titre de crieur le plus élégant au monde. Ma fiancée et moi avons même reçu le titre de couple le plus élégant. Alors, l’élégance nous maintient. C’est peut-être notre côté francophone : mieux vaut bien paraître que paraître bruyant.

Son instrument est sa voix de 110 décibels. Gracieuseté

Vous avez présenté des figures internationales. Y a-t-il un moment marquant qui vous reste en mémoire?

Il y a des moments intéressants. J’ai présenté Lech Wałęsa, lauréat du prix Nobel de la paix, quand il est venu à Ottawa pour la première pelletée de sable du Monument canadien pour les droits de la personne. Il m’a offert un emploi sur le champ. ‘Je pourrais me servir de toi quand je fais des discours pour avoir l’attention du public’, m’a-t-il dit.

J’ai présenté les Beach Boys aux États-Unis. J’ai fait des criées pour Supertramp. J’ai présenté tous les premiers ministres, depuis Pierre Elliott Trudeau jusqu’à Justin Trudeau. Un véritable honneur pour moi.

Pour revenir à votre bâton de parole, pouvez-vous nous raconter son histoire?

Mon premier bâton avait été fabriqué par un artiste d’Ottawa, mais il comportait surtout des symboles européens. Mon deuxième m’a été remis par un crieur de la Colombie-Britannique qui le tenait des Salish. Il me l’a offert à sa retraite, avec leur permission.

Malheureusement, il a été volé lors d’un tournage à Ottawa. 

Finalement, un artiste métis m’en a fabriqué un autre, basé sur les sept enseignements sacrés, leurs symboles totémiques. Il se termine par une pagaie, pour toujours avancer. Il comprend différents bois qui nous représentent. Il y a même un bois de chevreuil sur lequel j’accroche un drapeau représentant toutes les provinces et premières nations du Canada. Ce bâton m’a accompagné partout dans les provinces et territoires du Canada, ainsi que dans divers pays : Australie, Nouvelle-Zélande, France, Belgique, Allemagne, États-Unis.

Comment votre éducation vous a-t-elle préparé à cette vocation?

Étonnamment, depuis mon enfance, je souffre d’asthme et de bronchite chronique. J’ai dû apprendre à bien respirer. D’ailleurs, j’invite les gens à continuer à apprendre à respirer, particulièrement en prenant de l’âge. Aussi, j’étais très renfermé. Le théâtre m’a sauvé. J’ai appris la projection vocale, à me démarquer. J’ai étudié l’histoire, je faisais du théâtre lyrique, du théâtre au collège. Mon intérêt pour l’histoire est toujours là.

On me dit souvent que je suis né cent ans trop tard. Moi, j’ai trouvé le moyen de vivre ces cent ans en arrière, à ma manière. »


1956 : naissance à Gatineau

1981 :  entrée en fonction en tant que crieur public

1995 : en Australie, prix du crieur le plus élégant du monde

2010 : maître de cérémonie aux Jeux olympiques d’Hiver de Vancouver