Français : l’Ordre des médecins et chirurgiens se fait taper sur les doigts
Un patient francophone et un médecin francophone. Mais si le médecin fait l’objet d’une plainte de la part du patient, le processus qui s’en suivra risque bien d’être à peu près uniquement en anglais. Une récente affaire est venue porter un éclairage inédit sur le problème et les solutions qui devraient être apportées.
Un homme souffrant de fatigue et d’une diminution de ses capacités cognitives a porté plainte contre son médecin qui l’avait d’abord orienté vers un psychiatre, plutôt que de l’envoyer réaliser des tests diagnostiques. Des tests ultérieurs, finalement autorisés par le médecin, confirmeront que le patient était en fait atteint d’une leucémie.
L’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario a enquêté sur cette plainte. Mais malgré la langue des deux protagonistes, à peu près tout s’est fait en anglais, note la Commission d’appel et de révision des professions de la santé qui a été chargée de réviser la décision du comité de l’Ordre des médecins et chirurgiens.
« Le comité a communiqué avec les parties uniquement en anglais, bien que le requérant et l’intimé soient des francophones et que leurs interactions médicales, selon le dossier médical du requérant, semblent s’être déroulées en français. »
L’Ordre des médecins dit ne pas avoir de politique officielle en matière de français. « L’Ordre invite son personnel à trouver des accommodements pour les francophones, qu’il s’agisse de médecins ou de plaignants », dit-il.
Une pratique qui n’est pas correcte, selon la Commission d’appel et de révision des professions de la santé.
« Le droit d’utiliser le français n’est pas un accommodement, mais un droit linguistique fondamental », écrit-elle dans sa décision rendue récemment. « Le droit d’utiliser le français n’est pas une mesure d’adaptation, comme l’Ordre l’indique dans sa correspondance; il s’agit plutôt d’un droit linguistique prévu à l’article 86 du Code, qui impose des obligations linguistiques pour s’assurer que les parties qui souhaitent utiliser le français peuvent le faire (dans des limites raisonnables) dans tous leurs rapports avec l’Ordre », écrit-on.
Pourtant, la Loi sur les services en français ne s’applique pas aux ordres professionnels en Ontario. Mais l’esprit de la loi compte, tranche la Commission qui fournit une série de recommandations à ce sujet.
Le médecin aurait dû procéder plus rapidement à des tests de dépistage, conclut la Commission confirmant la décision initiale du comité.
La Commission ne croit pas que l’Ordre des médecins a erré sur le fond de l’affaire, même si toute l’enquête a été marquée par une « violation des droits linguistiques ». « Si la Commission devait renvoyer la présente affaire au comité pour qu’il mène une enquête plus approfondie prévoyant une traduction officielle des dossiers médicaux, ou pour qu’un sous‑comité bilingue du comité procède au réexamen, il est très peu probable que le comité en arrive à une conclusion différente. »
Mais une des trois membres de la Commission a cependant un avis différent : « À mon avis, si aucune réparation n’est prévue pour remédier à la violation des droits linguistiques par le comité, cela minera la confiance envers le processus de traitement des plaintes pour les minorités linguistiques dans l’avenir et compromettra l’intégrité du processus pour ceux-ci », affirme Sonia Ouellet.
Une série de recommandations linguistiques (voir encadré) est faite à l’Ordre des médecins et des chirurgiens. Mais rien n’oblige légalement l’Ordre à y donner suite.
« Même si elle ne nous oblige à rien, la décision nous offre des recommandations importantes à considérer pour améliorer notre offre en français. Dans l’immédiat, nous travaillons à améliorer notre processus d’enquête et de résolution de plaintes et avons fait des progrès dans la traduction de documents », indique à ONFR+ un porte-parole de l’Ordre des médecins et chirurgiens, disant aussi souhaiter traduire en français certaines des 120 000 pages de son site web.
Des intervenants francophones du milieu de la santé interrogés, mais qui souhaitent conserver l’anonymat, sont déçus de cette réponse affirmant qu’un traducteur ou un interprète ne permet pas à un francophone de faire valoir ses enjeux de la même façon et avec autant d’éloquence que leurs semblables anglophones.
Certaines des recommandations de la Commission en vertu d’une « interprétation contemporaine des droits et obligations linguistiques »
- Une politique écrite qui définit explicitement les obligations de l’Ordre de veiller à ce que le public et les membres de la profession puissent utiliser le français (c’est‑à‑dire, qu’ils puissent communiquer et être entendus en français) dans tous leurs rapports avec l’Ordre
- Des pages Web en français ou bilingues qui contiennent les principales politiques, lignes directrices, etc. de manière à ce que le public et les membres de la profession aient accès à une version en français des communications de l’Ordre (dans des limites raisonnables)
- Des formulaires interactifs en français permettant de déposer des plaintes, ainsi que les politiques, les procédures et le personnel de soutien requis pour voir à ce que les rapports se déroulent en français ou soient bilingues (dans des limites raisonnables)