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Économie : « la conjoncture actuelle continue d’imposer beaucoup d’incertitude » selon l’économiste Jimmy Jean

À l’occasion de son passage à Toronto, Jimmy Jean, qui est vice-président et économiste en chef chez Desjardins, nous livre ses prévisions sur l’économie ontarienne sous un gouvernement de Mark Carney.

Avec un nouveau mandat obtenu par le Parti libéral du Canada, la victoire de Mark Carney devient automatiquement confrontée aux nombreux défis économiques imposés par la guerre commerciale avec les États-Unis. La menace pesant sur le secteur automobile ontarien et l’inflation qui poursuit un ralentissement encore timide continuent de faire planer l’incertitude.

Au cours de la campagne électorale, le plan libéral comportait plus de 100 propositions, représentant un total de 130 milliards de dollars sur quatre ans. Le gouvernement doit maintenant établir des priorités afin d’agir de manière stratégique.

« C’est Mark Carney qui est sorti gagnant du vote de lundi. Qu’est-ce que cela signifie pour l’économie ontarienne?

D’abord, son élection apporte un peu plus de prévisibilité. Avec tout ce qui se passe du côté de Washington, c’est rassurant de savoir que nous serons capables de passer des lois, et donc un budget. Cela va avoir beaucoup d’implications en Ontario.

De plus, Carney a promis un appui au secteur automobile, qui est prédominant dans la province et véritablement mis en danger par les tarifs de Donald Trump. Par ailleurs, on va pouvoir aller de l’avant avec notre stratégie de protection et de mitigation des dommages. Je pense que ça va être une bonne nouvelle pour l’économie ontarienne.

Dans un contexte de guerre commerciale, les contre tarifs resteront-ils de bonnes armes économiques à la portée du Canada?

C’est clair que la stratégie dollar pour dollar, c’est les ambitions du Canada. On avait déclaré, début mars, qu’il y avait 30 milliards de dollars qui avaient été décrétés. Ensuite, on avait répliqué pour la question de l’acide, de l’aluminium. Mais après ça, on avait signalé qu’il allait y avoir 155 milliards de dollars supplémentaires. Donc, jusqu’à présent, on s’est un peu retenu dans l’escalade dans laquelle les États-Unis et la Chine se sont engagés.

C’est vrai que nous ne sommes pas une petite économie très dépendante du marché américain, mais le Canada n’a pas les leviers pour mener de manière durable une telle réplique dollar pour dollar. Ça viendrait tout simplement faire plus de dommages économiques que ça en vaudrait la peine.

Beaucoup d’entreprises franco-ontariennes retenaient leur souffle dans l’attente du vote de lundi. Comment peuvent-elles interpréter ce résultat?

Le temps nous dira si c’est le bon vote pour les entrepreneurs. C’est certain qu’il y a une volonté du gouvernement de relancer la croissance et la productivité. Mais pour les petites et moyennes entreprises (PME), les entrepreneurs et les crédits d’encouragement à l’entrepreneuriat, c’est sûr que tout cela va rester. Toutefois, il y a quand même le poids de la conjoncture actuelle qui continue d’imposer beaucoup d’incertitude.

Les PME qui exportent et qui ont des débouchés sur des marchés non américains comme l’Europe ou l’Asie vont avoir des opportunités intéressantes, avec les alliances et partenariats avec l’Europe que promet Carney. C’est un premier ministre qui a une très forte crédibilité à l’externe. Outre-mer, il est très connu et il inspire confiance. Ça pourrait créer des débouchés assez importants pour des PME. Les opportunités vont être là, il va juste falloir les saisir lorsque la poussière va retomber.

L’économiste en chef à Desjardins Jimmy Jean (au centre) et l’économiste en chef de CPA Canada David-Alexandre Brassard (à droite) étaient de passage pour une discussion animée par Marjorie April, au Club canadien de Toronto. Photo : Laetitia Dogbe

Une crise économique se profile-t-elle devant nous?

C’est une situation de crise du commerce international, qui est créée par le fruit d’un seul homme. Parce que même dans l’entourage de Donald Trump, l’approbation face à la politique tarifaire est très basse. Ces tarifs causent de l’inflation et des turbulences sur les chaînes d’approvisionnement, qui peuvent causer des arrêts de production et des pertes d’emplois. Même au niveau des marchés financiers, leur très forte réaction est justement ce qui a finalement amené Trump à mettre un peu d’eau dans son vin. Si on parle d’un environnement où des tarifs de 145 % envers la Chine sont maintenus, c’est certain qu’on parle de crise.

Je pense qu’au-delà de tout ça, c’est l’incertitude et l’imprévisibilité qui, aujourd’hui, met les entreprises en mode pause. On ne peut pas investir, on ne peut pas embaucher. Les gens s’attendent à ce qu’il y ait des difficultés et, souvent, quand les gens ont cette anticipation, ça devient une prophétie autoréalisatrice. Ils se mettent à faire attention, à dépenser moins, à économiser plus et ça crée un effet boule de neige qui cause justement une entrée en récession.

Durant la campagne, la plateforme libérale arborait une cible d’immigration francophone de 12 % d’ici 2029. Est-ce un projet économiquement viable?

Je pense que c’est une bonne idée, parce que le Canada est une population qui vieillit. En plus, s’il n’y a pas d’efforts pour attirer des immigrants francophones ailleurs, on risque de se retrouver avec très peu de Français qui se parle hors du Québec.

Toutefois, ça reste que ce projet fait partie d’un ensemble de cibles qui sont revues nettement en baisse pour les deux prochaines parce qu’il y a eu des excès avec des niveaux qui n’étaient pas soutenables. Néanmoins, ce ne sera qu’une pause parce qu’éventuellement, la population va vieillir et ça va être une source de pression écrasante sur les finances publiques, particulièrement des finances publiques des provinces en raison des coûts des soins de santé.

Il y a aussi les pénuries de main-d’œuvre, particulièrement dans les régions de l’Ontario. Il manque cette diffusion de programmes d’immigration dans les secteurs plus éloignés, où il y a des pénuries importantes et où les industries ont de la difficulté à recruter. Si on n’a pas de travailleurs, on n’a pas de relève, on ne sera pas capable d’opérer. Il va falloir qu’il y ait une reprise responsable et très ciblée de l’immigration pour venir pallier ces enjeux. »