Deux heures avant la fin de l’été ou ce malaise qui nous berce
Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.
[CHRONIQUE]
Dans son plus récent roman, Deux heures avant la fin de l’été, Sébastien Pierroz brosse le portrait d’une France profonde touchée par les changements climatiques, les bouleversements socio-économiques et les clivages politiques. C’est aussi un va-et-vient temporel entre la France des années 70 avec l’immigration maghrébine en pleine effervescence et la France d’aujourd’hui marquée par les conséquences de la désindustrialisation et les effets de la pandémie du COVID-19 sur nos vies.
À cheval entre le polar et l’analyse sociale, ce roman met en scène des personnages réels et vivants comme Damien, le Français militant écolo qui travaille au siège de Greenpeace à Londres, et Cristina, la journaliste franco-ontarienne originaire d’Embrun.
Avec Damien qui retourne chez lui à Mongy, petit village savoyard, et Cristina née d’une mère vénézuélienne qui quitte son village d’Embrun pour les besoins d’une enquête pour atterrir au même coin de pays, l’auteur est-il en train de raconter l’histoire d’une rencontre entre le village et la ville, entre l’urbain et le rural, le cosmopolite et le conservateur, le citoyen dit « de souche » et l’immigrante?
Des points de rencontre qui peuvent se métamorphoser en lignes de fractures. Ce roman serait-il un bilan des effets pervers de la mondialisation sur nos vies, notre nourriture, notre climat, nos relations humaines et même sur la façon dont nous votons et pensons politique?
Un drame qui rappelle une autre histoire
Le livre de Sébastien Pierroz m’a curieusement rappelé une histoire tragique que j’ai suivie dans les journaux pendant quelques années et qui est par la suite tombée dans l’oubli médiatique. Celle d’Omar Raddad. Ce jardinier d’origine marocaine accusé en 1991 d’avoir tué la propriétaire des lieux, Ghislaine Marchal dans sa villa du sud de la France.
Deux inscriptions en lettres de sang ont été retrouvées écrites sur la scène du crime l’une « OMAR M’A TUER » et l’autre « OMAR M’A T » ont conduit la justice à inculper Omar Raddad malgré son insistance sur son innocence.
Autant le crime que le procès ont soulevé les passions et créé la controverse aussi bien en France qu’au Maroc, pays d’origine d’Omar. Le célèbre avocat français, Jacques Vergès, connu pour avoir entre autres représenté des militants algériens appartenant au Front de Libération National, s’est porté à la défense d’Omar Raddad.
Il est allé même jusqu’à commenter sur le supposé racisme du verdict. Un geste qui lui coûtera d’être poursuivi par le parquet de Nice pour diffamation.
Omar Raddad n’a jamais été innocenté. Il sera condamné à dix-huit de réclusion mais il sera gracié par le président français en 1996 après une entente légale entre la France et le Maroc. Il continue jusqu’à nos jours à clamer et vouloir prouver son innocence.
Est-ce que le racisme a bel et bien joué un rôle dans la condamnation d’Omar Raddad? Plusieurs pensent que oui, mais peut-être qu’on ne le saura jamais.
Dans son roman, Sébastien Pierroz essaie subtilement de répondre à cette question mais à travers une autre histoire. Pas celle d’Omar Raddad mais en narrant une histoire fictive, celle du meurtre en 1976 d’une jeune fille, Claudia Campana, commis par un immigrant algérien, Arezki Hamani mais dont les circonstances restent obscures et nébuleuses.
Des accusations et des secrets bien protégés
Plusieurs parallèles intéressants à souligner : une petite ville de la France profonde, une population immigrante qui s’y installe, des tensions sociales qui naissent, un environnement politique en ébullition. Des ingrédients qui se ressemblent et des drames qui se tissent : des accusations et des secrets qui sont bien protégés, parfois même impénétrables.
En quelque sorte, Deux heures avant la fin de l’été fait partie de cette lignée de livres qui revisitent la vieille France qui se démantèle et la nouvelle qui se construit sous nos yeux. Comme par exemple, le livre écrit par Emmanuel Grand, auteur français du polar Les salauds devront payer qui raconte l’histoire d’une petite ville du nord de la France minée par le chômage et l’alcoolisme. La disparition des usines et la fin d’une époque qui a ses répercussions sur la fabrique sociale et le moral des habitants.
Mais Sébastien Pierroz amène une touche originale : celle d’un personnage canadien. Cristina, la journaliste franco-ontarienne apporte une touche de fraîcheur. Non seulement, elle a ce regard extérieur sur la France mais aussi ce regard critique, inquisiteur et provocateur.
C’est comme si l’auteur nous disait qu’en sortant de son cocon, et qu’en faisant la connaissance de nouvelles personnes et de nouvelles cultures, on peut mieux se comprendre et aider les autres à se découvrir également. Ces « autres » sont ceux qui ont vécu dans ces endroits et sont devenus en quelque sorte les gardiens damnés de ces portes secrètes qui renferment nos bêtises, nos vices et notre linge sale.
L’amour, la jalousie, le vice, le pardon…
En filigrane, Sébastien Pierroz nous raconte aussi l’histoire de l’émancipation des femmes du pouvoir des hommes : leurs pères, leurs maris, leurs amants. La misogynie et la violence sont partout. On tue les femmes qui n’obéissent pas. On tue les femmes qui parlent trop. On tue les femmes qui veulent vivre.
En tant que femme arabo-musulmane, on m’a souvent fait comprendre, dans certains livres dans les médias, que le sort des femmes musulmanes était unique, qu’elles étaient victimes de leur propre culture.
Mais aujourd’hui, surtout avec le mouvement « moi aussi » et la libération de la parole des femmes dans le monde, il est tout à fait équitable de conclure que la misogynie et la violence faites aux femmes sont un phénomène universel, non spécifique ou rattaché à une culture quelconque ni à une religion particulière.
« Un livre qui montre le pire chez les êtres humains mais avec une note optimiste composée par la génération de Damien et de Cristina »
Et que, même dans les pays dits « développés » tels que la France ou les États-Unis, les femmes sont harcelées, abusées et tuées parce qu’elles sont des femmes. L’auteur n’a pas froid aux yeux pour nous le montrer, le décrire et en quelque sorte le dénoncer dans son roman et j’en suis ravie.
Mais au-delà des réflexions profondes, Deux heures avant la fin de l’été reste avant tout un livre sur les relations humaines : l’amour, la jalousie, le vice, l’amitié, et le pardon. Un livre qui montre le pire chez les êtres humains mais avec une note optimiste composée par la génération de Damien et de Cristina.
Une génération éduquée, ouverte et surtout qui ne craint pas d’afficher ses faiblesses et ses vulnérabilités. Une génération, qui j’ose espérer, le temps d’un roman, nous mènera vers des jours meilleurs.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.