Femmes victimes de violence sexuelle : Ford accusé de retenir l’argent
TORONTO – Les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) sont prisonniers d’un bras de fer politique qui les prive de dizaines de milliers de dollars en financement. À quelques semaines de la fin de l’année financière, les organismes francophones n’ont plus d’espoir de toucher cet argent qu’ils disent pourtant nécessaire pour offrir un meilleur soutien aux femmes en détresse.
ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg
1er mars 2018. Le gouvernement libéral de Kathleen Wynne dévoile sa Stratégie pour mettre fin à la violence sexiste. Un plan qui s’accompagne d’une bonification des budgets à hauteur de 30 % pour les centres d’aide de première ligne qui accueillent les femmes victimes de violence sexuelle. Le milieu communautaire se réjouit, ces sommes viendront atténuer le sous-financement dont ces acteurs parlent depuis une décennie.
Mais le temps passe et le mois juin amène au pouvoir un nouveau gouvernement, conservateur celui-là, et l’argent ne vient pas. Plusieurs CALACS ont pourtant déjà avancé des fonds pour combler les besoins criants, croyant que les sommes supplémentaires annoncées viendraient éventuellement. Un an plus tard, toujours rien. Le gouvernement Ford est accusé de retenir ces sommes importantes par une coalition d’organismes qui défendent les femmes victimes de violence.
« Chaque changement de gouvernement amène son lot de gagnants et de perdants. Nous, on est visiblement perdantes », s’attriste Maïra Martin, directrice générale de l’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes. Chacun des neuf CALACS francophones devait obtenir entre 75 000 et 120 000 $ de plus, cette année.
« On comprend que chaque gouvernement a ses priorités, mais on parle d’un enjeu social majeur qui ne peut pas être influencé par les priorités d’un gouvernement. Ce sont des problèmes qui ne partent pas selon la personne qui est au pouvoir », ajoute-t-elle.
Une grande différence dans l’Est ontarien
Dans l’Est ontarien, le financement supplémentaire devait faire toute une différence au Centre Novas, le CALACS de Prescott-Russell. « On devait ajouter des services en intervention individuelle et en groupe. Puis, essayer d’avoir plus d’intervenantes et mieux payées », explique sa directrice Anne Jutras. Les nouveaux fonds arrivaient d’ailleurs à point.
« Le mouvement MeToo (Moi aussi) a pris plus de temps avant de se faire sentir dans le milieu rural, mais maintenant on est dans le jus. Il y a une explosion des dénonciations. On essaye d’aider avec les ressources que l’on a, mais ce n’est pas suffisant! », lance-t-elle avec frustration.
Mais la directive dans son organisme est claire : une personne dans le besoin doit être aidée. Alors les trois employées à temps plein et les trois employées temporaires travaillent sans répit pour aider, explique Anne Jutras. « Elles sont sous-payées quand je regarde l’expérience qu’elles ont et leurs qualifications. Parfois, je me dis qu’on les exploite nous-mêmes, alors que nous voulons mettre fin à cela », lance-t-elle, exaspérée.
Sans l’ajout d’argent, un cercle vicieux s’installe. « Sans argent pour faire de la prévention, il y a plus d’agressions. Donc, il faut faire plus d’interventions, puis offrir plus de services, qui coûtent chers », explique-t-elle.
Action ontarienne contre la violence faite aux femmes mène un travail de lobby auprès du gouvernement avec ses pairs anglophones. « On a envoyé une lettre à la ministre Caroline Mulroney au début janvier. Au début février, on a eu une téléconférence et on nous a encore demandé d’attendre. On nous dit toujours qu’on aura des nouvelles bientôt, sans en dire plus », dénonce Mme Martin. « L’argent était pour l’année financière qui se termine le 31 mars. Il ne faut plus se faire d’illusions. Même si on recevait ces sommes, on ne pourra pas les dépenser en l’espace d’un mois », dit-elle.
Les dirigeantes des CALACS s’étonnent, par ailleurs, de voir que les fonds pour les centres d’hébergement pour femmes en détresse, ont eux, été débloqués par le gouvernement Ford. Elles s’expliquent mal pourquoi le ministère de Caroline Mulroney a, lui, décider de ne pas aller dans ce sens.
Le dossier s’invite à Queen’s Park
Les sommes supplémentaires dédiées aux CALACS devaient provenir du ministère de la procureure générale de l’Ontario, Caroline Mulroney. La pression est montée d’un cran, le jeudi 21 février, alors que l’opposition l’a interpellé sur cet enjeu.
En chambre, la ministre Mulroney a attaqué le gouvernement libéral. « Ils ont fait des promesses à ces centres sans attacher l’argent nécessaire. Nous nous assurons de les soutenir, de manière responsable », a-t-elle soutenu.
Dans un échange de courriels avec son bureau, son porte-parole a apporté quelques précisions. « Notre gouvernement est déterminé à mettre à la disposition des victimes d’actes criminels violents, de leurs familles et des témoins de ces actes les soutiens et services dont ils ont besoin dans leurs collectivités », écrit Jesse Robichaud.
Le gouvernement Ford est toujours en train d’analyser le dossier, révèle-t-il. « Pour assurer que les décisions d’investissement dans les services aux victimes répondent efficacement aux besoins de leurs utilisateurs, le gouvernement a entrepris un examen de tous les programmes qui sont offerts à l’échelle de la province », affirme M. Robichaud.
« Nous savons que ces organismes effectuent un travail important dans leur collectivité et cet examen sera l’occasion d’assurer que les niveaux de service sont adaptés aux besoins et de coordonner la prestation des services d’une façon la plus durable et efficace possible », a-t-il indiqué.