D’inquiétantes données encore confidentielles filtrent du rapport sur la pénurie d’enseignants
TORONTO – Deux mois après la remise de son rapport au ministre de l’Éducation, le groupe de travail sur la pénurie d’enseignants dans le système d’éducation en langue française en Ontario n’a plus eu aucune nouvelle du gouvernement. Un silence radio qui agace au plus haut point les protagonistes de ce dossier urgent. Selon des projections encore gardées confidentielles, il faudrait deux fois plus de certifications par an pour répondre aux besoins en ressources humaines.
« Le ministre de l’Éducation ne nous a pas encore confirmé quand le rapport serait rendu public », s’impatiente Isabelle Girard, la directrice générale de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO).
Son organisation a participé aux travaux du groupe qui a rendu ses conclusions le 23 février dernier. Les recommandations doivent apporter des solutions pour recruter et retenir plus d’enseignants de langue française, notamment à travers la formation, la revalorisation de la profession et la simplification du processus d’embauche pour les immigrants qualifiés.
« Nous n’avons pas plus d’information pour l’instant », se désole Mme Girard dans un échange de courriel avec ONFR+. « C’est inquiétant, surtout que le budget 2021 de l’Ontario ne comprenait pas de mesures pour pallier le manque d’enseignants. Il est urgent que des solutions soient mises en place ».
« Nous sommes à deux mois du dépôt du rapport et c’est encore le silence total », constate aussi de son côté Anne Vinet-Roy, présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO). Confrontée au silence du ministère de l’Éducation, elle a demandé des explications à la ministre des Affaires francophones, le 9 avril dernier, sans plus de succès.
« Nous n’avons reçu qu’une réponse automatique accusant réception de notre communication ». Maigre consolation dans un dossier pressant. « Il est grand temps d’agir », s’alarme-t-elle.
940 enseignants recherchés, 450 certifiés
Dans le même temps, ONFR+ a pu se procurer une donnée préoccupante, encore confidentielle, contenue dans ce rapport. Selon le modèle de projection développé par le groupe de travail, les besoins en main-d’œuvre pour le personnel enseignant dans le système d’éducation de langue française sont d’environ 940 personnes par an alors qu’en moyenne, 450 nouveaux enseignants sont certifiés chaque année, à l’heure actuelle.
Cette pénurie atteint des proportions telles que des conseils scolaires rappellent régulièrement des enseignants retraités et embauchent temporairement des membres de famille des élèves, alors même que ces personnes ne disposent pas des qualifications requises, tandis que des enseignants étrangers expérimentés se heurtent à des barrières à l’immigration ou d’équivalence de diplôme.
Questionné par ONFR+, le ministère de l’Éducation affirme travailler d’arrache-pied sur cet enjeu. « Le rapport fait toujours l’objet de discussions et de planification actives », expose sa porte-parole Caitlin Clark. « Nous avons l’intention de rendre le rapport public dans un proche avenir ».
La garde rapprochée du ministre pointe une lacune antérieure à l’arrivée des progressistes-conservateurs au pouvoir, entendant trouver le moyen de réparer le système. « Cette pénurie d’enseignants de français en Ontario est bien connue depuis plus d’une décennie. Nous nous engageons à résoudre ce problème et à faire partie de la solution », souligne Mme Clark.
Aucun résultat tangible sur les mesures déjà en place
Conscient de l’urgence, le gouvernement avait lancé dès septembre dernier trois mesures visant à colmater la brèche : la création d’un nouveau programme en enseignement à l’Université Laurentienne, une modification des règlements permettant d’engager plus de professeurs francophones et l’élaboration de projets comme des salons de l’emploi et un portail de recrutement pour les conseils scolaires francophones.
Sept mois plus tard, le ministère se refuse à avancer le moindre chiffre sur l’efficacité du portail de recrutement enseignerenfrancais.ca. « L’impact de la campagne de promotion d’embauche ne peut être mesuré pour le moment car il est trop tôt dans le processus », soutient la porte-parole de Stephen Lecce.
Quant au nouveau programme hybride en enseignement, le ministère des Collèges et Universités affirme qu’« il n’est pas supprimé », selon les mots de son porte-parole Scott Clark, malgré la tempête financière que traverse l’Université Laurentienne.
La direction de l’Université laurentienne n’avait pas retourné notre demande médiatique sur l’avenir des étudiants faisant partie de la première cohorte 2020-2021, au moment d’écrire ces lignes. Aboli lors des coupes d’avril, un autre programme de formation d’enseignants, Éducation intermédiaire/supérieur, a connu une fin brutale, ce qui ne serait pas le cas du programme hybride.
En coulisse, les conseils scolaires ont régulièrement porté cet enjeu à l’attention du ministre Lecce depuis la dernière année. Au cours d’une de ces réunions à laquelle ONFR+ a pu assister, les dirigeants des conseils scolaires Viamonde et MonAvenir ainsi que de l’Université de l’Ontario français (UOF) avaient fait valoir plusieurs solutions, dès le 25 septembre dernier, notamment celles d’élargir les possibilités de formation mais aussi bâtir beaucoup plus d’écoles de langue française pour accueillir un plus grand nombre d’élèves au secondaire, une étape de la scolarité où naissent les vocations pour l’enseignement.
Avisé de l’urgence de la situation, le ministre Lecce s’était alors engagé à se saisir du problème et trouver des solutions au plus vite.