Début du débat sur les juges bilingues à la Cour suprême
OTTAWA –Le projet de loi du député néo-démocrate, François Choquette, visant à rendre obligatoire le bilinguisme pour les juges à la Cour suprême du Canada devrait être débattu en deuxième lecture le mercredi 8 mars.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
Avant même que les premiers échanges n’aient lieu formellement à la Chambre des communes, le projet de loi, présenté à trois reprises devant le parlement par le passé, a déjà occupé une large partie des échanges des membres du comité permanent sur les langues officielles, mardi 7 mars.
De quoi donner un avant-goût des discussions et des craintes suscitées par le projet de loi du porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière de langues officielles, François Choquette.
Le comité, qui a entamé mardi 7 mars une étude consacrée à la mise en œuvre intégrale de la Loi sur les langues officielles dans le système de justice, recevait le professeur à la section de droit civil de l’Université d’Ottawa, Sébastien Grammond. Ce dernier a livré un plaidoyer en faveur du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada.
« Il m’est arrivé dans ma carrière d’avoir été mal traduit, ce qui rend très difficile pour un juge de comprendre mes arguments. La traduction simultanée ne permet pas de bien rendre compte d’une plaidoirie », at-il expliqué.
Le député conservateur Bernard Généreux s’est dit toutefois dubitatif quant à l’évaluation du bilinguisme d’un juge.
« Je suis tout à fait d’accord que les juges doivent être bilingues, mais je voudrais savoir ce que c’est, être bilingue? Si vous dites que même des interprètes professionnels peuvent se tromper… »
Pour le professeur Grammond, le bilinguisme demandé devrait être un « bilinguisme passif ».
« L’objectif c’est que le plaideur francophone soit confiant qu’il est compris dans sa langue, à l’orale et à l’écrit. »
Quant à l’argument qui voudrait qu’il soit difficile de trouver des candidats qualifiés, M. Grammond l’a balayé du revers de la main, expliquant qu’une étude réalisée par le passé dans les cours d’appel avait permis de conclure que le bassin d’avocats bilingues était bien suffisant, d’Est en ouest.
« Le bilinguisme et la compétence vont de pair » – Sébastien Grammond
Actuellement, on compte huit juges bilingues sur neuf à la Cour suprême du Canada. Seul le juge Michael Moldaver utilise les services de traduction simultanée.
M. Grammond a également voulu annihiler les craintes qu’une telle modification oblige de rouvrir la constitution.
« Tous les constitutionnalistes ne sont toutefois pas d’accord », a-t-il reconnu. « Le gouvernement devrait demander à la Cour suprême du Canada de clarifier ce point. »
Décision politique
Le gouvernement libéral soutient que son nouveau processus de nomination des juges à la Cour suprême du Canada est suffisant. Il s’est engagé à nommer des personnes bilingues au plus haut tribunal du pays.
« Le gouvernement a de la bonne volonté mais nous pensons que pour assurer la pérennité du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada, il serait souhaitable d’avoir une loi », rétorque la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Sylviane Lanthier, qui appuie depuis plusieurs années l’idée d’une loi.
Mais M. Choquette sait que la partie sera difficile.
« Des témoignages comme celui de M. Grammond contribuent à lever les craintes. Même du côté du Parti libéral, il y a des députés qui comprennent très bien que c’est une nécessité. Les obstacles rationnels tombent l’un après l’autre, et au final, si les élus votent contre ce projet de loi, ce sera simplement une décision politique! »
Le député libéral Darrell Samson souhaite que le projet de loi passe l’étape de la deuxième lecture pour être discuté devant le comité permanent des langues officielles.
« Le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada est essentiel. Les gens devraient pouvoir plaider dans la langue de leur choix et être compris. Mais je veux que le projet de loi passe devant le comité pour qu’on puisse recevoir les arguments des deux côtés afin de prendre les bonnes décisions. »
La critique conservatrice aux langues officielles, Sylvie Boucher, qui s’est opposé aux projets de loi de M. Godin à l’époque, se montre hésitante.
« Ce qui m’inquiète, c’est qu’on enlève la possibilité aux juges de faire appel à des traducteurs. Je vais m’asseoir avec M. Choquette pour en parler, car je veux bien comprendre le dossier pour prendre une décision qui soit gagnante pour les francophones hors Québec. »
Étude plus large
Si la question du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada a occupé la majeure partie des premières discussion, l’étude menée par le comité permanent des langues officielles devrait être plus large, s’intéressant à l’accès à la justice en français et en anglais.
« Ce sont des questions très importantes. On va recueillir le plus d’information pour formuler des recommandations qui vont permettre d’améliorer la situation », explique M. Samson.
M. Choquette rappelle qu’un rapport existe, cosigné en 2013 par le commissaire aux langues officielles du Canada et ses homologues provinciaux de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick, sur l’accès à la justice.
Le gouvernement a déjà annoncé vouloir suivre une des recommandations d’améliorer la partie linguistique du processus de nomination des juges aux cours supérieures, de juridiction fédérale.
Un processus d’auto-identification plus détaillé a été mis en place pour évaluer le niveau de bilinguisme des candidats. Le commissaire à la magistrature fédérale doit mettre au point une méthode d’évaluation du niveau de maîtrise de la langue seconde, « en cas de besoin », et recueillir et publier des données sur la maîtrise des langues officielles des candidats et des personnes nommées.
La commissaire aux langues officielles du Canada, Ghislaine Saikaley, se montre satisfaite.
« Cela répond à une recommandation du rapport et démontre une volonté d’admettre l’enjeu du manque de juges bilingues dans les cours supérieures. C’est un bon début! »
Le maintien de l’auto-identification, dénoncée dans le rapport de 2013, et l’évaluation du bilinguisme « en cas de besoin », demeurent toutefois deux inconnus.
« De ce que je comprends, le candidat va répondre à plusieurs questions linguistiques et quand il aura répondu qu’il a une capacité bilingue, il y aura alors une évaluation objective de ses capacités », explique Mme Saikaley.