« En Amérique, le français sera toujours vulnérable », dit le ministre Roberge

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Le ministre Jean-François Roberge. Crédit image: Sandra Padovani

TORONTO – En déplacement dans la Ville Reine pour marquer les 50 ans du Bureau du Québec à Toronto jeudi dernier, le ministre québécois de la Langue française, responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Jean-François Roberge, est revenu, au micro d’ONFR+, sur les liens qui unissent sa province à celle de l’Ontario, ainsi que sur les différentes politiques et actions du Québec en matière de francophonie.

« Croyez-vous que l’aboutissement du projet de loi C-13 modernisant la Loi sur les langues officielles aura-t-elle une influence positive sur les francophones hors Québec et évitera des recours en justice comme en a vu par le passé quand il s’agit de droit des minorités?

C-13 tel que modifié, avec tout le travail qu’on a fait au gouvernement du Québec, c’est un gain pour toute la francophonie canadienne. C’est un exemple de résultat d’un travail de longue haleine pour obtenir à la fin une victoire des deux côtés. On a réussi quelque chose de gagnant-gagnant. C’est bon pour les francophones du Québec qui sont majoritaires dans leur province mais minoritaires en Amérique et c’est aussi bon pour les francophones hors Québec qui sont minoritaires dans leur province. Leurs droits seront mieux protégés grâce au travail que le Québec a fait pour eux.

Comment comptez-vous contrer le déclin du français avec le Groupe d’action pour l’avenir de la langue française (GAALF) que vous présidez au côté de cinq autres ministres?

On a fait beaucoup de séances de tempête d’idées et lancé une grande consultation à laquelle presque 5 000 Québécois ont répondu en ligne, en plus d’une cinquantaine d’experts autour de tables rondes. On va finalement arriver à l’automne avec un plan d’action interministériel qui va nous permettre d’inverser le déclin du français au Québec.

Dans quelle mesure ce plan d’action pourrait-il avoir des répercussions au-delà du Québec?

Un Québec francophone fort, c’est bon pour la francophonie canadienne et une francophonie canadienne forte c’est bon aussi pour le Québec. En renforçant le fait français au Québec, ça va être bon pour toutes les communautés francophones. Mais il y a aussi le fait que, une fois le plan déposé et mis en œuvre, ça va peut-être aussi inspirer d’autres provinces et territoires à prendre des décisions proactives.

Quels sont les pouvoirs du premier commissaire québécois à la langue française entré en fonction cette année, à la suite de l’adoption de la Loi 96 visant à consolider le statut du français comme langue commune et officielle de la province?

Le rôle de Benoit Dubreuil est d’analyser la situation linguistique du Québec, de colliger des informations avec une très grande neutralité, de sorte qu’elles soient inconstatables. Il va aussi avoir le rôle de porter un jugement sur les politiques du gouvernement du Québec. Il est totalement indépendant et va produire des rapports qui pourraient, à certaines occasions, encenser le travail du gouvernement ou, à l’inverse, dénoncer certaines mesures s’il considère qu’elles ne vont pas assez loin.

Jean-François Roberge a salué les 50 ans du Bureau du Québec à Toronto, la semaine dernière. Crédit image : Rudy Chabannes

L’atteinte de la cible de 4 % en immigration francophone que s’était fixée le gouvernement fédéral est-elle une victoire en trompe-l’œil?

Le gouvernement fédéral s’est félicité d’une atteinte infinitésimale de 4 %… Écoutez, je suis prêt à aller aux Jeux olympiques si le saut à la perche est à 1 mètre. Il n’y a pas de mérite à dépasser un seuil minimum. C’est clair qu’il faut l’augmenter. J’aime l’expression de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) qui parle de « seuil de réparation » pour rattraper les années passées. Je ne peux pas vous donner un chiffre mais les attentes sont élevées.

Au-delà de cette cible francophone, les seuils en immigration du Canada constituent-ils toujours une pierre d’achoppement entre Québec et Ottawa?

