Emploi : infirmière praticienne francophone recherchée
SCARBOROUGH – Un centre communautaire de santé de Toronto tente désespérément de trouver depuis 9 mois une infirmière praticienne francophone ou bilingue. Malgré un salaire alléchant, cette catégorie de spécialistes en mesure de servir les Franco-Ontariens en première ligne se fait rare dans la province.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
« On a reçu le financement pour une infirmière praticienne au mois de janvier. Jusqu’à maintenant, nous avons été incapables d’en trouver une capable de parler le français suffisamment. Même avec une prime au bilinguisme, on ne trouve pas! », confie avec découragement Liben Gebremikael, directeur du centre de santé. Lui-même bilingue, il souligne que son organisation a pour mandat d’offrir des soins de santé aux membres de la communauté noire du Grand Toronto. Plusieurs d’entres-eux s’expriment en français, rappelle-t-il, et il est donc essentiel pour son centre de pouvoir aussi leur offrir des services dans leur langue.
« On a fait des demandes dans les universités, on a proposé à certains de faire des stages chez nous, mais nous ne trouvons pas! », dit-il. Le poste d’infirmière praticienne offert est pourtant permanent et avec une rémunération avoisinant les 100 000$, fait savoir M. Gebremikael.
Son centre, relativement nouveau, n’a pas la réputation des grands établissements, admet-il. Il souligne aussi que le financement gouvernemental est parfois imprévisible. « Il nous faut un financement plus complet à long terme pour fidéliser la clientèle et permettre de donner une stabilité aux personnes recrutées. »
En attendant de dénicher sa perle rare, il a dû faire appel à temps partiel à un médecin bilingue qui vient au centre de santé communautaire quelques jours par semaine.
Taibu a pourtant besoin de son infirmière praticienne, insiste M. Gebremikael. « Il n’y a pas de service de soins primaires en français à Scarborough. L’infirmière praticienne est une professionnelle qui pourra donner tous les jours des soins primaires, mais aussi donner des conseils et faire de l’éducation. Les francophones ici sont souvent marginalisés, ils ont beaucoup de problèmes sociaux, d’emplois, linguistiques et beaucoup de stress. Il y a aussi de la discrimination et du racisme. »
La nouvelle infirmière travaillera avec Darling Émile, chargée de faire la promotion de saines habitudes de vie et de développer différents programmes de santé pour la communauté. « Il y a de belles opportunités en français actuellement pour les professionnels de la santé. Peut-être que ça va encourager plus de personnes à étudier dans ce domaine en français. Quand il y a peu d’opportunités, les francophones choisissent souvent l’anglais, en se disant qu’ils travailleront de toute façon dans cette langue », souligne cette intervenante de la santé.
Mme Émile affirme que les francophones ont aussi un rôle à jouer pour permettre la bonification des services en français dans la province. « Il faut que les francophones les utilisent! », lance-t-elle. Un travail de promotion est en cours auprès de différents acteurs sociaux, religieux et communautaires pour faire savoir aux francophones de Scarborough l’existence d’une nouvelle ressource dans leur langue.
Un problème à plus grande échelle
Taibu est sur le territoire de l’Entité 4, l’organisme qui veille à conseiller le gouvernement en matière de services en français pour une large région couvrant une partie de Toronto, mais aussi Simcoe, Durham et Muskoka, notamment.
Sa directrice affirme qu’il manque d’infirmières praticiennes francophones dans la province. « Au niveau du recrutement, ce ne sont pas des postes faciles. Quand on en cherche qui parlent français en Ontario, c’est encore plus compliqué. Beaucoup de centres de santé communautaire francophone ont eu les mêmes problèmes », affirme Estelle Duchon.
Selon elle, le gouvernement doit agir rapidement pour trouver des solutions. « Il y aurait un intérêt pour que le ministère de la Santé travaille sur la question des ressources humaines de santé en français. On doit pouvoir mieux les identifier et avoir des bases de données plus précises et accessibles », dit-elle.
Mme Duchon souligne que certains organismes de santé décident de prendre sous leur aile un professionnel de la santé en devenir. « Les centres de santé peuvent peut-être essayer d’accompagner davantage des infirmières dans leur formation, par exemple, en leur payant leurs cours en échange qu’elles travaillent ensuite pour eux », souligne-t-elle.
Un rapport du Regroupement des intervenantes et intervenants francophones en santé et en services sociaux de l’Ontario, soumis à l’entité Reflet Salvéo et obtenu par #ONfr, semble confirmer la problématique. « Cette recherche démontre qu’il y a présentement un nombre très limité d’infirmières praticiennes en soins de santé primaires auxquels les clients francophones peuvent accéder directement », concluait le rapport publié à la fin de 2015.
Où sont-elles?
L’Association des infirmières praticiennes de l’Ontario apporte un éclairage différent sur la question. Selon ses données, entre 10 et 15 infirmières praticiennes francophones obtiennent chaque année leur diplôme dans la province. Alors où sont-elles et pourquoi ne postulent-elles pas là où des emplois sont offerts? L’association offre une piste de réponse.
« Il faut aussi considérer un autre facteur clé qui peut probablement expliquer cette situation : 20% des postes de santé primaire en milieu communautaire ne sont pas comblés. Les conditions salariales sont à pointer du doigt. Les infirmières praticiennes dans le communautaire n’ont pas eu d’augmentation salariale au cours des dix dernières années », affirme Hoda Mankal, porte-parole de l’organisation.
Mme Mankal affirme que de nombreuses infirmières praticiennes décident donc de postuler à des postes mieux payés dans le domaine privé ou dans les soins tertiaires (chirurgie, soins palliatifs…). Il y a donc moins de candidats disponibles pour offrir des soins de première ligne, dit-elle.
D’autres décident de retourner en arrière, même s’ils sont surqualifiés. « Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que certaines infirmières retournent à leurs anciennes fonctions, car bien souvent elles ont un salaire similaire, mais moins de responsabilités », affirme Mme Mankal.
Elle invite néanmoins le Centre de santé Taibu à user de nouvelles stratégies de communication pour rejoindre les candidats potentiels. Il faut être plus créatif que jamais dans ce contexte compétitif, dit-on.
Il y a en Ontario 3 000 infirmières praticiennes. Deux programmes leur permettent de suivre leur formation en français, l’un à l’Université d’Ottawa et l’autre à l’Université Laurentienne.