Face à la COVID-19, le déchirement d’avoir ses parents dans un centre pour aînés

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Le 19 mars dernier, Marguerite fêtait son 97e anniversaire. Depuis ce jour de fête, Françoise Sigur-Cloutier, sa fille, n’a pas pu lui rendre visite. Au mieux, des photos et un FaceTime… Une situation de séparation et d’angoisse que vivent des milliers de Canadiens à l’heure où la COVID-19 frappe dans les foyers de soins de longue durée.

« Quand je suis partie du foyer St. Teresa Place de Calgary, le 19 mars, il étaient en train de changer les codes. La direction nous a dit qu’on n’avait plus le droit de venir, que s’ils avaient besoin de quelque chose, ils nous appelleraient. »

Pour cette Franco-Albertaine d’adoption, deux semaines et demi d’angoisse s’ensuivent.

« J’avais déjà très peur auparavant qu’elle n’arrive pas à son anniversaire. Ma mère pourrait à tout moment partir comme un petit oiseau. Elle me paraît extrêmement vulnérable. Je sentais donc que je l’abandonnais, je me sentais impuissante. »

Mme Sigur-Cloutier insiste pour un FaceTime avec sa mère. Une demande obtenue.

« C’était comme si c’était le premier FaceTime de ma vie. À force de lui dire maman, de lui faire des bisous, elle m’a souri. Elle était très heureuse, elle a fait des signes de la main. On a passé une demi-heure en FaceTime. La direction du centre m’a dit qu’on allait en faire d’autres. »

Le virus qui a déjà contaminé plus de 25 000 Canadiens, et s’est répandu dans certains foyers de soins de longue durée, fait peur. « Je suis obsédée avec les chiffres », confie Mme Sigur-Cloutier, la voix chevrotante.

« Ma mère ne peut pratiquement plus communiquer. Je lui ai dit qu’il y a un virus qui est très grave et très sérieux. Elle a essayé de me dire quelque chose pour donner une solution. »

La photo montre la présidente de l'ACF, Françoise Sigur-Cloutier.
La Franco-Albertaine Françoise Sigur-Cloutier. Archives ONFR+

Perdre un être cher, c’est aussi l’angoisse de Nadine Dupont. Depuis plusieurs semaines, cette Franco-Torontoise compte les jours qui l’éloignent de sa mère. Comme partout, les visites sont suspendues au pavillon Omers Deslauriers du centre de soins de longue durée Bendale Acres.

« Ça été difficile le 21 mars, car c’était sa fête. D’habitude, on va lui rendre visite avec toute sa famille. Cette année, rien du tout! »

D’une visite hebdomadaire, « tout est passé à zéro », résume Mme Dupont. « Il y a la possibilité des FaceTime, on nous l’a proposée, mais ma mère est dans une situation de démence. Avoir une conversation avec elle est très difficile. Elle a besoin de sentir la présence de ses proches. Je viens d’avoir des photos d’elle où elle semblait heureuse. Cela m’a rassurée. »

En dépit du stress, du manque de sommeil, Mme Dupont place sa confiance dans le centre. « Ce sont des professionnels, ils savent ce qu’ils ont à faire, même si je suis consciente que ces professionnels de la santé rentrent chez eux le soir, vont au supermarché. On ne peut pas tout contrôler! »

Nadine Dupont accompagnée de sa mère et de son frère. Source : Facebook

Prendre un aîné à domicile pendant la crise

Si laisser les parents dans un centre de soins de longue durée pendant la crise semble s’imposer, d’autres ont fait le choix opposé. Il y a quelques jours, Louise Jourdain a conduit plus de 500 kilomètres pour aller chercher sa mère.

« Ma mère était dans un foyer pour aînés, à Montréal. Le vendredi 13 mars, j’étais partie de Toronto pour lui rendre visite. Dans la voiture, j’écoutais les nouvelles à Radio-Canada. Les informations déboulaient, j’ai compris qu’il fallait prendre une décision. »

Installée depuis au sous-sol de la « petite maison », la femme de 86 ans partage le quotidien de Mme Jourdain et ses deux filles. Une décision que la Franco-Torontoise ne regrette pas, bien que les tâches s’accumulent.

« Je dois l’aider à prendre son bain, elle est très lente. Je dois aussi la coiffer, la tenir occupée durant la journée. Au niveau de la nourriture, c’est aussi une adaptation, car, par exemple, elle n’aime pas les plats exotiques. »

L’aggravation de la crise en un mois oblige Mme Jourdain à un constat.

« Non, je ne regrette pas. Je me sens beaucoup plus rassurée de l’avoir à la maison. Elle aurait peut-être développé des problèmes de santé mentale, seule, à Montréal. Pour moi, c’est un peu surréel. Elle ne comprend pas qu’on travaille. C’est un choc générationnel, car elle n’est pas très à l’aise avec les nouvelles technologiques. Elle ne comprend pas qu’on puisse parler toute la journée devant un ordinateur! »

Et d’ajouter du même souffle : « Je pensais, quand j’ai pris la décision, que tout allait revenir à la normale le 6 avril. Aujourd’hui, certains parlent d’une situation qui va durer un an! »

Des obstacles à avoir ses parents chez soi

Avoir ses parents à la maison? Une volonté contrecarrée par des obstacles, estime Françoise Sigur-Cloutier. D’autant que la présence dans un foyer de soins de longue durée pose une équation complètement différente.

« On a déménagé dans une maison en mai dernier. La première fois, ça a relativement bien été, mais on s’est aperçu que la salle de bain est mal faite. Nous avions aussi beaucoup de difficultés avec les toilettes, car la toilette est coincée entre le mur et le lavabo. C’est très dur de l’asseoir et de la relever. On ne pouvait pas envisager d’avoir maman, sauf dans des situations extrêmes. »

À Toronto, Nadine Dupont abonde dans le même sens. « On ne pouvait pas l’avoir chez nous. Nous n’avons pas le matériel, juste par exemple ce qui permet de la lever du lit. »

Et de conclure : « Nous parlons souvent avec ma sœur et mon frère de ce qu’il faudrait faire si l’état de santé de ma mère empirait vraiment. Ce n’est pas une conversation facile, mais nous devons l’avoir! »