On a des collaborations importantes avec le fédéral en ce moment. On est très content d’avoir fait entendre la voix du Québec sur la fermeture du chemin Roxham. C’est un gain pour le Québec et le Canada qui avait perdu le contrôle de ses frontières. Sur les seuils d’immigration à la grandeur du Canada, l’Initiative du siècle (consistant à accroître les seuils annuels d’immigration afin d’accueillir 500 000 nouveaux résidents permanents en 2025) n’est pas quelque chose de pertinent. J’ai appelé ça la lubie du siècle. C’est une fuite en avant alors qu’on manque de place – et pas juste au Québec –  pour loger des gens et mettre leurs enfants dans les garderies, les écoles… On va demeurer ouvert et faire notre part pour l’accueil d’immigrants économiques et de demandeurs d’asile, mais il faut respecter la capacité d’accueil du Québec et celle du Canada.

La Politique en matière de francophonie canadienne dévoilée par votre gouvernement en 2022 porte-t-elle déjà ses fruits?

Ce que je peux vous dire, c’est que cette nouvelle posture de partenariat du Québec est appréciée des différents groupes que j’ai pu consulter, de même que le fait qu’on ne leur dicte pas des projets mais qu’on accepte et donne un coup de main financier pour qu’ils les mettent en œuvre. J’ai validé cette démarche à Calgary et je la revalide ici à Toronto.

L’Accord de coopération et d’échanges en matière de francophonie entre l’Ontario et le Québec (qui soutiennent des projets communs à hauteur de 500 000 $) est-il assez ambitieux?

C’est quand même innovant d’avoir une province qui investit dans les communautés de la province voisine. Je ne connais pas d’autres provinces qui font la même chose au Canada. C’est un signal qu’on envoie, un appui qui n’est critiqué de personne sur le terrain.

Les relations entre les deux provinces sont tout de même bien plus économiques que linguistiques ou culturelles. Va-t-on assez loin dans ce type d’échange?

On a fait un pas en avant avec le Bureau du Québec à Toronto (BQT). Sous le leadership de Catherine Tadros (cheffe de poste), on a augmenté les ressources dédiées à la culture et à la langue. Il faut souligner aussi que le BQT supervise les antennes de Calgary et Vancouver qu’on soutient aussi. J’ai mené une mission culturelle à Calgary et, du côté du Bureau d’Ottawa, on est davantage axé sur l’économie. On arrive donc à couvrir tous ces aspects : culture, économie, politique et francophonie.

Les seuils en immigration demeurent l’objet de sérieuses discussions avec le gouvernement fédéral, affirme le ministre. Crédit image : Sandra Padovani

L’instauration de la Journée québécoise de la francophonie canadienne, chaque 22 mars, répond-elle à cette même stratégie de rapprochement des francophonies?

Ça envoie un signal à tous les francophones du Canada que le Québec se soucie d’eux et qu’il veut établir un partenariat solide. C’est aussi un message au Québécois pour leur dire : « Vous n’êtes pas les seuls francophones au Canada. Prenez conscience de la diversité des communautés francophones à travers le Canada. »

Comment réagissez-vous aux attaques du français dans certaines provinces comme on l’a vu au Nouveau-Brunswick avec la tentative du gouvernement Higgs de balayer les programmes d’immersion?

En Amérique, le français sera toujours vulnérable. On fera des avancées, mais ce sera toujours à refaire. Au Québec, on a une posture qui se soucie de la langue française. On fait des pas en avant mais, dans d’autres provinces, il y a des cycles différents. L’important est qu’il demeure une solidarité entre les communautés francophones et que, globalement, sur de longues périodes, on avance.

Avoir deux ministres qui s’occupent de francophonie est une singularité canadienne qui suscite la curiosité en Ontario. Est-ce aussi simple de naviguer dans les dossiers francophones avec deux ministères?

On distingue les relations canadiennes et internationales. On n’a pas les mêmes interlocuteurs. En juillet, je serai à Vancouver pour participer à la prochaine rencontre du Conseil des ministres sur la francophonie canadienne. Ma collègue (Martine Biron, ministre des Relations internationales et de la Francophonie) se rendra à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Notre action est complémentaire. D’ailleurs, on est tous les deux sur le Groupe d’action pour l’avenir de la langue française. »

Est-ce que, entre l’Ontario et le Québec, les tensions ou fossés culturels comme celui de la laïcité et de la Loi 96, sont de nature à freiner le resserrement des relations entre les deux provinces?

Je ne pense pas. Il y a des curiosités et le fait d’avoir un bureau du Québec à Toronto et un autre à Ottawa, ça nous permet d’expliquer. Quand on parle, on se comprend.