Enfants de non-ayants droit : le combat francophone pour les recruter
OTTAWA – Élargir la définition des ayants droit. L’idée revient avec récurrence pour les francophones en situation minoritaire. Surtout depuis que les dossiers du genre s’accumulent devant les neuf juges de la Cour suprême du Canada.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz
Dernier en date : la Commission scolaire francophone du Yukon (CSFY) qui en appelait récemment au plus haut tribunal du pays pour demander le droit de recruter elle-même des enfants d’ayants droit. Un privilège auquel le gouvernement du territoire s’oppose toujours.
Dans des dossiers similaires, les gouvernements de Colombie-Britannique et des Territoires du Nord-Ouest étaient aussi poursuivis devant la Cour suprême du Canada par les conseils scolaires francophones de leurs propres provinces.
Point d’achoppement? Le recrutement par ces mêmes institutions éducatives des « non-ayants droit ». Comprendre les parents désireux d’envoyer leurs enfants dans une école francophone, mais ne répondant pas aux critères de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Car selon le fameux article, il faut pour se prévaloir du statut d’ayants droit avoir appris le français comme première langue et le comprendre, avoir fréquenté une école primaire en français au Canada, ou, troisième critère, avoir un enfant qui a reçu ou reçoit son éducation primaire ou secondaire en français au Canada. Dans tous les cas, la citoyenneté canadienne s’impose.
Si la notion est dès lors très restrictive, les gouvernements agissent pour certains à titre de « réparation », laissant la gestion des ayants droit à la charge des conseils ou commissions scolaires. C’est le cas par exemple de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick.
« Dans ces deux provinces, c’est plus que de la tolérance », résume l’avocat spécialisé en droits linguistiques, Mark Power à #ONfr. « On encourage même les anglophones bilingues à inscrire leur enfant dans une école francophone. En Ontario, les non-ayants droit doivent passer devant un comité d’admission qui la plupart du temps se montre très flexible. »
Dans le cas de la Colombie-Britannique, de la région des Prairies, ou encore de la Nouvelle-Écosse, il y a une certaine « tolérance », voire une « indifférence » des gouvernements d’après Me Power, mais toujours plus ou moins conditionnés à un changement de couleur politique au pouvoir.
Pour les territoires, l’équation est en revanche beaucoup plus difficile, pour ne pas dire impossible. « Un Haïtien, donc francophone, qui s’installe par exemple à Whitehorse au Yukon ne peut pas envoyer ses enfants à l’école française. Ce que peut faire un couple anglophone, maitrisant beaucoup moins bien le français. C’est tout simplement le monde à l’envers. »
La faible population des territoires n’arrange pas l’affaire, estime Roger Paul, directeur général de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF). « Plus c’est petit, plus la majorité a du poids sur la minorité. »
Urgence
Risque accru d’assimilation, faible rayonnement de la francophonie, immigration en danger : la conséquence d’une définition restrictive des ayants droit peut avoir des effets pervers. « Dans certains cas, les immigrants francophones sont contraints d’aller à la langue anglaise », poursuit M. Paul. « Au bout de quelques années, on perd l’enfant pour toujours. »
L’urgence est telle que le nombre d’enfants d’ayants droit lui-même s’étiole. Si l’on en croit les travaux de Rodrigue Landry, ancien directeur général de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques à l’Université de Moncton, toutes les provinces sont ainsi concernées.
D’après les données de l’universitaire, le nombre d’enfants d’ayants droit en Ontario accessibles en vertu du paragraphe 23 de la Chartre est passé de 165 720 en 2001 à 153 915 en 2006. Sur la même période, le Nouveau-Brunswick, seconde province la plus importante en termes d’élèves, voit cette capacité fondre de 56 455 à 49460.
Joint par #ONfr, M. Landry refuse tout de même de jeter la pierre uniquement aux différents gouvernements. « Selon mes travaux, 88% des enfants d’ayants droit vont à l’école francophone. C’est un manque à gagner de 12%. Mais seulement 34% d’un couple exogame envoie leurs enfants à l’école francophone. Cela engendre des pertes très importantes. »
Solutions
Dans ces conditions, une définition plus élargie de l’article 23 semble s’imposer. L’ennui, c’est que le Québec voit cette solution d’un mauvais œil. Elle mettrait sur un pied d’égalité les francophones en situation minoritaire et les anglophones de sa propre province. C’est la raison pour laquelle le gouvernement de Philippe Couillard était intervenu en janvier dernier à la Cour suprême du Canada pour se désolidariser de la cause du Yukon.
« L’immigration aiderait énormément », souligne pourtant Me Power. « N’oublions pas que Toronto était il y a 75 ans une ville blanche, résolument protestante. L’immigration a permis de faire évoluer les mentalités, et quelque part la cause des enfants d’ayants droit en Ontario. »
Pour Rodrigue Landry, l’assimilation ne peut être enrayée que par la sensibilisation. « Il faut que les parents comprennent que le meilleur bilinguisme (sic), c’est de fréquenter une école francophone. Il a été prouvé notamment en Nouvelle-Écosse que des élèves francophones peuvent avoir des meilleurs résultats aux tests d’anglais que leurs homologues anglophones. »