Éducation en français : Patrimoine canadien blâmé par un tribunal pour l’absence de consultation
La Cour fédérale a statué que Patrimoine canadien a failli à ses obligations linguistiques en omettant de consulter de façon appropriée le Conseil scolaire francophone de Terre-Neuve-et-Labrador (CSFP) dans le cadre d’une entente en éducation avec le gouvernement provincial. Le tribunal rejette toutefois les deux millions de dollars que réclamait le conseil scolaire en dommages.
La décision rendue mardi par le juge de la Cour fédérale Guy Régimbald accueille en partie la demande du CSFP, rejetant la réclamation monétaire, l’accusation d’un manque de reddition de comptes, mais épingle le ministère fédéral pour avoir violé la Loi sur les langues officielles sur la démarche de consultation.
Le CSFP accusait Ottawa de ne pas l’avoir consulté avant de signer une entente sur l’éducation en français avec le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador pour la période de 2013 à 2018, où le fédéral comptait investir 1,3 million de dollars avec une contribution provinciale équivalente ou supérieure.
Le seul conseil francophone dans la province s’appuyait dans sa requête sur une enquête du commissaire aux langues officielles qui lui avait donné raison concernant le manque de consultation.
La décision rendue mardi établit que le conseil n’a pas été « consulté directement dans l’élaboration et l’adoption de l’Entente 2013-2018 » et que « si une telle consultation avait eu lieu, le CSFP aurait proposé des initiatives permettant de répondre à certains besoins de la communauté linguistique minoritaire », est-il écrit dans le verdict.
« Le ministre n’a pas dûment tenu compte du fait que le CSF, qui agit à titre de représentant des parents ayant-droits, est le mieux placé pour identifier les besoins locaux », soutient le jugement.
« Dans le cadre de toute Entente ultérieure où des initiatives seront évaluées et négociées entre PC (Patrimoine canadien) et le GTN-L (gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador), le CSF doit être invité et consulté, avec un préavis suffisant pour se préparer et consulter les parents ayants droit, afin que ses besoins soient exprimés et considérés », est-il ordonné par le juge Guy Régimbald qui a écrit cette décision.
Devant la Cour, Patrimoine canadien soutenait qu’une telle demande le « rendrait incapable de mettre en œuvre sa mission » puisqu’il gère des centaines de programmes, un argument rejeté par le tribunal. Le juge considère que le fait de consulter des conseils scolaires francophones « représente une circonstance précise et circonscrite qui n’est pas reproduite dans d’autres contextes », ajoutant que le ministère a déjà effectué ce genre d’exercice auparavant auprès d’autres instances scolaires.
Fait à noter, cette décision a été rendue en vertu de l’anciene version de la Loi sur les langues officielles, avant qu’elle ne soit modernisée en 2023. Ce devoir de consultation a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs modifications dans la refonte de la LLO. Dans un communiqué, le président du CSFP, Michael Clair, a déclaré être « heureux de cette conclusion de la Cour fédérale ».
« La Cour fédérale est sans équivoque : il faut que ces consultations soient effectives et surtout que l’expertise du CSFP en matière d’éducation dans la langue de la minorité pèse lourdement dans le cadre de l’élaboration des priorités financées par le PLOÉ », mentionne-t-il.
Réclamation de 2M $ rejetée
Si la section sur les consultations est accueillie favorablement, les autres arguments, comme celui financier, avancés par le conseil scolaire de la province atlantique, sont rejetés par le tribunal. Le CSFP demandait à ce que la Cour statue que l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit le droit à l’instruction dans la langue de la minorité, s’applique au gouvernement fédéral, ce que n’a pas voulu statuer le juge Régimbald, « puisque le litige peut être tranché sur la base de la LLO », soutient-il.
Le CSFP réclamait une somme de 251 000 $ de fonds fédéraux par année sur sept ans en réparation. Il prétend qu’il aurait dû recevoir ce financement, mais qu’il n’est pas « traçable » en plus d’une somme de 267 000 $ pour un total de près de deux millions de dollars.
L’instance provinciale soutenait aussi que le processus de reddition de compte d’Ottawa, auprès de la province dans ce cas-ci, n’était pas suffisant pour « s’assurer que les fonds sont effectivement investis dans les initiatives proposées ».
Le juge Régimbald tranche que « les mesures de reddition de compte étaient adéquates », mais écorche les deux paliers de gouvernement, qui « ont fait preuve d’un certain manque de transparence en omettant de les communiquer sur demande » au conseil scolaire francophone.
Le juge a écarté l’argument du CSFP selon lequel le financement d’Ottawa était insuffisant pour respecter l’article 23 de la Charte. Cet argument soutenait que le financement correspondait uniquement au minimum requis et ne faisait que « favoriser la préservation du statu quo » au lieu de l’épanouissement de la communauté, contredisant ainsi les obligations linguistiques.
« La Cour n’est pas en mesure d’établir, en l’espèce, que ce ‘seuil’, ou l’égalité réelle, n’est pas rencontré pour les élèves de la minorité, ni de conclure que tous les fonds PLOÉ (Protocole sur les langues officielles en éducation) sont nécessairement consacrés à permettre au GTN-L de se rapprocher, mais non d’atteindre, l’égalité réelle », a déterminé le juge Régimbald.
Le communiqué du conseil scolaire mentionne aussi la possibilité que l’appel puisse être interjeté autant par Patrimoine canadien que le CSFP devant la Cour d’appel fédérale. Au moment de publier ce texte, Patrimoine canadien n’avait pas répondu à notre demande de commentaires.