Demandeurs d’asile haïtiens : l’inaction de l’Ontario dénoncée
TORONTO – La crise des demandeurs d’asile haïtiens touche-t-elle l’Ontario? Les données des deux paliers de gouvernements contredisent explicitement les observations de la communauté haïtienne, qui perd patience et exige des gestes concrets immédiatement. Tous se sont réunis, le mercredi 6 septembre, pour tenter de s’entendre sur la stratégie à adopter.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
Depuis plusieurs semaines, le silence et le manque d’engagement du gouvernement ontarien face à la crise des migrants haïtiens surprennent plusieurs intervenants de la communauté haïtienne. « Où est le gouvernement provincial? Personne ne bouge. Ça fait deux mois qu’on fait face à la situation. Regardent-ils les nouvelles? Il faut qu’un conseiller de ville les invite pour qu’ils viennent discuter avec nous. Ça n’a pas de sens », a confié Marlène Thélusma Rémy, leader haïtienne de Toronto.
Il aura fallu l’entrée en scène d’un conseiller municipal de Toronto, Jim Karygiannis, pour que les acteurs de la communauté haïtienne puissent se faire entendre auprès des autorités en immigration. Ce dernier a interpellé la ministre ontarienne de l’Immigration, Laura Albanese, et a invité des fonctionnaires provinciaux et fédéraux à venir rencontrer la communauté. #ONfr a eu un accès exclusif à la rencontre.
Une dizaine de leaders de la communauté haïtienne ont partagé leurs préoccupations et leur frustration face à l’absence de stratégie lors de la réunion.
« Juste pendant la fin de semaine, j’ai dû aider d’urgence une douzaine de personnes qui sont venus de Montréal jusqu’à Toronto. J’ai dû en héberger chez moi. On ne sait pas où les envoyer. Il n’y a pas d’endroits où les héberger » – Rony Désir, coordonnateur de la Maison d’Haïti de Toronto
« L’Ontario a un objectif de 5% d’immigrants francophones annuellement et n’atteint pas sa cible. Pourquoi est-ce que la province ne tend pas la main à ces Haïtiens qui sont bien souvent universitaires, médecins, professeurs…pourquoi n’allez-vous pas les chercher aux États-Unis! », a ajouté Amikley Fontaine de la Fondation Sylvénie-Lindor. Il propose qu’une voie rapide soit offerte aux Haïtiens, comme lors de précédentes crises, afin qu’ils puissent immigrer légalement au Canada.
Kateline Pierre de l’organisme Jéricho Développement Haïti a partagé des préoccupations similaires. « Les Haïtiens vont continuer d’arriver, ça c’est sûr. Ils vivent du stress, de l’anxiété, ils paniquent. Leur arrivée serait une opportunité pour l’Ontario. Est-il possible d’accélérer le processus d’accueil? Où sont les informations? Pourquoi il n’y a pas de publicités faites aux États-Unis pour les inviter à venir en Ontario légalement? », a-t-elle lancé.
Marlène Thélusma Rémy confirme l’état d’esprit des Haïtiens américains, face à la menace d’expulsion dont ils font l’objet de la part du gouvernement américain. « J’étais aux États-Unis, hier. La communauté haïtienne panique. Ils veulent venir au Canada. Quelqu’un m’a même demandé si j’étais venu en voiture pour que je la ramène ici. Ils ont pris leur décision. Ils vont venir », renchérit la leader franco-torontoise.
Le gouvernement ontarien favorise la voie traditionnelle
Des représentants des deux paliers de gouvernements ont partagé leur propre analyse de la situation sur le terrain en Ontario. Des observations qui sont en contradiction avec celles de la communauté haïtienne de Toronto.
En bref :
-Le centre d’urgence ouvert à Cornwall a fermé ses portes. La quasi-totalité des demandeurs d’asile originaire d’Haïti serait retournée au Québec, selon le gouvernement ontarien
-50 % des quelques 25 000 demandes d’asile au Canada sont faites en Ontario. Mais récemment, aucune hausse n’a été observée de la part des Haïtiens. Le chiffre demeure peu élevé, dit l’Ontario.
-La province invite les Haïtiens vivants aux États-Unis à faire une demande par l’entremise du Programme Entrée Express, volet Travailleurs qualifiés francophones.
-Toronto n’observe pas d’augmentation du nombre d’Haïtiens dans les refuges.
Les membres de la communauté haïtienne de Toronto dressent un portrait complètement différent de la situation. Oui, plusieurs arrivent à Montréal, mais ils poursuivent leur chemin vers l’Ontario, ont indiqué plusieurs intervenants communautaires. S’ils doivent avertir le gouvernement fédéral d’un changement d’adresse en attendant la suite des procédures, rien ne les empêche de se déplacer dans le pays, a admis une représentante gouvernementale.
La suite des choses
« Mais là, je dis quoi aux gens qui m’appellent? Où je les envoie? », a demandé Rony Désir, quelques minutes avant la fin de la rencontre.
« Les refuges pour famille sont pleins. Je vais être honnête. Pour les réfugiés, la liste est le double de ce qu’on peut accueillir. Mais on ne va pas les laisser dans la rue », a admis Chris Brillinger, directeur du département du développement social et des finances à la Ville de Toronto.
Les organismes haïtiens torontois exigent toujours la création d’un refuge d’urgence ou du moins un financement d’urgence pour faire face à la situation.
Les autorités municipales assurent cependant avoir assez de ressources pour agir. « Mais on a besoin de chiffres. Les chiffres que nous voyons de Chine, du Nigéria et d’autres pays sont tellement élevés et plus élevés que ceux d’Haïti. Ils serait difficile de justifier une action pour l’instant », a indiqué une représentante de la ville responsable des nouveaux arrivants.
Marlène Thélusma Rémy invite pour sa part les acteurs francophones à agir. « Il existe le réseau de soutien à l’immigration francophone créé par le gouvernement provincial. Il faut qu’on utilise les structures de services francophones. Où sont ces structures? », demande-t-elle.